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nouvelle qualité appelée rondeur, qui a été tirée du sein de sa matière pour le rendre rond, et qu'il n'a pas une autre qualité qui l'aurait déterminé à être cube. Mais le bon sens doit faire répondre par la cause efficiente, en disant que la surface extérieure de ce morceau de plomb est telle que l'on vient de dire, parce que, étant fondu, il a été jeté dans un moule creux, dont la surface concave était telle qu'il fallait pour rendre la convexe du plomb telle qu'il fallait, afin que de tous ses points, etc.

La sixième est de prendre bien garde de ne pas concevoir les esprits comme les corps, ni les corps comme les esprits, en attribuant aux uns ce qui ne convient qu'aux autres, comme quand on attribue aux corps la crainte du vide, et aux esprits d'avoir besoin de la présence locale de leurs objets pour les apercevoir.

La septième, de ne pas multiplier les êtres sans nécessité, ainsi qu'on fait si souvent dans la philosophie ordinaire, comme lorsque, par exemple, on ne veut pas que les divers arrangements et configurations des parties de la matière suffisent pour faire une pierre, de l'or, du plomb, du feu, de l'eau, s'il n'y a encore une forme substantielle de pierre, d'or, de plomb, de feu, d'eau, réellement distinguée de tout ce que l'on peut concevoir d'arrangements et de configurations des parties de la matière,

Il reste maintenant de faire voir ce que je crois qu'on peut trouver facilement, en suivant ce peu de règles touchant la manière dont nous devons concevoir notre âme et ses opérations quant à l'une de ses facultés, qui est l'entendement,

CHAPITRE II.

Des principales choses que chacun peut connaître de son âme en se consultant soi-même avec un peu d'attention.

Saint Augustin a reconnu longtemps avant M. Descartes que, pour découvrir la vérité, nous ne pouvions commencer par rien de plus certain que par cette proposition : Je pense, donc je suis. Et il rapporte à je pense toutes les différentes manières dont nous pensons, soit en sachant certainement quelque chose, ce qu'il appelle intelligere, soit en doutant, soit en nous ressouvenant. Car il est certain, dit-il, que nous ne pouvons rien faire de tout cela que nous n'ayons en même temps des preuves certaines de notre existence. Et il conclut de là qu'afin que l'âme se connaisse, elle n'a qu'à se séparer des choses qu'elle peut séparer de sa pensée, et que ce qui restera sera ce qu'elle est, c'est-à-dire que l'àme ne peut être autre chose qu'une substance qui pense ou qui est capable de penser. Il s'ensuit de là que nous ne pouvons bien connaître ce que nous sommes que par une sérieuse attention à ce qui se passe en nous, mais qu'il faut pour cela prendre un soin particulier de n'y rien mêler dont nous ne soyons certains, en nous consultant nous-mêmes, quand nous trouverions de la difficulté à l'expliquer par des mots qui, n'ayant ordinairement été inventés que par des hommes qui n'étaient attentifs qu'à ce qui se passait dans leur corps et dans ceux qui l'environnaient, n'ont été guère propres à attacher les opérations de leur esprit à des sons particuliers qui nous fussent une occasion d'y penser.

Or, quand notre esprit étant délivré des préjugés de l'enfance est arrivé jusqu'à connaître que sa nature est de penser, il reconnait facilement qu'il serait aussi déraisonnable de se demander pourquoi il pense, que si au regard de l'étendue il demandait pourquoi elle est divisible et capable de diffé

rentes figures et de différents mouvements; car, comme il a été dit dans la cinquième règle, quand on est arrivé jus– qu'à connaître la nature d'une chose, on n'a plus rien à chercher ni à demander quant à la cause formelle. Et ainsi je puis seulement me demander pourquoi mon esprit est, et pourquoi l'étendue est; et alors je dois répondre par la cause efficiente, que c'est parce que Dieu a créé l'un et l'autre.

Comme donc il est clair que je pense, il est clair aussi que je pense à quelque chose, c'est-à-dire que je connais et que j'aperçois quelque chose; car la pensée est essentiellement cela. Et ainsi, ne pouvant y avoir de pensée ou de connaissance sans objet connu, je ne puis non plus me demander à moi-même la raison pourquoi je pense à quelque chose, que pourquoi je pense, étant impossible de penser qu'on ne pense à quelque chose. Mais je puis bien me demander pourquoi je pense à une chose plutôt qu'à une autre.

Les changements qui arrivent dans les substances simples ne font pas qu'elles soient autre chose que ce qu'elles étaient, mais seulement qu'elles sont d'une autre manière qu'elles n'étaient; et c'est ce qui doit faire distinguer les choses ou les substances d'avec les modes, ou manière d'être, que l'on peut appeller aussi des modifications. Mais, les vraies modifications ne se pouvant concevoir sans concevoir la substance dont elles sont modifications, si ma nature est de penser, et que je puisse penser à diverses choses, sans changer de nature, il faut que ces diverses pensées ne soient que différentes modifications de la pensée qui fait ma nature. Peut-être qu'il y a quelque pensée en moi qui ne change point et qu'on pourrait prendre pour l'essence de mon âme. (Ce n'est qu'un doute que je propose, car cela n'est pas nécessaire à ce que j'ai à dire dans la suite.) J'en trouve deux qu'on pourrait croire être telles : la pensée de l'Etre universel, et celle qu'a l'âme de soi-même, car il semble que l'une et l'autre se trouve dans toutes les autres pensées. Celle de l'Etre universel, parce qu'elle enferme toute l'idée de l'ètre, notre

âme ne connaissant rien que sous la notion d'être ou possible ou existant; et la pensée que notre âme a de soi-même, parce que, quoi que ce soit que je connaisse, je connais que je le connais, par une certaine réflexion virtuelle qui accom pagne toutes mes pensées.

Je me connais donc moi-même en connaissant toutes les autres choses. Et en effet, c'est par là principalement, ce me semble, que l'on doit distinguer les êtres intelligents de ceux qui ne le sont pas, de ce que les premiers sunt conscia sui et suæ operationis, et les autres non. C'est-à-dire que les uns connaissent qu'ils sont et qu'ils agissent, et que les autres ne le connaissent point. Ce qui se dit plus heureusement en latin qu'en français.

Mais, quelque soin que nous prenions de nous consulter nous-mêmes, nous ne sentons point qu'il y ait autre chose dans les pensées de notre âme qui peuvent changer, et que nous jugeons par là n'en être que des modifications, que dans celles qui ne changent point; car dans les unes et dans les autres nous ne voyons autre chose que la perception et la connaissance d'un objet. Nous ne ferions donc que nous embarrasser et nous éblouir, si nous voulions chercher comment la perception d'un objet peut être en nous, ou ce que l'on entend par là; parce que nous trouverons, si nous y voulons prendre garde, que c'est la même chose que de demander comment la matière peut être divisible ou figurée, ou ce que l'on entend par être divisible et figuré. Car, puisque la nature de l'esprit est d'apercevoir les objets, les uns nécessairement, pour parler ainsi, et les autres contingemment, il est ridicule de demander d'où vient que notre esprit aperçoit les objets; et ceux qui ne veulent pas voir ce que c'est qu'apercevoir les objets en se consultant eux-mêmes, je ne sais pas comment le leur faire mieux entendre.

Ainsi, au regard de la cause formelle de la perception des objets il n'y a rien à demander; car rien ne peut être plus clair, pourvu qu'on ne s'arrête qu'à ce que l'on voit claire

ment dans soi-même, et qu'on n'y mêle point d'autres choses que l'on n'y voit point, mais qu'on s'est imaginé faussement y devoir être, ce qui a produit toutes les erreurs des hommes touchant leur âme, comme saint Augustin a très-judicieusement remarqué dans le livre X de la Trinité.

Mais la seule question raisonnable que l'on peut faire sur cela ne peut regarder que la cause efficiente de nos perceptions contingentes, c'est-à-dire ce qui est cause que nous pensons tantôt à une chose et tantôt à une autre; car, pour les nécessaires, on ne peut douter que ce ne soit Dieu. Et c'est de quoi nous nous réservons à parler à la fin de ce Traité.

CHAPITRE III.

Que l'auteur de la Recherche de la Vérité a parlé autrement des idées dans les deux premiers livres de son ouvrage que dans le troisième livre, où il en traite exprès.

Ce que je viens de dire de l'âme et de ses perceptions est si conforme à nos notions naturelles que l'auteur même de la Recherche de la Vérité en a parlé de la même sorte quand il n'a consulté que les premières notions qui lui sont venues dans l'esprit sur cela, et qu'il ne les a point embrouillées par d'autres notions philosophiques, qu'il a cru trop facilement être véritables dans le fond, et n'avoir besoin que d'être rectifiées.

Voici donc premièrement ses sentiments purs et naturels touchant cette matière, et nous verrons qu'il y a très-peu de chose qui ne se puisse très-bien accorder avec ce que nous venons de dire, quoiqu'il y ait peut-être quelques expres sions ambigues et qu'il a pu prendre dans le faux sens de ces idées mal entendues, mais qui de soi-même peuvent aussi être prises dans le sens de la vérité.

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