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indubitable. Mais on lui demande raison de cet enthymème: Dieu connaît l'étendue, donc il y a de l'étendue en Dieu; et on désire savoir en quoi il est meilleur que celui-ci : Dieu connaît des crapauds; donc il y a des crapauds en Dieu. Et s'il dit que l'un et l'autre est bon, on prétend inférer de là qu'il n'y a donc de l'étendue en Dieu que dans le même sens qu'il y a des crapauds. C'est uniquement de quoi il s'agit, comme il paraît par la proposition à laquelle il a prétendu répondre; et au lieu de cela il nous dit tout autre chose pour nous faire perdre de vue ce à quoi on voulait qu'il satisfît. Et il continue dans cette dissimulation jusqu'à la fin du chapitre; car voici ce qu'il ajoute :

L'AUTEUR. - Je lui réponds en deux mots que Dieu connaît tout ce qui est hors de lui, et que c'est une impiété que de prétendre qu'il le connaisse autrement que je viens de dire; savoir, par l'idée qu'il a dans son Verbe de leurs essences, et par la connaissance qu'il a de ses volontés qui leur donnent l'être et toutes les modifications de leur être.

RÉPONSE. Cela veut dire je réponds en deux mots en ne répondant à rien sur ce que l'on me demande. Il faut avouer, Monsieur, que votre ami est un homme rare son caractère particulier est de parler clairement et de répandre la lumière dans les esprits attentifs. Et, au contraire, si on l'en croit, le caractère de M. Arnauld est de faire des galimatias auxquels on ne comprend rien, et de critiquer ce qu'il n'entend pas. Cependant, cet esprit si net propose, en quatre lignes, une objection de M. Arnauld; il emploie deux pages à y répondre. L'objection est fort claire, quoique décharnée et dénuée de ses preuves; et je supplie tous ceux qui voudront juger de ce différend, de lire ces deux pages que je viens de rapporter sans en avoir omis une seule parole, et de dire, après les avoir lues avec toute l'attention possible, ce qu'il a répondu à l'objection, ou même de deviner ce qu'il y faut répondre selon sa doctrine. Tout ce qui paraît est, que les longs et ennuyeux discours de M. Arnauld l'ont obligé d'a

vouer ce qui rend l'objection indissoluble; car s'il est vrai, selon que l'enseigne saint Thomas, comme l'auteur confesse maintenant que l'on n'en peut pas douter; s'il est vrai, disje, que Dieu connaît et ce qui est en lui, et ce qui est hors de lui, c'est donc mal raisonner que de dire: Dieu connaît l'étendue; donc il y a en Dieu de l'étendue. Dieu connait les crapauds; donc il y a en Dieu des crapauds. Dieu connaît les villes de Paris, de Rome, de Constantinople; donc il y a en Dieu des villes de Paris, de Rome, de Constantinople. Si ce n'est que l'on voulût dire qu'on entend seulement par là qu'il y a en Dieu de l'étendue, des crapauds, des villes de Paris et de Rome, parce que tout cela est en Dieu objectivement et éminemment; ce qui ne serait pas le compte de votre ami, puisque, par là, l'étendue n'aurait aucun avantage sur les crapauds, et que, selon cela, s'il était vrai que nous vissions toutes choses en Dieu, il serait bien plus court de dire que nous voyons le soleil, les chenilles et les crapauds que Dieu a créés, dans le soleil, dans les chenilles et dans les crapauds qui sont en Dieu, que de nous venir dire que nous voyons généralement toutes choses dans l'étendue intelligible infinie que Dieu renferme. Mais c'est de quoi nous avons déjà parlé dans l'exemple précédent.

SIXIÈME EXEMPLE.

Preuves que l'auteur de la Réponse met en Dieu l'étendue formellement et non-seulement idéalement ou objectivement.

Rien n'est plus important pour combattre les sentiments de l'auteur de la Recherche de la Vérité touchant les idées, que de savoir ce qu'il a entendu par ces mots : l'étendue intelligible infinie que Dieu renferme. La difficulté n'est pas de savoir ce qu'il a voulu dire par le mot d'étendue, car il paraît assez que c'est une vraie étendue, puisqu'il l'appelle espace et corps, et qu'il lui attribue différentes parties, les unes plus grandes et les autres plus petites; mais ce qui fait de la

peine, est le mot d'intelligible, qu'il répète sans cesse sans l'avoir jamais expliqué.

Si on l'en croit, rien n'est plus clair, et il ne peut s'imaginer que ce soit autre chose que mon chagrin qui m'y fasse trouver de l'obscurité. Il devrait donc éclaircir mes doutes au lieu de me dire des injures; mais, loin qu'il l'ait fait dans sa réponse, il paraît avoir affecté de ne se point expliquer clairement sur ce qu'il entendait par ce mot, quoique je lui eusse donné très-souvent occasion de le faire, et particulièrement dans le chapitre 14 du Traité des Idées, où j'ai dit : « Qu'il y avait quelque chose de mystérieux dans les discours qu'il fait sur cela qui les avait fait recevoir avec respect de beaucoup de gens. Mais ces mystères disparaitront sitôt qu'on aura donné la vraie notion au mot d'intelligible, et qu'on ne l'aura pas laissé dans une obscurité qui fait qu'on ne conçoit rien distinctement, ou que l'on conçoit tout autre chose que ce que l'on devrait concevoir quand on lit ces grands mots : corps intelligibles, espaces intelligibles, soleil intelligible, étendue intelligible; car un soleil intelligible n'est autre chose, comme nous venons de voir dans saint Thomas, que le soleil matériel, selon qu'il est dans l'entendement de celui qui le connaît secundum esse quod habet in cognoscente. Ainsi, dit ce saint , je connais une pierre selon l'être intelligible qu'elle a dans mon entendement, quand je connais que je la connais, et, néanmoins, je la connais en même temps selon ce qu'elle est en elle-même et selon sa propre nature. »

On ne trouverait rien à dire à l'étendue intelligible en ellemême et indépendamment de l'usage qu'il en veut faire, s'il la prenait en ce sens; car, en effet, l'étendue intelligible, selon la propre notion du mot intelligible, ne doit être que l'étendue, en tant qu'elle est idéalement en Dieu, pour parler ainsi, comme le dessin d'une maison qui est dans l'esprit de l'architecte, peut être appelé une maison intelligible. C'est en ce sens que saint Augustin a dit, dans ses Rétractations, livre I, chap. 3, qu'il avait parlé du monde intel

ligible selon la doctrine de Platon, qui entendait par là la raison éternelle et immuable par laquelle Dieu a fait le monde : Mundum quippe ille intelligibilem nuncupavit ipsam rationem sempiternam atque immutabilem, per quam fecit Deus mundum.

Mais on dira peut-être que c'est en ce sens que l'auteur de la Réponse a pris le mot d'intelligible, puisque l'on rencontre souvent, dans les ouvrages que je combats, des expressions qui disent que l'étendue intelligible est l'idée que Dieu a de l'étendue, l'idée éternelle par laquelle Dieu voit l'étendue, l'idée archetype sur laquelle Dieu a fait l'étendue, l'idée d'une infinité de mondes possibles. Il est vrai que, s'il prenait le mot d'idée, comme M. Descartes et les plus habiles philosophes, pour les perceptions que les natures intelligentes ont de leurs objets, cela donnerait un grand jour à cette matière, et on ne pourrait douter que, par l'étendue intelligible, il n'eût entendu l'étendue en tant qu'elle est idéalement en Dieu; où, comme dit saint Thomas, secundum esse quod habet in intellectu divino. Mais ce qui fait que ces expressions, et d'autres semblables, sont au moins ambiguës et ne font point connaître clairement son sentiment sur l'étendue intelligible, c'est qu'il déclare, en plusieurs endroits, qu'il n'entend point par le mot d'idée les perceptions que les natures intelligentes ont de leurs objets, mais certains êtres représentatifs, distingués des perceptions et préalables aux perceptions, selon notre manière de concevoir, et qu'il s'est élevé contre moi dans sa Réponse parce que j'ai soutenu, dans le Traité des Idées, qu'idée et perception sont la même chose.

C'est ce que j'avais fait voir, dans le chap. 44 de ce traité, par plusieurs raisons; et comme il ne s'est point mis en peine d'y satisfaire, je les répéterai encore ici avec quelques autres, afin que l'on juge d'une part, ou de son peu de sincérité, ou de son peu d'intelligence; et de l'autre, de la raison que j'ai eue d'attribuer à son étendue intelligible un autre sens que celui d'être idéalement ou objectivement en Dieu.

PREMIÈRE RAISON.

L'étendue intelligible, selon lui, est

en Dieu d'une manière selon laquelle le mouvement ou l'étendue en mouvement, ou l'étendue mobile ne sont pas en Dieu; car il ne veut pas qu'il y ait de mouvement dans son étendue intelligible infinie. Or, on ne saurait nier que le mouvement, l'étendue en mouvement, l'étendue mobile, ne soient idéalement et objectivement en Dieu; car Dieu a l'idée de l'étendue qu'il a créée, et il l'a créée mobile et en mouvement, sans quoi il n'en aurait pas fait tous les différents ouvrages qui composent l'univers. Il faut donc que l'auteur de la Recherche de la Vérité ait cru que son étendue intelligible infinie fût autre chose que l'étendue, en tant qu'elle est idéalement et objectivement en Dieu.

DEUXIÈME RAISON. Dans la même page où il assure que l'étendue intelligible est en Dieu, il dit qu'il n'est point néces– saire qu'il y ait en Dieu des corps sensibles (c'est-à-dire comme il l'explique souvent, le soleil, un cheval, un arbre), afin que l'on en voie en Dieu, ou afin que Dieu en voie. Or, il est impossible que les corps sensibles, le soleil, un cheval, un arbre, ne soient pas en Dieu idéalement et objectivement, et sans cela il ne les pourrait pas connaître par ses divines idées, comme il a été obligé de l'avouer, lorsque, le lui ayant prouvé dans le chapitre 13 des Idées, par saint Augustin et par saint Thomas, il n'a eu autre chose à répondre sinon : « que j'avais tort d'avoir employé huit pages de discours et les autorités de saint Augustin et de saint Thomas pour prouver cela; parce que c'est une vérité dont personne ne doute, et dont certainement il n'avait jamais douté. » Il faut donc, selon lui, que l'étendue intelligible ne soit pas seulement en Dieu idéalement et objectivement, et par conséquent, ce qu'il entend par là n'est pas seulement l'idée de l'étendue, ou l'étendue en tant qu'elle est idéalement en Dieu. TROISIÈME RAISON. Il dit dans la page 546, que l'âme ne renferme pas l'étendue intelligible comme une de ses manières d'être; et il rapporte plusieurs raisons pour le prouver; comme <«< que cette étendue intelligible, étant bornée, fait quelque

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