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ET DES

FAUSSES IDÉES,

OU L'ON CROIT AVOIR DÉMONTRÉ QUE CE QU'EN DIT L'AUTEUR DU LIVRE DE LA RECHERCHE DE LA VÉRITÉ N'EST APPUYÉ QUE SUR DE FAUX PRÉJUGÉS, ET QUE RIEN N'EST PLUS MAL FONDÉ QUE CE QU'IL PRÉTEND QUE NOUS VOYONS TOUTES CHOSES EN DIEU.

Je vous ai donné avis, Monsieur, du dessein que j'avais d'examiner le Traité de la Nature et de la Grâce,, et de donner au public le jugement que j'en ferais. Je n'ai point douté que vous ne fissiez voir ma lettre à l'auteur du Traité, et que vous ne jugeassiez bien, comme vous avez fait aussi, que c'était pour cela même que je l'avais écrite, m'étant persuadé qu'il était plus honnête et plus chrétien d'agir avec cette franchise que d'attaquer un ami comme en cachette, et en lui dissimulant ce que je ne devais pas croire qui lui déplairait, puisqu'il aurait fallu, pour cela, que je l'eusse soupçonné de n'être pas sincère dans la profession qu'il fait d'aimer uniquement la vérité.

Je me sais bon gré de n'avoir pas eu cette pensée de notre ami, et j'apprends avec bien de la joie, par votre réponse, que je ne me suis pas trompé quand j'ai cru qu'il était dans une disposition toute contraire à celle qui fait dire à saint Augustin que celui-là s'aime d'un amour bien déréglé qui aime mieux que les autres soient dans l'erreur que non pas, que l'on découvre qu'il y est lui-même : Nimis perverse seipsum amat, qui alios vult errare, ut error suus lateat.

Car vous m'assurez « que lui ayant fait voir ma première «<lettre, que vous aviez bien cru que j'avais écrite pour lui « être montrée, il vous a témoigné être dans les mêmes sen<«<timents que moi pour ce qui regarde la manière d'écrire <«< contre les opinions de nos amis, et qu'il n'était point fâché « que j'écrivisse contre son Traité. »

Je suis donc en repos de ce côté-là. Mais je crains que vous ne soyez surpris de voir que ce n'est pas encore l'ouvrage que vous attendiez, et que ce n'en peut être que le préambule. Voici ce qui en a été la cause :

Notre ami nous a avertis, dans la seconde édition de son Traité de la Nature et de la Grâce que, pour le bien entendre, il serait à propos que l'on sût les principes établis dans le livre de la Recherche de la Vérité, et il a marqué en particulier ce qu'il a enseigné de la nature des idées, c'est-à-dire de l'opinion qu'il a que nous voyons toutes choses en Dieu.

Je me suis donc mis à étudier cette matière, et, m'y étant appliqué avec soin, j'ai trouvé si peu de vraisemblance, pour ne rien dire de plus fort, dans tout ce que notre ami enseigne sur ce sujet, qu'il m'a semblé que je ne pouvais mieux faire que de commencer par là à lui montrer qu'il a plus de sujet qu'il ne pense de se défier de quantité de spéculations qui lui ont paru certaines, afin de le disposer, par cette expérience sensible, à chercher plutôt l'intelligence des mystères de la grâce dans la lumière des saints que dans ses propres pensées.

Je me persuade, Monsieur, que vous en conviendrez avec moi quand vous aurez considéré combien il est différent de lui-même dans cette matière des idées, et combien il y a peu suivi les règles qu'il donne aux autres pour raisonner avec justesse.

Vous en jugerez par la suite de ce Traité. J'ajouterai seulement que si j'y ai donné quelque jour à une matière, qui a paru jusqu'ici fort obscure et fort embrouillée, ce n'a été qu'en m'attachant d'une part aux notions claires et natu

relles que tout le monde peut trouver dans soi-même, pour peu que l'on fasse d'attention à ce qui se passe dans son esprit, et en observant de l'autre les règles suivantes, que j'ai cru à propos de mettre d'abord, afin que, si on les approuve, on puisse entrer de soi-même dans les mêmes vérités en suivant le même chemin.

CHAPITRE PREMIER.

Règles qu'on doit avoir en vue pour chercher la vérité dans cette matière des idées et beaucoup d'autres semblables.

Ces règles sont, ce me semble, si raisonnables que je ne crois pas qu'il y ait aucun homme de bon sens qui ne les approuve, et qui, au moins, ne demeure d'accord qu'on ne saurait mieux faire que de les observer quand on le peut, et que c'est le vrai moyen d'éviter, dans les sciences naturelles, beaucoup d'erreurs auxquelles on s'engage souvent sans y penser.

La première est de commencer par les choses les plus simples et les plus claires, et qui sont telles, qu'on n'en peut douter, pourvu qu'on y fasse attention.

La deuxième, de ne point brouiller ce que nous connaissons clairement par des notions confuses dont on voudrait que nous nous servissions pour l'expliquer davantage; car ce serait vouloir éclairer la lumière par les ténèbres.

La troisième est de ne chercher point de raisons à l'infini, mais de demeurer à ce que nous savons être de la nature d'une chose, ou en être certainement une qualité : comme on ne doit point demander de raison pourquoi l'étendue est divisible, et que l'esprit est capable de penser, parce que la nature de l'étendue est d'être divisible, et que celle de l'esprit est de penser.

La quatrième est de ne point demander de définition des

termes qui sont clairs d'eux-mêmes, et que nous ne pour→ rions qu'obscurcir en les voulant définir, parce que nous ne pourrions les expliquer que par de moins clairs: tels sont les mots de penser et d'étre dans cette proposition: Je pense, donc je suis. De sorte que c'était une fort méchante objection que celle qui fut faite à M. Descartes, en ces termes, dans les sixièmes Objections : « Afin que vous sachiez que << vous pensez, et que vous puissiez conclure de là que vous «< êtes, vous devez savoir ce que c'est que penser et ce que «< c'est qu'être; et ne sachant pas encore ni l'un ni l'autre, <«< comment pouvez-vous être certain que vous êtes, puisqu'en « disant: Je pense, vous ne savez ce que vous dites, et que << vous le savez aussi peu en disant : Donc je suis? » A quoi M. Descartes a répondu qu'il n'y a personne qui ne sache assez ce que c'est que penser et ce que c'est qu'être, sans avoir besoin qu'on lui ait jamais défini ces mots, pour être très-assuré qu'il ne se trompe pas, quand il dit: Je pense, donc je suis.

La cinquième est de ne pas confondre les questions où on doit répondre par la cause formelle avec celles où on doit répondre par la cause efficiente, et de ne pas demander de cause formelle de la cause formelle, ce qui est une source de beaucoup d'erreurs, mais répondre alors par la cause efficiente. On entendra mieux cela par un exemple : On me demande pourquoi ce morceau de plomb est rond; je puis répondre par la définition de la rondeur (ce qui est répondre par la cause formelle), en disant que c'est parce que, si on conçoit des lignes droites tirées de tous les points de la surface que l'on voudra à un certain point du dedans de ce morceau de plomb, elles sont toutes égales. Mais si on continue à demander d'où vient que la surface extérieure de ce plomb est telle que je viens de dire, et qu'elle n'est pas disposée comme elle devrait être, afin que ce plomb fùt un cube, un péripatéticien en cherchera une autre cause formelle, en disant que c'est à cause que ce plomb a reçu une

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