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combien les esprits sont dépendants de Dieu, et combien ils lui doivent être unis. » C'est le titre du dix-neuvième cha

pitre.

RÉPONSE.

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M. Arnauld connaît trop bien les hommes pour croire que ce sentiment, qu'on voit en Dieu toutes choses, soit de leur goût; et qu'ainsi il est à propos de luiôter cet air de religion qui peut favoriser son entrée dans les esprits. Certainement, Monsieur, tous les préjugés sont contraires à mon sentiment; et je sais par expérience, que les personnes même qui ont le plus de piété, ne sont pas toujours les plus portées à le recevoir. Quand M. Arnauld l'appelle mystérieux, c'est qu'il sait bien que cette expression réjouit le monde. Quand il le traite de ridicule, c'est qu'il suit les mouvements naturels de l'imagination. Car l'imagination, qui est la maîtresse du monde, ne permettra jamais qu'on invoque la raison, et qu'on la consulte. La vérité ne règne point ici-bas: l'imagination, qui s'est révoltée, l'en a bannie.

V. Qu'on invoque les Muses au commencement d'un poëme; qu'on mette en mouvement les esprits et le sang par la mesure des vers, et l'âme en fureur par une peinture vive des objets de nos passions; voilà le goût du siècle corrompu; car rien ne paraît grand à l'esprit, que ce qui frappe vivement l'imagination. Mais qu'on invoque la raison; qu'on exhorte les hommes à rentrer en eux-mêmes, pour y entendre la voix basse, mais pure et intelligible de la vérité qui leur parle; on devient le sujet de la raillerie des imaginations hardies, ou l'objet de la frayeur des imaginations faibles, qui appréhendent tout ce qui ne leur est point familier: c'est une mystérieuse pensée, que de dire qu'on voit toutes choses en Dieu; c'est une nouvelle philosophie des idées, qui mérite d'être traitée de ridicule. Voilà comme parlent ceux qui ont l'imagination vive et hardie. Mais ceux qui l'ont faible appréhendent d'avoir commerce avec Dieu; ils aiment mieux regarder les corps comme le principe de leurs con

naissances, et se familiariser avec eux, que de reconnaître leur grandeur, soutenir leur dignité, vivre en société avec le Dieu invisible. Bassesse d'esprit, fausse humilité, crainte servile qui affaiblit ou qui éteint la noble ardeur de la charité des enfants de Dieu.

VI. Je crois, Monsieur, que vous voyez bien que c'est prendre une précaution fort inutile, que d'avertir le monde qu'il prenne garde au préjugé avantageux à mon sentiment: car cela m'a obligé à faire attention aux préjugés qui lui sont désavantageux. Et j'espère maintenant, que la répu tation de M. Arnauld et la disposition où l'on est naturellement à l'égard de ce sentiment, qu'on voit en Dieu toutes choses, sont deux préjugés qui feront moins de tort à la vérité, qu'ils n'eussent fait, si M. Arnauld n'avait point voulu précautionner son lecteur aussi mal à propos qu'il a fait.

VII. Mais dans son vingtième chapitre, il parle encore d'une troisième chose, qu'il lui plaît aussi d'appeler préjugé. et qui lui paraît capable de favoriser ma mystérieuse pensée, ou ma nouvelle philosophie des idées. Voilà comme il l'explique dans le titre du chapitre du troisième préjugé : « Qu'en n'admettant point cette philosophie des idées, on est réduit à dire que notre âme pense, parce que c'est sa nature. el que Dieu en la créant lui a donné la faculté de penser. »

Je dis, Monsieur, qu'on voit en Dieu toutes choses; M. Arnauld: que l'àme connaît la vérité, parce que c'est sa natur? de penser lequel des deux sentiments est conforme aux préjugés? Il est clair que les préjugés ne favorisent pas les sentiments extraordinaires. Or, selon M. Arnauld, page 201. mon sentiment est extraordinaire; il l'appelle ailleurs UL étrange paradoxe et ce sentiment, que l'âme pense, par que c'est sa nature, est celui de tous ceux qui n'ont jama examiné le fond de la question : c'est un sentiment fort commun. Pourquoi donc appréhende-t-il qu'on ne rejette pa préjugé son opinion, et qu'on ne donne dans la mienne Est-ce là appeler les choses par leur nom? Aurais-je raison

disputant contre un cartésien, de dire qu'il faut prendre garde d'entrer par préjugé dans l'opinion de ceux qui disent que les bêtes ne sentent point? Mais c'est que pour soutenir une méchante cause, il faut faire tout valoir. Il faut du moins prendre l'air et les manières d'un homme qui suit exactement la lumière de la raison, et qui n'appréhende rien tant que les préjugés. Néanmoins, j'espère qu'on verra bien que les trois prétendus préjugés, qui sont les seuls que M. Arnauld fait semblant de craindre, ne lui peuvent faire de mal; et que d'autres préjugés eussent fait beaucoup de tort à la vérité, s'il ne m'avait obligé d'y faire penser les lecteurs.

CHAPITRE XXI.

Réfutation de quelques réponses que fait M. Arnauld aux preuves de mon sentiment.

I. M. Arnaud, dans les chap. 49 et 20, prétend prouver que j'ai tort d'avoir joint ensemble ces deux propositions : «que c'est Dieu qui nous éclaire, et que nous ne sommes point à nous-mêmes notre lumière. » Il soutient que Dieu est véritablement notre lumière, quoique nos modalités soient, selon son opinion, essentiellement représentatives; « parce que, selon le sentiment de l'auteur de la Recherche de la Vérité (car il semble qu'il craigne même en cela d'ôter à l'âme sa prétendue faculté de penser, et de rendre à Dieu seul tout l'honneur qui est dù à sa puissance, comme il ne rend pas tout celui qui est dû à sa sagesse, raison universelle des intelligences), il n'y a que Dieu, dit-il, qui soit la cause véritable des modifications de l'àme. » Ainsi, quoiqu'elle ne voie les choses que dans ses propres modalités, elle n'est point à elle-même sa lumière, puisqu'elle ne peut rien connaître que Dieu n'agisse en elle.

RÉPONSE. II. Je réponds qu'en ce sens l'homme n'est point à lui-même la cause de sa lumière; mais je soutiens que même en ce sens il ne laisse pas de s'éclairer véritable

ment, ou d'ètre à lui-même réellement et formellement sa lumière; car ce qui nous éclaire formellement, c'est ce qui nous représente formellement la vérité; c'est ce qui nous représente les objets intelligibles dans lesquels nous découvrons la vérité, ou, ce qui est la même chose, entre lesquels nous découvrons les rapports; car la vérité ne consiste que dans les rapports que les choses ont entre elles, puisque deux et deux sont quatre, ou deux et deux ne sont pas cinq, ne sont des vérités que parce qu'il y a un rapport d'égalité entre deux et deux et quatre, et un d'inégalité entre deux et deux et cinq. Or, selon le sentiment de M. Arnauld, « les modalités sont essentiellement représentatives, » non-seulement des créatures, mais même du Créateur, du fini et de l'infini, des nombres, de l'étendue, de l'âme même, et généralement de tout ce que l'esprit connaît. Donc, selon le sentiment de M. Arnauld, l'esprit est à lui-même sa lumière; ce que saint Augustin lui défend de dire par ces paroles: Dic quia tu tibi lumen non es, etc,

III. Il est visible que celui qui allume un flambeau n'est pas la lumière corporelle du flambeau, quoique le flambeau n'ait sa lumière que par celui qui l'allume: c'est le flambeau qui éclaire, c'est le flambeau qui représente les objets et qui les rend visibles par sa propre lumière. Si donc les modalités de l'âme sont essentiellement représentatives; si l'âme voit, en se considérant, les objets qui l'environnent, et généralement toutes choses, quoiqu'elle ne soit pas la cause de sa lumière, ce que je n'attribue pas à ceux qui ne sont point de mon sentiment : « elle est à elle-même réellement et formellement sa lumière, elle s'éclaire elle-même; » elle voit la vérité, non dans une raison universelle et commune à tous les hommes, comme le dit saint Augustin, mais dans sa propre substance.

IV. J'ai dit dans la Recherche de la Vérité', que mon sen

Chap. 6 de la deuxième partie du troisième livre.

timent mettait « les esprits dans une entière dépendance de Dieu, et la plus grande qui puisse être; » qu'en le supposant nous ne saurions rien voir que Dieu mème ne nous le fasse voir: Non sumus sufficientes cogitare aliquid a nobis, tanquam ex nobis, sed sufficientia nostra ex Deo est 1; que c'est Dieu même qui éclaire les philosophes dans les connaissances que les hommes ingrats appellent naturelles, quoiqu'elles ne leur viennent que du Ciel : Deus enim illis manifestavit, etc.".

Sur cela, M. Arnauld fait de grands discours pour faire voir que ces textes ne prouvent pas que la manière dont je crois qu'on voit les objets est la véritable. Mais ce n'est pas aussi ce que j'ai prétendu en les rapportant, mais seulement que ma pensée s'accommodait, du moins aussi bien qu'aucune autre, avec l'Écriture, ce que M. Arnauld ne peut nier. J'ai prétendu que les philosophes païens avaient reçu de Dieu les connaissances qu'on nomme naturelles, et qu'on apprend par un désir de simple curiosité. La connaissance que les philosophes avaient de l'existence et de la puissance de Dieu était naturelle, puisque Dieu s'est fait connaître par ses ouvrages depuis la création du monde : Invisibilia enim ipsius a creatura mundi, per ea quæ facta sunt intellecta, conspiciuntur. Et cependant cette connaissance, quoique naturelle, était un don de Dieu Deus enim illis manifestavit. Saint Paul prouve même que Dieu leur avait donné cette connaissance par ces paroles: Invisibilia enim ipsius, etc. Et saint Augustin, en plusieurs endroits, prétend que ces philosophes sont tombés dans l'aveuglement, parce qu'ils n'ont pas reconnu que la connaissance qu'ils avaient acquise par leur application était véritablement un don de Dieu : Quod curiositate invenerunt, dit-il, superbia perdiderunt: dicentes enim se esse sapientes, id est donum

. II. Cor., 3, 5.
2 Rom., 1, 19.
3 Rom., 1, 20.

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