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possédé par moi, et entrer en quelque sorte dans ma vie, doit aller aussi jusqu'à ma conscience. La conscience ne connaît qu'elle-même et son opération (conscia sui et suæ operationis); et elle a pour objets, les sentiments, les volontés et les idées. L'idée est donc véritablement un intermédiaire entre moi et l'objet externe de ma connaissance, soit que l'idée ait une nature et une essence propre, ou qu'elle existe dans la pensée de Dieu, ou qu'elle soit simplement un état particulier de ma faculté de connaître. Il est donc facile de comprendre, même sans entrer dans la considération de l'essence des idées, la distinction que Malebranche fait ici entre la perception du moi, et celle des objets extérieurs.

Quant à la connaissance immédiate de Dieu, qu'il nous accorde, on ne saurait l'expliquer par les mêmes principes sans faire que nous ayons immédiatement conscience de la nature de Dieu, et que, par conséquent, nous soyons un même être avec lui. Cette expression, que nous voyons Dieu sans idée, doit être entendue dans le sens de la vision en Dieu, et signifie seulement que c'est Dieu même que nous voyons et non pas l'idée que Dieu a de lui-même. Ainsi, en prenant les mots dans le sens que nous avons exposé tout à l'heure, et qui est le sens ordinaire, il faut dire que si nous connaissons Dieu et que ce ne soit pas par la conscience, nous le connaissons par l'idée que s'en forme notre faculté de connaître; et si on les prend dans le sens de Malebranche, qui soutient que notre faculté ne peut directetement s'appliquer aux objets extérieurs, et n'est unie qu'avec Dieu, il faut dire que nous connaissons Dieu directement, et le reste des choses par les idées que Dieu en a. Voilà d'où proviennent les apparentes contradictions

qu'Arnauld a pris le soin de relever; Malebranche, après avoir dit que nous voyons Dieu sans idée, établit que la preuve de l'existence de Dieu qui se tire de l'idée de Dieu, est la plus belle et la plus solide; il n'est personne qui ne voie, sans le secours d'Arnauld, qu'il s'agit dans le premier cas de l'idée qui est en Dieu, et dans le second de la perception qui est en nous. Arnauld luimême n'est pas fort éloigné du sentiment de Malebranche sur l'immédiation de la connaissance de Dieu, et par conséquent ses objections sur ce point n'ont pour but que d'embarrasser son adversaire sans profit pour la science. Si, à son rare talent de dialecticien, Arnauld avait joint plus de profondeur métaphysique, il aurait vu que c'est là ce que la science gardera dans la théorie de la Vision en Dieu, et qu'un des plus glorieux titres de Malebranche est d'avoir, non pas découvert, mais mieux démontré et mieux développé qu'aucun autre la constante intervention de l'idée de Dieu dans toutes nos pensées.

Du reste, il importe de remarquer et de ne pas perdre de vue dans tout le cours de la discussion, que Malebranche soutient à la fois que nous ne pouvons pas ne pas connaître Dieu et que nous ne pouvons pas le comprendre. C'est qu'en effet, Dieu comme souverain intelligible, est l'objet immédiat et nécessaire de la pensée, tandis que comme essence infinie, il dépasse la portée de tout esprit fini. Nous savons que Dieu est, et qu'il est parfait, mais nous n'entendons pas en quoi consiste sa perfection.

2. L'esprit humain est purement passif dans la perception des idées.

Malebranche, comme toute l'école cartésienne, a tou

jours sacrifié la notion de cause contingente, et anéanti la puissance des créatures au profit du créateur. Cette philosophie mécanique a contre elle l'expérience des sens et de la conscience, et cela suffit pour la condamner; mais de plus elle n'atteint pas le but qu'elle se propose; et cet effort qu'elle fait pour exalter Dieu en le séparant des créatures, quant à son essence métaphysique, et en le rapprochant d'elles quant à la nature et à la continuité de son action, aboutit au contraire à la philosophie de Spinoza. Dieu n'en est pas moins grand, ayant produit des causes secondes, que s'il s'était réservé à lui seul l'exercice de la puissance; et de même qu'il est l'être en soi, sans exclure la possibilité d'êtres inférieurs, il est la toutepuissance, quoiqu'il ne soit pas la puissance unique. Dénier toute énergie à la créature sur ce fondement que notre coopération est inutile au créateur, c'est n'aller qu'à moitié chemin de l'éléatisme. On peut disputer si le nom de cause appartient univoquement à Dieu et à la créature, comme on dispute aussi pour l'être, ou la substance individuelle, mais on ne peut accorder l'un sans l'autre, car les deux questions sont liées et reposent sur le même principe. Spinoza, dont la conclusion est impie, est supérieur à Malebranche en ce point, qu'il a été plus conséquent dans la même erreur.

Qu'est-ce que l'homme de Malebranche? un instrument dans la main de Dieu, sans énergie propre, sans initiative. La volonté c'est le désir; le désir c'est la grâce qui l'opère ou l'impulsion naturelle que Dieu nous donne vers le bien. La pensée n'est qu'une modification produite en nous par notre intime union avec Dieu. Qui suis-je alors? Où me saisir moi-même ? Où trouver la lumière qui éclaire

dans son fond ma nature individuelle, le principe qui tout à la fois la limite et la constitue ? Contre cette inertie absolue où Malebranche nous réduit, la conscience se révolte; elle sent, elle voit vivre et se développer par sa propre force le moi humain, libre quoique dépendant, et puissant quoique restreint et limité dans son essor. La pensée lui apparaît sous la triple forme déjà déterminée par Descartes, d'idées innées, factices et adventices. Et qu'est-ce qu'une idée adventice, pour ne parler que de celles-là? Quand l'impression sensible vient mourir dans mon organe, ou que parvenue jusqu'à moi, elle trouve l'attention absente, la mémoire, si plus tard elle s'y applique, ne pourra recouvrer qu'une aperception vague, incomplète, bizarre, qui n'est point analogue à l'entendement et n'en est point possédée. La pensée adéquate, complète, qui est un jugement, et non pas un rêve, résulte en même temps de l'impression sensible passivement reçue, et de la réaction opérée sur cette matière de la connaissance, par l'intellect agent, qui lui imprime la forme. C'est lui, c'est l'activité qui coordonne l'idée dans une série, la rattache à son genre et la rend définissable, susceptible d'être nommée, comparée, classée. On disait dans l'école que l'âme est modifiée par les objets, comme une cire molle qui reçoit l'empreinte d'un cachet; mais c'est plutôt notre âme, guidée par les lois que la nature lui a tracées et développant la puissance qu'elle tient de son créateur, qui marque de sa forte empreinte les données sensibles fournies par l'expérience. L'opération du monde extérieur sur nos organes, et par suite sur notre sensibilité, ne donne que la matière de la connaissance.

Malebranche sur ce point, comme sur la question de

b

l'être, est troublé par la crainte d'accorder que Dieu et l'homme soient univoquement des causes. Dieu est une cause créatrice, et l'homme n'est qu'une cause secondaire, qui transforme et modifie sans créer. L'observation psychologique qui apprenait à Malebranche qu'il n'est pas dans la puissance de l'homme de donner l'être (et en effet, la production de l'être est l'exercice absolu de la puissance absolue, et par conséquent le propre caractère de l'infinité de la cause), cette même observation psychologique poussée plus loin, lui eût fait voir la réaction de l'intelligence, avec ses lois et sa puissance propre, sur les données de la sensibilité; il eût reconnu dans toutes les fonctions de la vie la présence de la volonté libre comme fond, et dans quelques-unes la nécessité seulement comme limite. Il n'eût pas été contraint alors de construire ses deux hypothèses des causes occasionnelles et de la vision en Dieu, et de renoncer pour établir des machines si compliquées, à son propre principe, qu'Arnauld tourne à chaque pas contre lui « que Dieu fait tout ce qu'il fait par les moyens les plus simples. »>

3. Les idées sont des êtres très-réels.

Les idées, selon Malebranche, sont quelque chose de très-réel, c'est-à-dire qu'elles ne sont pas de pures modifications de l'esprit qui les conçoit. Malebranche n'admet ni la doctrine sensualiste qui subordonne les idées à leurs objets et les réduit à n'en être que la représentation, ni cette espèce de compromis entre la philosophie des sens et les théories rationalistes, qui consiste à considérer les idées comme le produit régulier de l'activité de l'esprit soumise à des lois constantes et universelles. Il existe, suivant lui,

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