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OBJECTIONS

CONTRE DESCARTES

LETTRE DE M. ARNAULD AU R. P. MERSENNE.

MON RÉVÉREND PERE,

Je mets au rang des signalés bienfaits la communication qui m'a été faite par votre moyen des Méditations de M. Descartes; mais comme vous en saviez le prix, aussi me l'avezvous vendue fort chèrement, puisque vous n'avez point voulu me faire participant de cet excellent ouvrage, que je ne me sois premièrement obligé de vous en dire mon sentiment. C'est une condition à laquelle je ne me serais point engagé si le désir de connaitre les belles choses n'était en moi fort violent, et contre laquelle je réclamerais volontiers si je pensais pouvoir obtenir de vous aussi facilement une exception pour m'être laissé emporter par cette louable curiosité, comme autrefois le préteur en accordait à ceux de qui la crainte ou la violence avait arraché le consentement.

Car que voulez-vous de moi? mon jugement touchant l'auteur? nullement; il y a longtemps que vous savez en quelle estime j'ai sa personne, et le cas que je fais de son esprit et de sa doctrine. Vous n'ignorez pas aussi les fàcheuses affaires qui me tiennent à présent occupé; et si vous avez meilleure opinion de moi que je ne mérite, il ne s'ensuit pas que je n'aie point de connaissance de mon peu de capacité. Cependant, ce que vous voulez soumettre à mon examen demande une très-haute suffisance avec beaucoup de tranquillité et de loisir, afin que l'esprit, étant dégagé de l'embarras des affaires du monde, ne pense qu'à soi-même; ce que vous jugez bien ne se pouvoir faire sans une méditation très-profonde et une très-grande récollection d'esprit. J'obéirai néanmoins, puisque vous le voulez; mais à condition que vous serez mon

garant et que vous répondrez de toutes mes fautes. Or, quoique la philosophie se puisse vanter d'avoir seule enfanté cet ouvrage, néanmoins, parce que notre auteur, en cela trèsmodeste, se vient lui-même présenter au tribunal de la théologie, je jouerai ici deux personnages dans le premier, paraissant en philosophe, je représenterai les principales difficultés que je jugerai pouvoir être proposées par ceux de cette profession touchant les deux questions de la nature de l'esprit humain et de l'existence de Dieu; et après cela, prenant l'habit d'un théologien, je mettrai en avant les scrupules qu'un homme de cette robe pourrait rencontrer en tout cet ouvrage.

DE LA NATURE DE L'ESPRIT HUMAIN.

La première chose que je trouve ici digne de remarque est de voir que M. Descartes établisse pour fondement et premier principe de toute sa philosophie, ce qu'avant lui saint Augustin, homme de très-grand esprit et d'une singulière doctrine, non-sculement en matière de théologie, mais aussi en ce qui concerne l'humaine philosophie, avait pris pour la base et le soutien de la sienne. Car dans le livre second du Libre arbitre, chap. 3, Alipius disputant avec Évodius, et voulant prouver qu'il y a un Dieu : « Premièrement, dit-il, « je vous demande, afin que nous commencions par les «< choses les plus manifestes, savoir: si vous êtes, ou si peut<«< être vous ne craignez point de vous méprendre en répon«< dant à ma demande; combien, qu'à vrai dire, si vous «< n'étiez point, vous ne pourriez jamais être trompé. » Auxquelles paroles reviennent celles-ci de notre auteur : « Mais <«< il y a un je ne sais quel trompeur très-puissant et très-rusé « qui met toute son industrie à me tromper toujours. Il est <«< donc sans doute que je suis, s'il me trompe. » Mais poursuivons, et, afin de ne nous point éloigner de notre sujet, voyons comment de ce principe on peut conclure que notre esprit est distinct et séparé du corps.

« Je puis douter si j'ai un corps, voire même je puis dou

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<«<ter s'il y a aucun corps au monde; et néanmoins, je ne puis «< pas douter que je ne sois ou que je n'existe tandis que je «< doute ou que je pense donc moi, qui doute et qui pense, « je ne suis point un corps; autrement, en doutant du corps, je douterais de moi-même. Voire même encore que je sou<«< tienne opiniâtrément qu'il n'y a aucun corps au monde, « cette vérité néanmoins subsiste toujours: je suis quelque «< chose, et partant je ne suis point un corps. » Certes, cela est subtil; mais quelqu'un pourra dire, ce que même notre auteur s'objecte: De ce que je doute, ou mème de ce que je nie qu'il y ait aucun corps, il ne s'ensuit pas pour cela qu'il n'y en ait point.

<< Mais aussi peut-il arriver que ces choses mêmes que je «< suppose n'être point, parce qu'elles me sont inconnues, ne <«< sont point en effet différentes de moi, que je connais? Je <«< n'en sais rien, dit-il, je ne dispute pas maintenant de cela. << Je ne puis donner mon jugement que des choses qui me sont <«< connues; je connais que j'existe, et je cherche quel je suis, « moi que je connais être. Or, il est très-certain que cette << notion et connaissance de moi-même, ainsi précisément « prise, ne dépend point des choses dont l'existence ne m'est « pas encore connue. »>

Mais puisqu'il confesse lui-même que, par l'argument qu'il a proposé dans son traité de la Méthode, la chose en est venue seulement à ce point, qu'il a été obligé d'exclure de la nature de son esprit tout ce qui est corporel et dépendant du corps, non pas eu égard à la vérité de la chose, mais sculement suivant l'ordre de sa pensée et de son raisonnement, en telle sorte que son sens était qu'il ne connaissait rien qu'il sût appartenir à son essence, sinon qu'il était une chose qui pense, il est évident par cette réponse que la dispute en est encore aux mêmes termes, et partant que la question dont il nous promet la solution demeure encore en son entier : à savoir, comment, de ce qu'il ne connaît rien autre chose qui appartienne à son essence, sinon qu'il est une chose qui

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