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en eût de perception? 4°. Puisqu'il parle en tant d'endroits de l'idée de Dieu, de la vaste et immense idée de l'Étre parfait, et qu'il assure que tous les hommes ont cette idée, il faut qu'il y ait une signification de mot d'idée selon laquelle il a cru que cela était indubitable; or, on n'en saurait trouver d'autre, sinon celle qu'il a donnée à ce mot au commencement de son ouvrage, en le prenant pour perception; il n'y a donc point d'autre moyen de concilier les endroits où il dit que nous avons une idée de Dieu, avec ceux où il dit que nous connaissons Dieu sans idée, qu'en supposant que dans les uns il a pris le mot d'idée pour perception, qui est sa notion véritable, et que dans les autres il l'a pris pour cet étre représentatif dont il s'est imaginé, sans raison, que nous avions besoin pour connaître toutes choses hors Dieu et notre âme.

Mais, outre les autres preuves par lesquelles j'ai fait voir que cette dernière notion du mot d'idée n'a aucun fondement raisonnable, on y peut ajouter celle-ci : qu'elle ne sert qu'à embrouiller les plus claires et les plus naturelles notions que nous aurions sans cela de nos propres connaissances, et qu'il est presque impossible que ceux qui en sont prévenus ne tombent, sans y prendre garde, en plusieurs contradictions; car, quand un mot a une signification ordinaire claire et distincte, si par erreur on lui en donne une autre qui non-seulement ne soit pas plus claire, mais qui soit fort obscure et fort confuse, il n'est pas presque possible qu'on demeure toujours ferme à prendre ce mot dans cette nouvelle signification, et il échappe toujours en divers endroits où on le prend selon sa signification commune, qu'on ne peut tellement chasser de son esprit qu'elle ne revienne souvent; et c'est ce que nous avons vu qui n'a pas manqué d'arriver à cet auteur au regard du mot d'idée, ce qui assurément cause beaucoup de confusion et d'obscurité dans des discours dogmatiques sur des matières fort abstraites qu'on ne saurait prendre trop de soin de rendre claires.

En voici un nouvel exemple: car dans la même période, il faut qu'au commencement il ait pris le mot d'idée pour perception, et, suivant cette notion, ce qu'il en dit est très-véritable, et qu'à la fin il l'ait pris pour un être représentatif, ce qui brouille tout ce qu'il avait dit auparavant, page 201.

« Enfin, dit-il, la preuve de l'existence de Dieu, la plus <«< belle, la plus relevée, la plus solide et la première, ou «< celle qui suppose le moins de choses, c'est l'idée que nous <«< avons de l'infini; car il est constant que l'esprit aperçoit « l'infini quoiqu'il ne le comprenne pas, et qu'il a une idée « très-distincte de Dieu. » Jusque-là cela va fort bien; mais il est indubitable que le mot d'idée doit être pris pour perception, comme l'a pris M. Descartes dans cette démonstration de l'existence de Dieu, que cet auteur a eu en vue quand il dit que c'est la plus belle, la plus relevée, la plus solide, et celle qui suppose le moins de choses. Mais ce qu'il ajoute n'a plus de sens en demeurant dans cette même notion du mot d'idée : « Il est constant que l'esprit a une idée « très-distincte de Dieu, qu'il ne peut avoir que par l'union « qu'il a avec lui, puisqu'on ne peut concevoir que l'idée de « l'Etre infiniment parfait, qui est celle que nous avons de « Dieu, soit quelque chose de créé. » N'est-il pas visible qu'il change imperceptiblement, et sans en avertir le monde, la notion du mot d'idée, et qu'il ne prend plus l'idée de Dieu pour la perception de Dieu; car, la prenant en ce sens, pourrait-il dire que ce n'est pas quelque chose de créé? Pouvonsnous avoir des perceptions incréées? et nos perceptions ne sont-elles pas essentiellement les représentations de leurs objets? Il faut donc nécessairement, ou que nous n'ayons aucune perception de Dieu, et que quand nous en parlons nous en parlions comme des perroquets, sans savoir ce que nous disons, ou que si nous en avons, comme on n'en peut douter, elles représentent l'Etre infini, contre ce qu'il dit page 205: « Que l'on ne peut concevoir que quelque chose « de créé représente l'infini. » Mais ce qui lui fait dire cela,

comme je l'ai déjà remarqué, est que tout d'un coup il a perdu de vue les idées prises pour des perceptions, et que, sans y prendre garde, il a substitué à ce mot sa notion bizarre d'êtres représentatifs, qu'ils se figure, comme des tableaux et des images, que notre esprit doit envisager avant que de former ses perceptions; car on peut trouver quelque sens à ce qu'il dit: Que l'on ne peut concevoir que l'idée d'un Être infiniment parfait soit quelque chose de créé, en substituant au mot d'idée celui d'être représentatif, étant bien certain qu'il est difficile de concevoir qu'il puisse y avoir un être représentatif distingué de Dieu, qui soit comme un tableau et une image que notre esprit doive envisager pour se former la perception de l'Être infiniment parfait. C'est tout ce que l'on peut dire pour excuser cette proposition, qui serait assurément fort dangereuse, si on y prenait le mot d'idée dans le même sens au commencement et à la fin de cette période; car, en le prenant à la fin comme au commencement, il faudrait, ou que la perception que nous avons de Dieu ne fût point une modification ou un attribut de notre âme, mais quelque chose d'incréé, ce qui n'est pas concevable, ou que nous n'eussions point de perception de Dieu, ce qui est absolument ruiner la preuve de son existence par l'idée que nous avons de l'infini, bien loin que cela se puisse accorder avec ce qu'on dit ici, que c'en est la plus belle preuve.

Et, en effet, nous voyons que tous les adversaires de M. Descartes, qui n'ont point voulu demeurer d'accord de la solidité de ses preuves de l'existence de Dieu par l'idée de l'Etre parfait, se sont toujours opiniâtrés à nier que nous ayons aucune idée de Dieu. C'est une des objections recueillies du gros livre des Instances, de M. Gassendi: Omnes homines Dei in se ideam non animadvertere : Qu'il n'est pas vrai que tous les hommes puissent trouver en eux l'idée de Dieu. A quoi M. Descartes répond « qu'en prenant le mot « d'idée, comme il l'a pris dans ses démonstrations pour la

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<< perception que nous avons d'un objet, personne ne peut <«< nier qu'il n'ait en lui l'idée de Dieu, à moins qu'il ne dise << qu'il n'entend pas ce que veulent dire ces mots : la plus « parfaile de toutes les choses que nous puissions concevoir; «< car c'est ce que tous les hommes entendent par le mot de « Dieu. Or, dire que l'on n'entend pas des mots aussi clairs « que ceux-là, c'est aimer mieux se réduire soi-même aux << dernières extrémités que d'avouer qu'on a eu tort de com<< battre le sentiment d'un autre. A quoi je puis ajouter qu'on « ne peut guère s'imaginer de confession plus impie que <«< celle d'un homme qui dit qu'il n'a point d'idée de Dieu << dans le sens que j'ai pris ce mot d'idée; car c'est faire << profession de ne le connaître ni par la raison naturelle, ni «< par la foi, ni par quelque autre voie que ce soit; puisque, « si on n'a nulle perception qui réponde à la signification du <«< mot de Dieu, il n'y a point de différence entre dire qu'on «< croit que Dieu est et dire qu'on croit que rien est. »

Et il ajoute au même endroit ce qui peut servir de réponse à ce que dit cet auteur, que rien de créé ne peut représenter l'Etre infini; car c'était une instance de ces mêmes philosophes que nous comprendrions Dieu si nous en avions l'idée. A quoi il répond « que cette objection est sans fondement; «< car le mot comprendre marquant quelque limitation, il « est impossible qu'un esprit fini comprenne Dieu qui est <«< infini; mais cela n'empêche pas qu'il n'en puisse avoir « l'idée, c'est-à-dire la perception; comme, je puis toucher « une montagne, quoique je ne la puisse pas embrasser. » Et c'est aussi ce que cet auteur reconnaît dans le lieu même que j'examine: «< Car il est constant, dit-il, que l'esprit aper«çoit l'infini, quoiqu'il ne le comprenne pas. »

Je ne crois pas que l'auteur même de la Recherche de la Vérité puisse rien trouver de plus plausible pour accorder les diverses choses qu'il dit de l'idée de Dieu, soit en l'admettant, soit en la niant; mais j'espère qu'il en concluera lui-même qu'il aurait bien mieux fait de s'en tenir à la no

tion que M. Descartes en avait donnée, qui est la seule claire et distincte qu'on en puisse avoir, que de s'en former une nouvelle, que nous avons fait voir par tout ce Traité n'être fondée que sur de faux préjugés qui lui sont communs avec les philosophes de l'École, mais qui l'ont engagé en de beaucoup plus grandes absurdités, parce qu'il les a poussés beaucoup plus loin qu'eux.

CHAPITRE XXVII.

De l'origine des idées. Qu'il n'y a aucune raison de croire que notre âme soit purement passive, au regard de toutes ses perceptions, et qu'il est bien plus vraisemblable qu'elle a reçu de Dieu la faculté de s'en former plusieurs.

Il n'y a rien à quoi on doive plus prendre garde, pour bien traiter une matière de science, que d'éviter la brouillerie et la confusion qui arrive quand on mêle ensemble des questions différentes. C'est ce qui m'a obligé de distinguer, en plusieurs endroits de ce Traité, ce qui regarde la nature des idées d'avec ce qui regarde leur origine, et de réserver à la fin à traiter de ce dernier point.

Mais, pour rendre la chose plus claire et prévenir des objections qui ne seraient point à propos, il faut remarquer deux choses: l'une, que je prends le mot d'idée pour perception, et dans le même sens que l'auteur de la Recherche de la Vérité l'a pris dans le premier chapitre de son ouvrage; l'autre, qu'il ne s'agit ici que des connaissances purement naturelles, et non de la manière dont le Saint-Esprit nous éclaire dans l'ordre de la grâce.

Cela supposé, la question est de savoir si toutes nos idées ou perceptions nous viennent de Dieu, ou s'il y en peut avoir qui nous viennent de nous-mêmes.

L'auteur de la Recherche de la Vérité est du premier sen

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