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empêchait notre âme de le voir, à moins que cet empêchement ne fût levé; ou parce que notre âme, sortant de notre corps, irait trouver le soleil, ce qui n'est pas vraisemblable, ou parce que quelque être représentatif du soleil viendrait s'unir intimement à notre âme, pour suppléer à son absence. Car, s'il était maintenant forcé d'avouer que la présence locale, ou l'éloignement local ne fait rien à un corps, pour pouvoir ou ne pouvoir pas être l'objet de notre esprit, ce qu'il dit de l'éloignement du soleil, et de ce que notre âme ne sort pas de notre corps pour l'aller trouver, serait aussi peu raisonnable, que si, parlant d'un bas Breton, qui m'aurait parlé en sa langue que je n'entends pas, je me plaignais de n'avoir pu rien comprendre à tout ce qu'il m'aurait dit, parce qu'il m'aurait parlé trop bas; ce qui serait sans doute ridicule, puisqu'au regard d'une langue que je n'entends point, que l'on me la parle bas, ou que l'on me la parle haut, c'est pour moi la même chose. L'application est aisée à faire.

Que si, pour ne pas tomber dans cet inconvénient, il persistait toujours à nous expliquer cette présence d'une présence locale, l'argument que j'ai fait contre demeure donc dans toute sa force. Et en voici encore un autre que je ne crois pas moins fort.

Il est certain, par la sixième demande, que mon esprit n'aperçoit pas seulement les choses matérielles singulières, comme un tel carré, un tel triangle, un tel cube, mais qu'il conçoit un carré en général, un triangle en général, un cube en général; et sans cela il n'y aurait point proprement de géométrie; car, quand un géomètre démontre les propriétés d'un carré ou d'un triangle, ce n'est point d'un tel carré ou d'un tel triangle, mais de tout carré et de tout triangle.

Or, ces sortes d'objets, quoique corporels, un carré en général, un triangle en général, un cube en général, ne sont nulle part localement; et ce qui n'est nulle part localement ne peut être localement ni présent ni absent de mon âme.

Et il en est de même des nombres abstraits qui sont l'objet de l'arithmétique.

On ne peut donc dire raisonnablement que c'est parce qu'ils sont absents localement de mon âme, qu'ils ont besoin d'étres représentatifs, qui suppléent à cette absence, pour en pouvoir être connus.

Voici encore une autre raison qui, pour être un peu subtile, n'en sera pas moins bonne.

Parce que c'est une condition de l'objet de la volonté d'être bon ou de le paraître, afin d'en pouvoir être aimé, il est impossible que notre volonté aime un objet que comme bon. D'où il s'ensuit, ce me semble, que si c'était une condition de l'objet de l'entendement d'être présent localement à notre âme pour en être connu, il faudrait que, comme notre volonté ne peut rien aimer comme mauvais, notre entendement ne pût aussi rien concevoir comme absent localement de notre âme.

Or, nous ne pouvons douter que notre esprit ne conçoive une infinité de choses, comme absentes du lieu où est notre âme comme quand, par exemple, la mère du jeune Tobie pleurait si amèrement de ce qu'il tardait à revenir, il est bien certain que son esprit le concevait comme absent d'elle.

Donc, la présence locale n'est point une condition nécessaire à ce qu'un objet puisse être vu de notre âme, et par conséquent l'absence locale ne fait rien aussi à ce qu'il n'en puisse être vu.

On ne s'est avisé de s'imaginer le contraire que parce que depuis le péché, n'étant presque appliqués qu'au soin de la conservation de notre machine, principalement dans l'enfance, qui dure longtemps en bien des gens, nous avons bien de la peine à nous élever au-dessus de la matière et à concevoir spirituellement les choses spirituelles. Nous y mêlons presque toujours des notions de ce qui ne convient qu'aux corps, et nous nous imaginons qu'en les laissant dans le même

genre nous les avons néanmoins mises en état d'être attribuées aux esprits, en les concevant, à ce qu'il nous semble, d'une manière un peu moins grossière que quand nous les attribuons aux corps. C'est ce qui fait que saint Thomas a raison de dire, après Boèce, qu'il y a des maximes très-claires et très-certaines, qui ne sont néanmoins telles qu'à l'égard des sages, et qui n'entrent point dans l'esprit du peuple, dont ils donnent pour exemple que les choses incorporelles ne sont point dans un lieu : Quædam sunt communes animi conceptiones, et per se nota, apud sapientes tantum, ut incorporalia in loco non esse. Car il n'y a presque personne qui, quoique persuadé que notre âme est incorporelle, ne croie que pour être, il faut qu'elle soit en quelque lieu, et qu'elle aurait cessé d'être, si elle n'était quelque part. Il ne faut donc pas s'étonner si on a changé, sans presque s'en apercevoir, la présence objective, qui est la seule nécessaire à un corps aussi bien qu'à toute autre chose, pour être connu de notre esprit, mais qui n'est point différente de la connaissance même; si on l'a, dis-je, changée en une présence locale (le mot de présence étant beaucoup plus lié à cette notion qu'à l'autre), et si ensuite on a tiré de la supposition de cette présence locale comme nécessaire, afin qu'un objet puisse être en état d'être aperçu par notre âme, toutes les conséquences bizarres que nous ont enfantées ces étres représentatifs, qui doivent suppléer à l'absence des corps, sauf à disputer entre ceux qui conviennent en général de la nécessité de ces êtres chimériques ce qu'on doit entendre par là, et quelle est leur origine; car il est assez plaisant qu'ils commencent tous par ne point douter qu'il ne faille nécessairement qu'une chose soit parce qu'ils croient en avoir besoin, pour expliquer comment notre âme, sans sortir de son corps, peut voir le soleil, qui en est éloigné de tant de millions de lieues, sauf à chercher ensuite à loisir ce que ce sera qui leur rendra ce bon office de leur donner le moyen d'expliquer ce qu'ils verraient clairement n'avoir pas besoin de leurs prétendues explications, s'ils

avaient voulu prendre la peine de consulter ce qui se passe dans leur esprit, sans y vouloir mêler des choses qu'ils n'y trouvent point, et qui ne conviennent qu'à leur machine, comme est la considération de la présence ou de l'absence locale.

CHAPITRE IX.

TROISIÈME DÉMONSTRATION.

Celle-ci sera plus courte. Elle consistera à faire voir qu'une proposition, qu'il joint aux précédentes, et qui ne lui paraît pas moins considérable, est encore une proposition équivoque, qui dans un sens est véritable, mais entièrement inutile à son dessein; et dans l'autre est très-fausse, et suppose ce qui est en question.

Cette proposition est : « Il faut bien remarquer qu'afin que « l'esprit aperçoive quelque chose, il est absolument néces« saire que l'idée de cet objet lui soit actuellement présente; <«< mais il n'est pas nécessaire qu'il y ait au dehors quelque «< chose de semblable à cette idée. »>

J'ai fait voir dans les chap. 3 et 4 que dans le commencement de son ouvrage il prend le mot d'idée pour la perception même; mais que dans le lieu où il traite expressément de la nature des idées, il le prend pour un certain être représentatif, distingué réellement de la perception et de l'objet. Ainsi, on ne peut porter aucun jugement de cette proposition, si on ne lève auparavant l'ambiguïté du mot d'idée; et pour cela il en faut faire deux propositions, en mettant dans chacune l'une des deux définitions en la place du défini.

Voici la première, où le mot d'idée sera pris pour la perception même. « Il faut bien remarquer qu'afin que l'esprit << aperçoive quelque objet, il est absolument nécessaire que << l'idée de cet objet (prise pour sa perception) lui soit actuel

«<lement présente il n'est pas possible d'en douter; mais il << n'est pas nécessaire qu'il y ait au dehors quelque chose de << semblable à cette perception. »

Rien n'est plus vrai que cette proposition, prise en ce sens, dans toutes ces deux parties; car comment notre esprit pourrait-il apercevoir quelque chose, s'il n'en avait l'idée, c'est-à-dire, la perception? Il est certain aussi que la perception de plusieurs choses est actuellement dans notre esprit, quoique ces choses ne soient pas actuellement hors de nous.

Et voici la deuxième proposition, où le mot d'idée est pris comme dans le premier chapitre de la deuxième partie du troisième livre, qui est l'endroit que nous examinons présentement, pour un certain être représentatif, distingué de la perception, qui supplée à l'absence des objets, et met par là l'esprit en état de les pouvoir connaître.

<«< Il faut bien remarquer qu'afin que l'esprit aperçoive « quelque objet, il est absolument nécessaire que cet être « représentatif, à qui je viens de donner le nom d'idée, lui << soit actuellement présent: il n'est pas possible d'en douter. << Mais il n'est pas nécessaire qu'il y ait au dehors quelque «< chose de semblable à cet être représentatif. >>

Mais cette proposition étant conçue en ces termes, nonseulement il est possible d'en douter, mais je la nie absolument dans sa première partie, ne voyant aucun besoin de ce prétendu être représentatif pour connaître aucun objet, ou présent ou absent. Et ainsi, supposer qu'il n'est pas possible de douter de la nécessité de cet être représentatif, c'est manifestement supposer ce qui est en question. Et, pour la deuxième partie, s'il n'est pas nécessaire qu'il y ait au dehors quelque chose de semblable à l'être représentatif, il n'est pas plus nécessaire qu'il y ait au dehors quelque chose d'existant qui soit semblable à la perception que j'ai du soleil. D'où il s'ensuit, que ce n'est pas une raison qui m'oblige d'avoir recours à ces étres représentatifs, distingués des perceptions, de ce que je pourrais concevoir le soleil, quoiqu'il n'y eût

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