Immagini della pagina
PDF
ePub

Il dit généralement, tout au commencement du troisième livre : « que si, par l'essence d'une chose, on entend ce que « l'on conçoit de premier dans cette chose, duquel dépendent <«< toutes les modifications que l'on y remarque, on ne peut << douter que l'essence de l'esprit ne consiste dans la pensée. » Mais il explique plus au long ce qui se passe dans notre âme dans le premier chapitre du premier livre, en se servant de la comparaison de la matière avec l'esprit :

« La matière ou l'étendue renferme en elle deux propriétés, <«< ou deux facultés. La première faculté est celle de recevoir « différentes figures, et la seconde est la capacité d'ètre mue. «< De même l'esprit de l'homme renferme deux facultés : la << première, qui est l'entendement, est celle de recevoir plu«<sieurs idées, c'est-à-dire d'apercevoir plusieurs choses; la <«< seconde, qui est la volonté, est celle de recevoir plusieurs « inclinations, ou de vouloir différentes choses. Nous expli« querons d'abord les rapports qui se trouvent entre la pre<< mière des deux facultés qui appartiennent à la matière, et « la première de celles qui appartiennent à l'esprit. >>

Remarquez bien ces paroles: recevoir plusieurs idées, c'està-dire apercevoir plusieurs choses; car on n'aura besoin dans la suite que de mettre cette définition en la place du défini, pour ruiner la fausse notion des idées qu'il donne ailleurs, en voulant que nous les concevions comme de certains étres représentatifs des objets, réellement distingués des perceptions et des objets.

« L'étendue est capable de recevoir de deux sortes de « figures. Les unes sont seulement extérieures, comme la << rondeur à un morceau de cire; les autres sont intérieures, « et ce sont celles qui sont propres à toutes les petites parties <«< dont la cire est composée; car il est indubitable que toutes « les petites parties qui composent un morceau de cire ont « des figures fort différentes de celles qui composent un mor« ceau de fer. J'appelle done simplement figure celle qui est « extérieure, et j'appelle configuration la figure qui est inté

<< rieure et qui est nécessairement propre à la cire afin « qu'elle soit ce qu'elle est.

« On peut dire de même que les idées de l'âme sont de <«< deux sortes, en prenant le nom d'idée en général pour << tout ce que l'esprit aperçoit immédiatement. Les premières <«< nous représentent quelque chose hors de nous, comme «< celle d'un carré, d'une maison, etc. Les secondes ne nous <«< représentent que ce qui se passe dans nous, comme nos <«< sensations, la douleur, le plaisir, etc. Car on fera voir dans << la suite que ces dernières idées ne sont rien autre chose « qu'une manière d'être de l'esprit, et c'est pour cela que je << les appellerai des modifications de l'esprit. >>

Les définitions des mots sont libres. Il est fâcheux néanmoins de donner à une espèce le nom du genre, et ne le point donner du tout à l'autre espèce; car cela peut empècher qu'on ne considère cette autre espèce comme ayant part à la notion du genre. Et ainsi, pour éviter cet inconvénient, qu'il me soit permis aussi de faire mon dictionnaire et de dire que la perception d'un carré est une modification de mon âme, aussi bien que la perception d'une couleur; car la perception d'un carré est quelque chose à mon âme. Or, ce n'en est pas l'essence : c'en est donc une modification. De plus, selon cet auteur, la perception d'un carré est à mon âme ce que la figure est à l'étendue. Or, la figure est une modification de l'étendue: donc, recevoir l'idée d'un carré, c'est-à-dire apercevoir un carré, est une modification de mon âme. Cependant il faut encore remarquer ici qu'il prend le mot d'idée pour perception et non pour un certain être représentatif, dont il prétend ailleurs que nous avons besoin pour apercevoir les choses; car il demeure d'accord, dans le troisième livre, partie 11, chapitre 1er, qu'au regard des sensations, c'est-à-dire dans les perceptions des couleurs, de la lumière, etc., l'âme n'a pas besoin de ces étres représentatifs, et cependant il appelle ces perceptions des idées.

« On pourrait appeler aussi les inclinations de l'àme, des

<< modifications de la même âme; car, puisqu'il est constant << que l'inclination de la volonté est une manière d'être de «< l'âme, on pourrait l'appeler modification de l'âme. »

Cela me suffit. Quelque raison qu'il croie avoir de ne la pas appeler modification, ce m'est assez qu'elle en soit une, comme il l'avoue, pour la croire telle et l'appeler de ce nom.

Il dit ensuite que notre âme est entièrement passive au regard des perceptions, mais non au regard des inclinations; d'où j'aurais à tirer des conséquences très-importantes, mais je les réserve pour un autre lieu, parce qu'elles ne regardent que la cause des idées et non leur nature. Or, c'est de la nature des idées que je veux présentement vous entretenir. C'est pourquoi je me contente de vous faire remarquer que l'auteur de la Recherche de la Vérité, ayant souvent parlé de ces idées dans le premier chapitre de son livre, il a marqué en diverses manières que les idées des objets, et les perceptions des objets, étaient la même chose. Et ce qui est remarquable, afin qu'on ne croie pas que cela lui est échappé, c'est que, dans la deuxième partie du deuxième livre, il continue à prendre le mot d'idée dans la même notion, surtout dans le troisième chapitre. Car, ce qu'il appelle dans le titre de ce chapitre la liaison mutuelle des idées de l'esprit et des traces du cerveau, il l'appelle, dans le chapitre même, la correspondance naturelle et mutuelle des pensées de l'âme et des traces du cerveau. Il croyait donc alors qu'idées étaient la mème chose que pensées. Et on n'a aussi qu'à lire ce chapitre pour être convaincu qu'il y prend partout, pour deux termes synonymes, les idées et les pensées. Cependant, il est clair que quand il parle à fond de la nature des idées, dans la deuxième partie du troisième livre, et dans les Éclaircissements, ce ne sont plus les pensées de l'âme et les perceptions des objets qu'il appelle idées, mais de certains étres représentatifs des objets, différents de ces perceptions, qu'il dit exister véritablement et étre nécessaires pour apercevoir tous les objets matériels.

Je veux bien ne me pas arrêter à la contradiction qui paraît en cela; car il pourrait n'y en avoir pas, mais seulement un manquement d'exactitude, en ce qu'il aurait pris un même mot en deux différentes manières, sans nous en avoir suffisamment avertis. Mais je soutiens deux choses:

La première, que les idées prises en ce dernier sens sont de vraies chimères, qui, n'ayant été inventées que pour nous mieux faire comprendre comment notre âme, qui est immatérielle, peut connaître les choses matérielles que Dieu a créées, nous le fait si peu entendre, que le fruit de ces spéculations est de nous vouloir persuader, après un long circuit, que Dieu n'a donné aucun moyen à nos âmes d'apercevoir les corps réels et véritables qu'il a créés, mais seulement des corps intelligibles qui sont hors d'elles et qui ressem

blent aux corps réels.

La deuxième est que cet auteur, qui est l'homme du monde qui parle avec le plus de force contre ceux qui quittent les notions claires, qu'ils trouvent en eux-mêmes, pour suivre des notions confuses qui leur sont restées des préjugés de leur enfance, n'est tombé lui-même dans les pensées extraordinaires que j'entreprends de réfuter, que pour ne s'être pu défaire entièrement de ces préjugés, et en avoir retenu un faux principe, qui lui est commun avec presque tous les philosophes de l'école, mais qui l'a mené dans des sentiments plus étranges que les autres, parce qu'il l'a poussé plus loin qu'eux; comme de plusieurs qui se sont détournés du vrai chemin, il n'y en a point qui s'égare davantage que celui qui court avec plus de force.

C'est par ce dernier, Monsieur, que je commencerai; car on reconnaîtra plus facilement la fausseté des paradoxes qu'il a avancés sur cette matière, quand on en aura découvert la cause. Pardonnez-moi, Monsieur, si je me sers de termes si forts. Ce n'est, ce me semble, que l'amour de la vérité et le désir de la faire mieux entendre qui m'y oblige, sans que je cesse pour cela d'avoir toujours beaucoup d'es

time pour la personne que je réfute. Je trouve seulement en ceci un grand exemple de l'infirmité humaine, qui fait que des esprits, fort éclairés d'ailleurs et fort pénétrants, peuvent tomber en de fort grandes erreurs en philosophant sur ces matières abstraites, sitôt qu'ils se sont laissés aller par mégarde à suivre comme vrai un principe commun qu'ils n'ont pas pris assez de soin d'examiner, qui se trouve n'être pas vrai; car la fausseté est féconde aussi bien que la vérité: un faux principe qu'on aura admis pour vrai, faute d'y avoir pris garde d'assez près, n'étant pas moins capable de nous engager en des opinions très-absurdes qu'un seul principe véritable et important est capable de nous découvrir beaucoup d'autres vérités.

CHAPITRE IV.

Que ce que l'auteur de la Recherche de la Vérité dit de la nature des idées, dans son troisième livre, n'est fondé que sur des imaginations qui nous sont restées des préjugés de l'enfance.

Comme tous les hommes ont été d'abord enfants, et qu'alors ils n'étaient presque occupés que de leur corps et de ce qui frappait leurs sens, ils ont été longtemps sans connaître d'autre vue que la vue corporelle, qu'ils attribuaient à leurs yeux; et ils n'ont pu s'empêcher de remarquer deux choses dans cette vue: l'une, qu'il fallait que l'objet fût devant nos yeux afin que nous le pussions voir, ce qu'ils ont appelé présence; et c'est ce qui leur a fait regarder cette présence de l'objet comme une condition nécessaire pour voir; l'autre, qu'on voyait aussi quelquefois les choses visibles dans les miroirs ou dans l'eau, ou d'autres choses qui nous le représentaient; et alors ils ont cru, quoique par erreur, que ce n'était pas les corps mêmes que l'on voyait, mais leurs images. Voilà la seule idée qu'ils ont eue longtemps de ce qu'ils ont ap

« IndietroContinua »