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moi je la sens sans la connaître. De même, j'ai sentiment intérieur que je ne suis point invinciblement porté à l'amour des biens particuliers: je sais donc que j'ai la liberté de les aimer ou de ne les point aimer. Mais je ne comprends point clairement ce que c'est que mon amour: je le sens vivement et sensiblement, mais je ne le connais point intelligiblement. Le sentiment intérieur suffit donc pour prouver la liberté. Mais on peut encore la démontrer en consultant l'idée de Dieu; car on sait qu'il nous a faits pour lui, parce qu'il ne peut agir que par sa volonté, laquelle n'est que l'amour qu'il se porte à lui-même. Et qu'ainsi, il peut bien nous porter invinciblement à aimer le bien en général, c'est-àdire à l'aimer lui-même, seul bien qui renferme tous les biens; mais il ne peut pas nous porter de la même manière à aimer les biens particuliers. Cependant, il est inutile de chercher des preuves de la liberté, plus fortes que celles que fournit le sentiment intérieur qu'on a de soi-même; car rien n'est plus sûr que tout ce qu'on sent, on le sent; mais rien n'est plus faux qu'on le connaisse; parce qu'il y a autant de différence entre les idées et les sentiments, qu'il y en a entre la lumière et les ténèbres. Vous pouvez, Monsieur. maintenant lire les chapitres 23 et 24 de M. Arnauld, et je ne pense pas que vous y trouviez rien de solide.

CHAPITRE XXIV.

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Réponse au vingt-sixième chapitre.

I. Toute l'adresse de M. Arnauld, dans ce chapitre, consiste à faire l'embarrassé, pour embarrasser des lecteurs qui ne se croient pas assez habiles pour démêler ce qu'il n'entend pas. J'ai dit expressément dans le lieu où j'explique les quatre différentes manières dont on voit les choses, qu'à l'égard de l'infini on le connaissait par lui-même et non par une ide. parce que je sais qu'il n'y a point d'archetype sur lequel Dies ait été formé, et que rien ne peut représenter Dieu que s Verbe qui lui est consubstantiel. « On ne peut concevoir, d

<«< je en cet endroit', que quelque chose de créé puisse repré<«< senter l'infini; que l'Ètre sans restriction, l'Etre immense, « l'Etre universel, puisse être aperçu par une idée, c'est-à<< dire par un être particulier, par un être différent de l'Etre << universel et infini. Mais pour les ètres particuliers, il n'est << pas difficile de concevoir qu'ils puissent être représentés <«< par l'Être infini qui les renferme d'une manière très-spiri«tuelle, et par conséquent très-intelligible. Ainsi, il est << nécessaire de dire que l'on connaît Dieu par lui-même, quoi<«< que la connaissance qu'on en a en cette vie soit très-im<«< parfaite; et que l'on connaît les êtres corporels par leurs «< idées, c'est-à-dire en Dieu, puisqu'il n'y a que Dieu qui <«< renferme le monde intelligible où se trouvent les idées de << toutes choses. » Cela est assez formel. Néanmoins, c'est ce que M. Arnauld prend pour prétexte de son embarras; car voici comme il commence ce chapitre 26:

II. « On a de la peine à découvrir les vrais sentiments de l'auteur de la Recherche de la Vérité, touchant l'idée de Dieu; car, d'une part, il l'admet en plusieurs endroits, et en fait même le principe des plus belles démonstrations de son existence; et en d'autres il la nie si positivement, et soutient si expressément que nous connaissons Dieu sans idée, et que rien de créé ne le peut représenter, que l'on ne sait comment il a pu avancer des choses si opposées sans se contredire. » M. Arnauld rapporte ensuite cinq endroits, où, en parlant de la connaissance que nous avons de Dieu, je me suis servi du mot d'idée, et continue ainsi : « Voilà donc bien des endroits où l'auteur de la Recherche de la Vérité reconnaît que nous avons l'idée de Dieu. Mais en voilà d'autres où il le nie, et où il semble ruiner en même temps ce qu'il en avait conclu; que c'était sur cette idée de Dieu qu'était fondée la plus belle preuve de son existence. Car, dans le

livre.

Recherche de la Vérité, chap. 7 de la deuxième partie du troisième

même livre III, chapitre 7, il veut que ce soit le propre de Dieu d'être connu par lui-même et sans idée.

RÉPONSE.III. J'ai deux choses à répondre à M. Arnauld. La première, qu'il ne se fait pas d'honneur de s'embarrasser pour si peu de chose; et la seconde, que la preuve de l'existence de Dieu est si claire dans mon sentiment, qu'il suffit de penser à Dieu afin qu'il soit.

Quoi ! Monsieur, j'ai dit qu'il faut «< consulter avec beaucoup d'attention et de respect l'idée vaste et immense de l'Être infiniment parfait, lorsqu'on prétend parler de Dieu avec quelque exactitude, etc. » Donc, je me contredis, puisque j'ai dit ailleurs qu'on ne voit point Dieu par une idée qui le représente. L'admirable et l'équitable conséquence! M. Arnauld ne doit-il pas juger que je prends quelquefois le mot d'idée généralement pour ce qui est l'objet immédiat de l'esprit quand on pense? Je veux néanmoins qu'on voie l'infini : qu'on connaisse Dieu par une idée; mais certainement cette idée sera Dieu même; car il n'y a point d'autre idée de Dieu que son Verbe. Le Fils de Dieu est l'expression et la ressemblance parfaite de son Père. Je veux bien qu'on voie Dieu ou l'infini par une idée, mais une idée qui lui soit consubstantielle, une idée qui renferme toute sa substance, une idée qui ne représente point l'Être divin en tant qu'il peut être participé imparfaitement par ses créatures. Enfin, je nie qu'on puisse voir l'incréé, l'infini, l'Ètre universel dans un être créé, fini, particulier, en un mot, dans quelque chose qui ne le renferme pas. Je veux qu'on voie l'infini dans la raison universelle, mais non pas dans les modalités de l'âme, ni dans aucune idée particulière et finie.

IV. A l'égard de la preuve de l'existence de Dieu, à quoi. je vous prie, pense encore M. Arnauld, lorsqu'il dit : « qu'il semble que ce sentiment, qu'on ne peut voir Dieu qu'en lumême, ruine ce que j'ai conclu à l'égard de son existence? Quoi! n'est-il pas plus clair que le jour, que supposé qu'on

ne puisse voir l'infini, connaître Dieu qu'en lui-même, il est nécessaire qu'il existe, si seulement on y pense ou si on en a l'idée, bien loin que cette supposition ruine la preuve de son existence? Voici, Monsieur, comme j'ai conclu ma preuve de l'existence de Dieu : « Lorsqu'on voit une créature, on «ne la voit point en elle-même, ni par elle-même; car on « ne la voit, comme on l'a prouvé dans le troisième livre, <«< que par la vue de certaines perfections qui sont en Dieu, <«< lesquelles la représentent. Ainsi on peut voir l'essence de <«< cette créature sans en voir l'existence on peut voir en « Dieu ce qui la représente sans qu'elle existe. C'est à cause << de cela que l'existence nécessaire n'est point renfermée « dans l'idée qui la représente, n'étant point nécessaire <«< qu'elle le soit, afin qu'on la voie. Mais il n'en est pas de <«< même de l'Être infiniment parfait on ne le peut voir qu'en « lui-même, car il n'y a rien de fini qui puisse représenter <«< l'infini. L'on ne peut donc voir Dieu qu'il n'existe; on ne << peut voir l'essence d'un Être infiniment parfait sans en << voir l'existence; on ne le peut voir simplement comme un « être possible rien ne le comprend, et si on y pense il faut « qu'il soit. » Jugez, Monsieur, si ce sentiment qu'on ne voit Dieu, ou qu'on ne connaît Dieu qu'en lui-même, et les créatures en Dieu, peut ruiner la preuve de son existence qu'on tire de l'idée qu'on en a.

V. M. Arnauld cherchant le dénoùment de cette grande difficulté, de m'accorder avec moi-même sur la manière dont on connaît l'infini, rapporte que j'ai dit dans quelques endroits que nous avons une idée de l'àme, et que dans d'autres je l'ai nié; mais qu'il n'y a pas d'apparence que je voulusse me servir de la même solution, car je crois que l'idée de l'âme est confuse, et que celle de Dieu est claire, puisque j'ai dit dans le Traité de la Nature et de la Grâce, qu'il la faut consulter lorsqu'on prétend parler dignement de Dieu.

'Recherche de la Vérité, liv. IV, chap. 10.

« Comment donc, continue-t-il, accorder cela avec ce qu'il établit comme un des principaux dogmes de sa philosophie des idées, que de toutes les choses que nous connaissons, il n'y a que Dieu que nous connaissions par lui-même et sans idée ? Ce ne peut être que par une autre équivoque du mot d'idée, que j'ai remarquée dès le commencement de ce Traité;

<< Car dès l'entrée du livre de la Recherche de la Vérité, il prend le mot d'idée dans son vrai sens pour la perception d'un objet; et il y reconnait, que cette perception d'un objet est une modification de notre esprit. Or il est clair, qu'on ne peut nier raisonnablement, en prenant le mot d'idée dans cette signification, que nous n'ayons une idée de Dieu. Aussi est-ce dans ce sens-là, qu'il avoue que nous en avons une, comme il paraît par le passage du chapitre 6 de la deuxième partie du troisième livre, où il prend pour la même chose l'idée de l'infini et la notion de l'infini; car le mot de notion n'est point équivoque, et n'a jamais signifié autre chose que perception;

« Mais dans le troisième livre, il donne tout un autre sens au mot d'idée; car il entend par ce mot, un étre représentatif distingué des perceptions, lequel il s'imagine être nécessaire pour mettre les objets qu'il a supposé n'être pas intelligibles par eux-mêmes, en état d'être connus de notre âme. De sorte qu'il y a trois choses qu'on doit distinguer, selon lui, dans la connaissance de ces sortes d'objets l'objet qui doit être connu, et qui n'est pas intelligible par lui-même; l'être représentatif qui le met en état d'être connu, et la perception de notre esprit par laquelle il est actuellement connu. Or prenant le mot d'idée en ce sens, il a dû dire, selon son système, que nous voyons Dieu par lui-même et sans idée. Car cela veut dire seulement, que Dieu étant intelligible par lui-même, et intimement présent à notre âme, elle n'a pas besoin qu'il soit mis en état de lui être connu par un étre représentatif distingué de lui-même. C'est-à-dire que nous

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