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nous les regardons nous ne voyons, au lieu d'eux, que des parties quelconques de l'étendue intelligible infinie rendues visibles par le sentiment des couleurs que notre âme y applique? C'est donc lui à qui l'on peut dire que, selon sa bizarre philosophie, jamais mari n'aima sa femme, ni père ou mère ses enfants, puisqu'on n'aime que ce que l'on voit, et que si l'on croit les philosophes méditatifs, jamais mari ne vit sa femme, ni père ou mère ses enfants. Et ainsi ce serait bien en vain que l'Écriture nous aurait défendu d'aimer le monde et ce qui est dans le monde, puisque la sagesse éternelle a dit à son nouveau disciple: Tu crois voir le monde, et il est invisible, et tu lui attribues ce que tu aperçois, lorsque tu ne vois rien qui lui appartienne. D'où il s'ensuit que, puisqu'on ne peut aimer ce qu'on ne voit pas, on ne peut aimer le monde, ni ce qui est dans le monde. Mais comme on pense voir le monde, et qu'on ne le voit pas, on pense aussi aimer le monde, quoique dans la vérité on ne l'aime pas.

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3o. Et on ne voit que la couleur. RÉPONSE. Autre fausseté. Quand on voit une colonne de marbre blanc, on ne voit pas seulement de la blancheur, on voit aussi une colonne de marbre. Quand on admire une belle statue de bronze, ce n'est point la couleur qui nous la fait admirer, c'est la configuration de la statue, qui est quelque chose de réel hors de notre âme, que nous ne laissons pas de voir des yeux, quoique ce soit par le moyen de la couleur, comme on ne laisse pas de voir les satellites de Jupiter et de Saturne. quoiqu'on ait besoin, pour les voir, des verres d'un télescope.

4o. On ne voit que la couleur ou l'étendue colorée. Cette alternative gâte tout, car il y a grande différence entre la couleur et l'étendue colorée. Et si on voit l'étendue colorée, r n'est pas vrai qu'on ne voie que la couleur.

5o. L'étendue colorée, qui n'est qu'une modalité de l'an Autre illusion. C'est comme qui, dirait qu'un homme prude: n'est qu'une modalité, parce que la prudence est une mod:

lité de l'âme qui se conduit sagement. Que de l'eau chaude n'est qu'une modalité de notre âme, parce que la chaleur de l'eau est une modalité de l'âme de celui qui la touche.

Y eut-il donc jamais rien de plus mal fondé que la réprimande qu'il me fait ensuite?

REPRIMANDE.

« Si M. Arnauld croit que tout ce raisonnement est ridicule, en prenant les choses selon les sentiments populaires, pourquoi le fait-il contre moi, si son dessein est de rechercher la vérité? »

RÉPONSE.

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Pour donner quelque couleur à cette réprimande, il aurait fallu : 4°. qu'il eût prétendu avoir droit de dire de moi quelque chose de semblable à ce que j'ai dit de lui; 2o. qu'il l'eût fait voir par un argument qu'il eût montré être semblable au mien; 3°. que, sachant mieux raisonner qu'il ne le fait, il eût mis au moins son argument en bonne forme, comme serait celui-ci :

Selon M. Arnauld, un mari qui regarde sa femme ne voit que de la couleur; or, selon M. Arnauld, la couleur n'est qu'une modalité de notre âme. Donc, selon M. Arnauld, un mari ne voit qu'une modalité de son âme quand il regarde sa femme, et il ne voit point le visage de sa femme.

L'argument alors eût été bon, quant à la forme; mais la majeure aurait été une imposture manifeste. Car où ai-je dit ou pensé qu'en regardant les corps que Dieu a créés, nous ne voyons que des couleurs, et que nous ne voyons pas les corps? Je n'ai pas seulement supposé le contraire, mais je l'ai dit et redit et prouvé par tout le livre des Idées. On peut voir principalement les chapitres VIII et IX; je connais de mes amis qui seraient d'humeur à dire à quiconque m'attribuerait cette extravagance, qu'on ne voit que de la couleur, ce que le grillon de la fable disait au lièvre :

Cornes cela vous me prenez pour cruche;

Ce sont oreilles que Dieu fit.

Ils diraient de même : Quoi! vous nous dites que, selon

M. Arnauld, un mari ne voit que de la couleur, qui est une modalité de son âme, quand il regarde sa femme? vous nous prenez pour des cruches; car nous savons que, selon ce docteur, quand un mari regarde sa femme il voit un nez que Dieu fit, des joues que Dieu fit, une bouche que Dieu fit, un front que Dieu fit, des yeux que Dieu fit. Or, il est bien certain que, selon M. Arnauld, un nez, des joues, un front, des yeux que Dieu a faits, ne sont point des modalités de l'âme de celui qui regarde un visage. Il faudrait donc être cruche, pour croire que, selon M. Arnauld, un mari ne voit que de la couleur, qui est une modalité de son âme, quand il regarde sa femme.

Mais on pensera peut-être que, quand j'ai dit que, selon notre ami, une femme qui se regarde dans son miroir, n'y voit qu'un visage intelligible, qui ressemble au sien, cela n'est pas mieux fondé, et que ce n'est aussi qu'une conséquence que j'ai tirée de sa doctrine, par quelque argument semblable à celui de sa Réponse. Cette réplique serait très-bonne si elle était vraie; mais rien n'est plus faux; car, à proprement parler, ce n'est pas raisonner, que d'appliquer simplement une doctrine générale à un cas particulier, comme celui qui croit que tous les hommes comparaîtront devant Dieu, pour lui rendre compte de leur bonne ou mauvaise vie, n'a pas besoin de raisonnement pour croire qu'il y comparaîtra aussi. Or, c'est tout ce que j'ai fait en parlant de cette femme qui se regarde dans son miroir; je n'ai eu besoin que d'appliquer à ce cas particulier les propositions générales de votre ami; que les corps que Dieu a créés ne sont point intelligibles en eux-mêmes; qu'ils sont invisibles, que ceux qui les regardent ne les voient point, mais voient au lieu d'eux, des corps intelligibles qui leur ressemblent, et qui sont des parties quelconques de l'étendue intelligible infinie, que Dieu renferme. Avouez donc, Monsieur, que l'auteur de la Réponse suppose faussement que je n'ai pu lui attribuer ce que j'ai dit de cette femme qui se regarde dans son miroir, que par un raisonne

ment ridicule; au lieu que je n'ai eu besoin pour cela d'aucun raisonnement; mais de la seule application de sa doctrine générale à un cas particulier, et qu'il n'y a en tout cela de raisonnement ridicule que le sien, qu'il l'est certainement au delà de ce que l'on peut s'imaginer, dans les formes et dans la matière, comme je viens de le faire voir.

QUATRIÈME EXEMPLE.

Variation dans la manière de voir

les choses en Dieu, contestée et vérifiée.

Une des choses dont l'auteur de la Réponse prend plus de sujet de m'accuser de chagrin, et de dire en même temps que je lui impose des sentiments ridicules, est que j'ai souvent remarqué qu'il y avait des variations et des contradictions, au moins apparentes, dans sa Recherche de la Vérité, sans néanmoins qu'il puisse prétendre que je lui en aie fait aucune insulte, ni que j'aie pris occasion de lui dire sur cela quelque chose d'offensant; c'est ce qu'il est bon de vérifier par quelque exemple.

Le treizième chapitre du livre des Idées a pour titre qu'il a varié aussi dans l'explication des manières dont nous voyons les choses en Dieu; que la première était par les idées, qu'il ne s'en est départi qu'en niant qu'il y ait dans le monde intelligible des idées qui représentent chaque chose en particulier; ce qui ne se peut nier sans erreur.

Il répond à ce chapitre par son seizième; et comme on ne peut remarquer aucune variation dans ses livres qu'il n'en ait du ressentiment, il le commence par m'accuser d'injustice ou d'ignorance.

« Afin, Monsieur, que vous compreniez, ou l'injustice que me fait M. Arnauld, ou l'ignorance où il est du sentiment qu'il combat, il faut que je vous représente les deux passages de la Recherche de la Vérité, qu'il rapporte lui-même dans ce chapitre, pour prouver que j'ai changé de sentiment sur la manière dont nous voyons en Dieu ses ouvrages. »

C'est en effet ce qui est fort à propos, de considérer ces passages que j'ai rapportés; mais il n'est pas juste qu'il leur fasse dire ce qu'il lui plaît par de fausses gloses qui seraient manifestement contraires au texte.

Le premier de ces passages est du livre III, partie II, chapitre 6« Il faut se souvenir de ce qu'on vient de dire dans le chapitre précédent, qu'il est absolument nécessaire que Dieu ait en lui-même les idées de tous les étres qu'il a créés; car autrement il n'aurait pas pu les produire.... Il faut de plus savoir que Dieu est très-intimement uni à nos âmes par sa présence.... Ces deux choses supposées, il est certain que l'esprit peut voir ce qu'il y a en Dieu qui représente les êtres créés puisque cela est très-spirituel, très-intelligible et très-présent à l'esprit. Ainsi l'esprit peut voir en Dieu les ouvrages de Dieu, supposé que Dieu veuille bien lui découvrir ce qu'il y a dans lui qui les représente; » c'est-àdire les idées par lesquelles il les a faites, comme il paraît par le commencement de ce passage. Or, Dieu a créé chaque chose par son idée : le soleil, par l'idée du soleil; la terre, par l'idée de la terre, la lune par l'idée de la lune; comme saint Augustin l'enseigne dans le passage que j'en ai rapporté dans ce chapitre, où le mot de ratio est pris pour idee. « Il est certain que Dieu a eu le dessein ou l'idée de tout ce qu'il a créé. Et on ne peut pas dire qu'il a créé l'homme par la même idée qu'il a créé le cheval. Il serait absurde d'avoir cette pensée chaque chose a donc été créée par son idée particulière. Et où seraient ces idées, sinon dans l'entendement du Créateur? » Il est donc clair que j'ai eu tout lieu de croire que ce qu'il dit dans ce passage « faisait assez entendre, que la manière dont il voulait alors que nous vissions les choses en Dieu, consistait en ce que Dieu nous decouvrait chacune de ses idées. » Car établir pour principe. que Dieu a en lui-même les idées de tous les étres qu'il a crees afin d'en conclure, que l'esprit peut voir en Dieu les ouvrag de Dieu, supposé que Dieu veuille bien lui découvrir ce qu.

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