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I

LE SHORT STORY

FORME AMÉRICAINE DU CONTE

SA CARRIÈRE; CE QU'IL DOIT A POE,
à O HENRY

ET, PAR LUI SURTOUT, A L'INFLUENCE DE MAUPASSANT.

Le conte domine aux Etats-Unis toutes les autres formes littéraires. On a même parfois dit que ce pays a amené le genre à la perfection. Beaucoup de bons juges sont de cet avis et ne portent au crédit de l'Amérique que le conte, et non le drame ou le roman. Qu'ils aient ou non raison, un fait certain est que les nouvelles ont une vogue inouïe de l'autre côté de l'Atlantique et qu'on en a publié un nombre considérable.

Parce qu'il ne vit vraiment que dans la surexcitation du risque, qu'il est tout «à ses affaires », qu'il ne connaît guère de loisir, peut-être aussi parce qu'il appartient à une race jeune, qui garde encore quelques caractéristiques de l'enfance, l'Américain, pressé, impatient, curieux, n'est guère capable d'attention soutenue et ne se plaît généralement point aux longues lectures. Il lui faut l'événement rapidement résumé, en traits succincts et essentiels, l'aventure ramassée, ramenée aux faits capitaux qui en expriment le mouvement, aux détails typiques qui font voir et comprendre la vie.

Ainsi s'expliquent assez vraisemblablement la place considérable qu'occupe la nouvelle dans la littérature d'imagination en Amérique, et la prédilection manifeste que lui témoigne le public américain. On traite souvent avec trop de dédain le « conte » et la «nouvelle ». Il semble que ceux qui les jugent le moins cavalièrement les considèrent comme constituant un «petit genre », et, ce qui est bien pis, que la plupart des lecteurs n'y voient qu'un exercice d'essai, une gymnastique à l'usage de débutants, qui se font la main avant d'aborder le roman. C'est là un très regrettable préjugé, qu'à la vérité d'assez fréquents exemples accré708087

ditent et fortifient, mais qui ne repose que sur la vieille erreur esthétique d'où est sortie la pédantesque distinction entre «arts majeurs », et «arts mineurs ». Il n'y a pas, en définitive, d'art supérieur et d'art inférieur. Il y a l'art. Il n'y a pas de grands genres et de petits genres; il y a des œuvres qui se classent d'après leur valeur artistique et non d'après des préjugés archaïques. Un croquis peut primer un tableau d'histoire, une lettre de Voltaire a plus de prix que sa Henriade. C'est la doctrine même de Boileau Un sonnet sans défaut vaut seul un long poème ». Et qui ne donnerait les quatre cents pages de Fécondité pour un des. Contes de la Bécasse ? Mais précisément, comment pourraiton tenir pour subalterne une forme de création littéraire qui, de Voltaire à Anatole France, a pour garants tant d'écrivains illustres, et à laquelle nous devons de délicieux et indiscutables chefs-d'œuvre ?

C'est surtout un genre difficile, dont la substantielle concision ne tolère ni désordre dans la composition, ni relâchement dans le style, et où, plus qu'ailleurs, «il n'est pas de degré du médiocre au pire». Le conte et la nouvelle ont une loi propre qui régit leur structure et préside à leur développement. Ils requièrent la justesse des mesures et l'exactitude des proportions; ils supposent la recherche de l'exquis et la hantise du parfait. Dans l'invention aussi bien que dans la réalisation, ils mettent en jeu les dons les plus mâles et les plus délicats de l'esprit : la solidité du jugement, le sens des valeurs, la sagacité pour choisir et la décision pour éliminer, l'art de discipliner le talent et de le subordonner au sujet. Petit genre si l'on veut; en vérité, il n'en est pas dont les exigences résument plus authentiquement les principes souverains de l'ordonnance classique; il n'en est pas qui atteste davantage la maîtrise ou qui y achemine plus sûrement, et l'on conçoit le prestige qu'il n'a cessé d'exercer sur les écrivains.

Par sa souplesse même, ce genre devait fructifier en tous pays et revêtir dans chacun une originalité plus ou moins tranchée. Il s'est développé aux Etats-Unis d'une façon remarquable. Les plus grands noms d'une littérature qui n'a guère plus d'un siècle d'existence ont, selon l'heureuse expression de M. Maxime Maury, « excellé dans ce récit de quelques pages, soigné comme un bijou » 1.

1. Maury, Contes d'O Henry, Quelques notes sur l'auteur.

Peut-être un bref résumé de l'histoire du «short story » américain aura-t-il son utilité au début d'une étude sur O Henry. M. Fred Lewis Pattee a si complètement approfondi la question dans son Development of the American Short Story, que nous nous sommes permis de suivre de très près son commentaire, en l'abrégeant; de même Mlle Blanche Colton Williams dans son Handbook on Story Writing; et nous ne saurions trop insister sur l'intérêt qu'on aurait en France à consulter ces deux ouvrages dans leur intégrité.

Dès l'aube de la littérature nationale les auteurs américains ont écrit ces short-stories dont le public est si friand. Il est difficile d'arriver à une définition de ce genre spécial qui, du fait qu'il évolue encore, ne peut être déterminé que d'une façon provisoire. M. Baldwin mentionne dans sa préface d'American Short Stories que que « Bérénice » de Poe représente le début en anglais de cette forme littéraire. C'est en la fondant sur l'idéal poétique de Poe dans sa Philosophy of Composition que M. Brander Matthews développa la théorie sur laquelle la plupart des écrivains récents ont fondé leurs définitions de ce genre.

Le conte, dit-il, doit accomplir une seule chose, le faire de façon complète et parfaite; il ne doit pas flaner, il doit avoir unité de ton, unité de couleur, unité d'effet, et exclure avec vigilance tout élément qui serait de nature à contrarier l'intention principale.

M. Charles Barrett déclare que le «Short-story» n'est, à proprement parler, qu'une courte narration en prose, présentant artistiquement un morceau de vie réelle, et dont l'objet principal est d'amuser.

M. Pitkin, de l'Université de Columbia, critique très informé de cette forme d'art, considère le short-story comme une fusion de deux idéals artistiques: l'un américain, l'autre français ; l'idéal américain ne vise qu'un effet simple, alors que l'idéal français recherche l'effet dramatique.

Tandis que les critiques littéraires exposent des théories, l'auteur lui-même s'en tient à l'idée pratique. Souvent elle est en rapport direct avec l'intérêt de son éditeur; et c'est peutêtre en notant le rôle de chaque conteur qu'on peut retracer exactement le développement du conte.

Si son introduction en Amérique date de la Bérénice de Poe, il semblerait que le voyage lui ait pris quinze ou vingt ans : en fait, depuis la publication du Sketch Book de Washington Irving en 1819. C'est avec Irving que commence la phase américaine sous son premier aspect. Il écrivit des histoires romanesques sous une forme abrégée, ce à quoi il était particulièrement apte; il fut le premier écrivain à dégager une narration en prose de ses éléments moraux et didactiques, à en faire une forme littéraire sans autre but que le plaisir. Il a ajouté aux contes unité de ton et richesse d'atmosphère; il fut le premier écrivain à reconnaître que la forme abrégée de narration pouvait donner quelque chose de nouveau, et de différent, à condition d'appliquer un travail patient à ce mode d'exécution particulier. De plus, Irving enjoliva d'humour ses histoires, d'une manière aussi nouvelle pour sa génération que celle d'O Henry le fut pour la sienne, et quoique ses fonds de récit soient souvent incomplets et indistincts, ses caractères sont toujours des individus définis, et non des types ou des symboles. Finalement, il donna au short story un style exquis, dont l'influence fut profonde sur les productions postérieures.

Malheureusement, le sens dramatique fait totalement défaut dans les histoires d'Irving, si peu charpentées, où l'intrigue n'a qu'une place négligeable; et ce manque de vigueur eut peutêtre une influence regrettable sur le développement du shortstory, qui, après lui et pendant toute une génération, subit un certain recul, ou plus exactement, un arrêt de croissance.

Le succès sans précédent d'Irving en Angleterre et de Cooper en Amérique pénétra la jeunesse américaine du désir de produire esquisses et contes en prose. En même temps que ce goût devint impératif, une nouvelle mode importée d'Europe apparaissait, l'«Annual». Mais si l'idée fut empruntée à la France et à l'Allemagne, dès le début la matière première fut exclusivement américaine. Les plus importants « Annuals » de la période de 1820, ceux qui exercèrent la plus grande influence sur les shortstories, furent: The Atlantic Souvenir, 1826, The Token, 1828, The Legendary, 1828, The Talisman, 1828, The Western Souvenir, 1829. Vers 1844, les «Annuals » cessèrent d'être une puissance et les revues commencèrent d'apparaître. Mais jusqu'alors, c'est aux « Annuals » que tous les écrivains américains de short story, Hawthorne, Poe, Miss Sedgqick, Hall, Simms, Long

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fellow, durent une grande partie de leur succès. Quoique ces publications n'aient été qu'un secours temporaire durant une époque de transition, elles jouèrent un rôle important pendant leur brève période de floraison, en donnant pour la première fois un débouché suffisant à des écrivains d'un genre nouveau.

Le short story, quelque grossière que fût la forme de ses débuts, révéla le premier à l'Europe une littérature distinctement et uniquement américaine 1. Cooper fut le Scott américain ; Irving, l'Addison américain; Bryant, le Wordsworth américain. Mais les écrivains nationaux de short story, pour «Annuals » et autres périodiques, produisaient quelque chose qui n'avait pas son prototype dans le vieux monde, une forme littéraire qui devait grandir avec chaque décade jusqu'à ce qu'elle pût servir enfin de modèle aux conteurs du reste du monde.

Après les Annuals apparaissent les Lady's Books, publiés une fois par mois. Avec eux, c'est la période de sentimentalisme à outrance qui entre en scène, et arrête le développement du shortstory après avoir infecté toute l'Europe. Holmes fut le premier Américain éminent à protester contre ce qu'avait de fictif le caractère moralisateur et sentimental de cette période, et à plaider pour la forme compacte et effective, en un mot, pour le short story moderne 2.

Du reste, en général, la Nouvelle Angleterre considérait le short story comme une forme secondaire et négligeable. Ainsi pour N. P. Willis, peut-être la figure la plus importante dans le roman américain vers 1850, le short-story comme forme littéraire n'existait pas. Et pourtant ses Fun Jottings, simples esquisses humoristiques, selon lui, et qu'il considère comme des rebuts de sa production littéraire, restent en réalité sa meilleure contribution au short-story. Dans ces «sketches » imprégnées de satire et illuminées de lueurs ironiques il y a bien des choses qui

1. Il est remarquable qu'en 1840 se publiait, à Londres, ce qui fut en réalité la première revue américaine de short story, «The American Miscellany of Popular Tales, Essays, Sketches of Character, Poetry and Jeux d'Esprit », by Transatlantic Authors. Le premier volume comprend cinquante récits, et est un document important pour l'histoire du short story américain.

2. Dans son « Autocrat at the Breakfast Table» (1832), Holmes ridiculise le roman du temps, en racontant d'abord une histoire telle qu'on doit la conter et ensuite en indiquant comment l'aurait traitée un écrivain à la mode du temps.

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