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coran, que ce que j'ai cru avoir lu dans un livre appelé la Bible: donc, dans l'hypothèse qu'il n'y a que moi et mon esprit, si cette raison était bonne au regard de la Bible : que << Dieu n'étant point trompeur, et n'y ayant que lui qui ait pu « représenter à mon esprit ce que je me suis imaginé avoir << vu dans la Bible, cela me doit passer pour incontestable, »> je ne vois pas pourquoi elle ne serait pas bonne au regard de l'Alcoran. Et ainsi je suis assuré que je ne pourrais sortir de cet embarras, qu'en me servant de la maxime que Dieu ne peut être trompeur, pour me convaincre de la fausseté évidente de cette supposition qu'il n'y a point de corps, mais seulement Dieu et mon esprit ; et non pour en conclure qu'avant même d'avoir reconnu l'absurdité de cette hypothèse, des apparences de prophètes, d'apôtres, d'Écriture sainte et de miracles, nous pourraient suffire, pour nous faire ajouter foi à l'Écriture, et changer par là ces apparences en réalités.

Si on me peut montrer qu'il n'y a point en cela de contradiction, j'avouerai ingénument ma bêtise; car j'y en crois voir une manifeste.

QUATRIÈME RÉFLEXION.

Je ne sais comment il n'a pas pris garde que, si les principes qu'il a établis dans son Traité de la Nature et de la Gráce, étaient véritables, il faudrait qu'il rétractât ce qu'il a dit si positivement dans la Recherche de la Vérité : qu'avant la foi je ne puis être entièrement assuré qu'il y ait autre chose que Dieu et mon esprit; car il n'a point prétendu avoir tiré ces principes de la révélation divine, mais de l'idée de l'Être parfait ; et néanmoins j'en puis conclure évidemment qu'il est impossible qu'il n'y ait que moi et mon esprit donc, s'ils étaient vrais et nécessaires, comme le doivent être des principes, on peut être assuré de la fausseté de cette supposition, sans avoir recours à la foi : je me contenterai d'en rapporter deux ou trois exemples:

1. Si Dieu veut agir au dehors, c'est qu'il veut se procurer un honneur digne de lui. Or, d'une part je suis assuré qu'il a voulu agir au dehors, puisque je ne puis douter que je ne sois son ouvrage : et de l'autre, je sens bien que je ne suis pas capable de lui rendre un honneur digne de lui.

Donc, il faut qu'en agissant au dehors il ait en vue quelque autre chose que moi, qui lui ait pu rendre un honneur digne de lui donc, je ne puis croire qu'il y ait seulement Dieu et mon esprit.

2. Il n'est pas digne de l'Être parfait d'agir ordinairement par des volontés particulières; mais il est plus digne de lui d'agir comme cause universelle, dont les volontés sont déterminées à des effets particuliers par des causes occasionnelles.

Or, si je n'avais point de corps, et que mon esprit fût sa seule créature, comme Dieu m'aurait créé par une volonté particulière, il ferait aussi mille et mille choses en moi par des volontés particulières, sans avoir des causes occasionnelles, surtout dans tout ce qui me paraît regarder un corps que je n'aurais point, et d'autres corps qui ne seraient point aussi.

Donc, il n'est pas vrai que je n'aie point de corps, et que mon esprit soit la seule créature de Dieu.

3. Dieu agit par les voies les plus simples, et selon les lois générales: or, ce ne serait pas si je n'avais point de corps, et qu'il n'agît qu'envers moi seul: donc il n'est pas vrai, etc.

Je ne demeure pas d'accord de ces démonstrations; parce que je ne demeure pas d'accord que les principes, dont on les tire, soient assez généraux et assez nécessaires, pour démontrer une proposition qui pourrait être contestée. Mais il me semble que la conclusion en est bien tirée et par conséquent il faut qu'il reconnaisse, ou que ces maximes ne sont pas telles qu'il les a crues, ou qu'il a eu tort de dire qu'il n'y a que la foi qui puisse nous assurer qu'il y a des corps.

CONCLUSION.

Voilà, Monsieur, mes premières difficultés sur les sentiments particuliers de notre ami. Cela ne regarde pas encore ceux du Traité de la Nature et de la Grâce; mais il a cru luimême qu'ils y avaient bien du rapport, puisqu'il a souhaité qu'on les étudiat avant que d'examiner ceux de son Traité, et qu'il y renvoie expressément dans le premier chapitre de son troisième Discours. Je ne pouvais donc mieux faire, pour bien entrer dans les nouvelles pensées de son dernier ouvrage, que de commencer par là.

J'ai trouvé de plus de l'avantage pour lui et pour moi. C'est que je n'ai point eu besoin de lui opposer l'autorité de celui-ci, ou de celui-là, ce qui jette souvent dans des ques- · tions de fait assez ennuyeuses, ni de le combattre par les vieilles règles et les vieux principes d'une philosophie qu'il n'aurait pas approuvée. Je n'ai eu le plus souvent qu'à l'opposer à lui-même, qu'à le prier de prendre plus garde à ce qui se passe dans son esprit, qu'à l'avertir, comme il a fait si souvent les autres, de plus écouter la raison que les préjugés, et de le faire souvenir des maximes qu'il a établies pour se bien conduire dans la recherche de la vérité.

Si j'y ai bien réussi, je ne prétends point en tirer de gloire; car je ne saurais dire comment tout cela m'est venu dans l'esprit, ne m'étant jamais formé jusqu'alors aucun sentiment sur cette matière; de sorte que si l'on trouve que j'y aie donné quelque jour, j'avouerai sans peine qu'il faut qu'il y ait eu plus de bonheur que d'adresse.

Que si, au contraire, je m'étais trompé, et que je më fusse ébloui moi-même, lorsque je me suis imaginé avoir découvert l'éblouissement des autres, il serait juste que j'en portasse la confusion. Et il me semble, autant que je puis sonder le fond de mon cœur, que je n'en appellerais point, et que je ne trouverais point mauvais que l'on me traitât

comme je l'aurais mérité, si j'avais été assez imprudent pour parler avec tant de confiance, n'ayant pas raison; car c'est une faute humaine et pardonnable de tomber innocemment dans quelque erreur qui n'a point de mauvaise suite: mais en quelque matière que ce soit, on a de la peine à excuser un homme qui ne se contente pas de combattre ce qu'il aurait dû approuver, mais qui le fait avec tant de présomption, qu'il entreprend de faire passer les égarements de son esprit pour de véritables démonstrations.

Mais je dis plus, Monsieur; quand il n'y aurait rien que de solide dans tout ce que j'ai écrit sur ce sujet des idées (comme je vous avoue de bonne foi qu'il m'est impossible de croire autre chose, tant que je n'aurai point d'autre lumière que celle que j'ai maintenant) je serai très-aise que si notre ami n'en est pas persuadé, et qu'il demeure toujours dans ses premiers sentiments, il les défende du mieux qu'il pourra, sans m'épargner, et en se servant des termes qu'il jugera les plus propres à faire voir qu'il n'a point tort; mais que c'est moi qui ai combattu mal à propos cette belle maxime si digne de Dieu : Que c'est en Dieu que nous voyons toutes choses.

RÉPONSE

DU PÈRE MALEBRANCHE

AU LIVRE

DES VRAIES ET DES FAUSSES IDÉES

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