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<< qu'il ne doit point passer pour une démonstration évi«dente de l'existence des corps. Car enfin Dieu ne nous « pousse point invinciblement à nous y rendre. Si nous y << consentons, c'est librement : nous pouvons n'y pas con<< sentir. Si le raisonnement que je viens de faire est juste, << nous devons croire qu'il est tout à fait vraisemblable « qu'il y a des corps: mais nous ne devons pas en de<< meurer pleinement convaincus par ce seul raisonnement. << Autrement, c'est nous qui agissons et non pas Dieu en << nous. C'est par un acte libre, et par conséquent sujet à « l'erreur, que nous consentons, et non par une impression « invincible; car nous croyons, parce que nous le voulons « librement, et non parce que nous le voyons avec évidence. « Certainement il n'y a que la foi qui puisse nous convaincre « qu'il y a effectivement des corps. On ne peut avoir de « démonstration exacte de l'existence d'un autre être que de celui qui est nécessaire. Et si l'on y prend garde de « près, on verra bien qu'il n'est pas même possible de connaître avec une entière évidence si Dieu est ou n'est pas • véritablement créateur d'un monde matériel et sensible; « car une telle évidence ne se rencontre que dans les rapports nécessaires : et il n'y a point de rapport nécessaire « entre Dieu et un tel monde. Il a pu ne le pas créer : et s'il l'a fait, c'est qu'il l'a voulu, et qu'il l'a voulu librement.>> Trouvez bon, Monsieur, que je fasse trois ou quatre réflexions sur ce qu'il prétend prouver qu'il n'y a que la foi qui nous puisse assurer qu'il y a des corps, et sur les preuves qu'il y emploie.

PREMIÈRE RÉFLEXION.

Il est bien étrange qu'il ne se soit pas aperçu, que demeurant dans les principes qu'il a établis en cet endroit, il est impossible qu'il ait rien démontré de tout ce qu'il avance dans son Traité de la Nature et de la Grâce. Car il ne dit point qu'il ait appris par révélation de Dicu ces grandes maximes,

sur lesquelles tout ce Traité roule : « Que si Dieu veut agir « au dehors, c'est qu'il se veut procurer un honneur digne « de lui qu'il agit par les voies les plus simples; qu'il n'agit << point par des volontés particulières, mais par des volontés <«< générales qui sont déterminées par des causes occasion<«< nelles. » Il n'a point entrepris de rien prouver de tout cela par l'Écriture et, s'il avait cru le pouvoir faire, il aurait dû dire qu'il le savait par la foi, et non pas qu'il l'a démontré.

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Or, il ne peut pas dire qu'il y ait un rapport plus nécessaire entre Dieu et ces manières d'agir, qu'entre Dieu et la création du monde; car, quoiqu'il dise quelquefois que les lois de la nature sont constantes et immuables, il est obligé de reconnaître en d'autres endroits que la loi de la communication des mouvements « n'est point essentielle à Dieu, << mais arbitraire qu'il y a des occasions où ces lois géné<< rales doivent cesser de produire leur effet; et qu'il est à << propos que les hommes sachent que Dieu est tellement <«< maître de la nature, que s'il se soumet aux lois qu'il a éta« blies, c'est plutôt parce qu'il le veut que par une nécessité << absolue. >>

Il n'a donc pu rien démontrer de toutes ces maximes, qui sont le fondement de tout ce qu'il a de particulier dans son Traité, s'il est vrai, comme il le prétend dans cet endroit que nous venons de rapporter, qu'il n'est pas possible de connaître avec une entière évidence si Dieu est ou n'est pas véritablement créateur du monde matériel et sensible; parce qu'une telle évidence ne se rencontre que dans les rapports nécessaires, et qu'il n'y a point de rapport nécessaire entre Dieu et un tel monde, qu'il a pu ne pas créer; car il a pu aussi ne pas agir par des volontés générales, déterminées par des causes occasionnelles; et par conséquent il n'y a point de rapport nécessaire entre Dieu et cette manière d'agir. Ier Disc., Ire Part., §. 18.

2 Ibid, §. 20.

On ne peut donc, selon lui, avoir sur cela d'entière évidence ni d'exacte démonstration.

Un autre que lui pourrait dire qu'il suffit que ce qu'il a dit de ces choses ait une grande apparence de vérité, et qu'il n'est pas nécessaire qu'il les ait prouvées par des démonstrations tout à fait exactes. Mais, pour lui, il est bien clair qu'il ne peut point parler de la sorte, après ce que nous venons de voir; car il n'a pas écrit sur des matières si importantes pour ne persuader personne. Or, il nous a déclaré bien positivement que nous ferions mal de nous rendre à ses raisonnements, quelque justes qu'ils parussent, s'ils n'étaient démonstratifs; «< parce que ce serait nous qui agirions, et non << pas Dieu en nous, et que ce serait par un acte libre, et << par conséquent sujet à erreur, que nous embrasserions ses << sentiments, et non par une impression invincible, nous y << rendant parce que nous le voudrions librement, et non « parce que nous le verrions avec évidence. » Donc il n'a rien fait dans ce nouveau livre, ni pour l'Église en général, ni pour ceux en particulier qu'il dit avoir eus en vue « qui << se piquent d'une grande justesse et d'une rigoureuse exac<< titude,» si ce qu'il y a mis n'a que de grandes apparences de vérité : et il faut, selon ses principes, qu'il en ait au moins démontré avec évidence les principaux fondements. Cependant, Monsieur, je pourrai n'être pas longtemps à vous faire voir qu'il s'en faut même beaucoup qu'il ait été au moins jusqu'à ne rien dire qui n'ait de grandes apparences de vérité.

DEUXIÈME RÉFLEXION.

Rien n'est moins vrai que ce que dit l'auteur de la Recherche de la Vérité: « que pour être convaincus qu'il y a des corps, <«< il faut qu'on nous démontre non-seulement qu'il y a un << Dieu, et que Dieu n'est point trompeur, mais encore que « Dieu nous ait assurés qu'il en a effectivement créé; et que <<< si nous n'avions point la foi, qui nous oblige à croire qu'il

<< y a des corps, nous ne serions point invinciblement portés « à croire qu'il y en a. » Car je soutiens, au contraire, que le même principe qui est le fondement de la foi, et qui ne la suppose pas, mais la précède, me fait voir nécessairement qu'il y a des corps et d'autres êtres que Dieu et mon esprit.

Ce principe est qu'on doit recevoir pour vrai ce qui ne pourrait être faux qu'on ne fût contraint d'admettre en Dieu des choses tout à fait contraires à la nature divine, comme d'être trompeur, ou sujet à d'autres imperfections que la lumière naturelle nous fait voir évidemment ne pouvoir être en Dieu. On ne suppose point la foi, ni de révélation particulière, touchant l'existence des corps, en supposant ce principe: donc, ce qui suit évidemment de ce principe, en n'y joignant que des choses dont je ne puis non plus douter que de ma propre existence, doit être regardé comme très-bien démontré; et par conséquent j'ai raison de prendre pour de véritables démonstrations les arguments qui suivent.

PREMIER ARGUMENT.

Nous pouvons tirer de la parole un argument certain de l'existence des corps, en y joignant le principe que Dieu n'est point trompeur. Car je ne puis douter que je ne croie parler depuis que je me connais, c'est-à-dire joindre mes pensées à de certains sons que je crois former par le corps, que j'ai supposé m'être uni, pour les faire entendre à d'autres personnes semblables à moi, que je suppose être autour de moi, et qui ne manquent point, à ce qu'il me semble, de faire entendre de leur part, ou par d'autres paroles que je m'imagine ouïr, ou par d'autres signes que je crois voir, qu'ils ont bien compris ce que je leur ai voulu dire.

Or, si je n'avais point de corps, et qu'il n'y eût point d'autres hommes que moi, il faudrait que Dieu m'eût trompé une infinité de fois, en formant dans mon esprit immédiatement par lui-même, et sans qu'on puisse dire qu'il en a pris occasion des mouvements qui se seraient faits dans mon

corps, puisqu'on suppose que je n'en ai point, toutes les pensées que j'ai eues de tant de divers sons, comme formés par les organes de mon corps, et en me répondant luimême intérieurement si à propos, que je ne pouvais pas douter que ce ne fussent les personnes à qui je pensais parler qui me répondaient, et cela, non une fois ou deux, mais une infinité de fois.

Donc Dieu n'étant point trompeur, il faut nécessairement que j'aie un corps, et qu'il y ait d'autres hommes semblables à moi, et qui joignent comme moi leurs pensées à des sons pour me les faire connaître.

DEUXIÈME ARGUMENT.

J'ai appris diverses langues pour me faire entendre de différentes personnes. Je suis bien assuré que je ne les ai point inventées; et j'ai jugé fort différemment de ces langues, les unes m'ayant paru plus belles que les autres, et j'ai cru savoir fort certainement que les autres étaient plus nouvelles et les autres plus anciennes. Et j'ai aussi remarqué que, croyant parler à de certaines personnes, ils m'entendaient bien en leur parlant une de ces langues, et ne m'entendaient point en leur parlant l'autre.

Or, il faudrait attribuer à Dieu une conduite tout à fait indigne de lui, s'il n'y avait que lui et mon esprit ; car il faudrait qu'il fût auteur de toutes ces différentes langues, sans qu'on en pût concevoir la moindre utilité, sinon qu'il eût eu dessein de se divertir et de me tromper, et que, me faisant croire que je parle tantôt l'une et tantôt l'autre, il me voulût aussi faire croire, en contrefaisant le personnage de ceux à qui je crois parler, qu'il y en avait qu'il n'entendait point, et d'autres qu'il entendait.

Je ne puis donc, sans croire des choses indignes de Dieu, supposer qu'il n'y a point d'hommes hors moi, et qu'il n'y a point d'autres êtres que Dieu et mon esprit.

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