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Mais ceci n'est qu'une manifestation de son idiosyncrasie la plus frappante sa façon toute personnelle de faire de chaque lecteur son complice, son habitude d'envahir lui-même son conte, et de s'interposer entre le lecteur et l'histoire. Cette tendance chez lui a presque la qualité innée d'un instinct. C'est comme un mouvement qui précède la réflexion. Elle donne à toutes ses œuvres une qualité d'intimité. O Henry est un metteur en scène qui ne se cache pas, au contraire, il se montre, parlant à mi-voix, accompagnant ses phrases d'un clin d'œil irrésistible. Il demande conseil, il se félicite de son habileté, il s'excuse d'un délai pour arranger une intrigue. Il dit : «Tiens, j'ai négligé de vous dire telle et telle chose », ou encore: «Vous aussi vous auriez détesté cet homme.» Ou, s'il ne se montre pas, on devine toujours sa présence. Le rideau tombe sur la surprise de son mot final qui provoque un choc, en évoquant l'auteur plus encore que ses personnages ou ses idées.

Enfin, si l'on veut juger O Henry, il faut tenir compte de ce fait essentiel que, Américain, il parle des Américains pour les Américains. Voilà le point de départ qui donne un plaisir spécial à ses compatriotes et constitue pour l'étranger l'intérêt ou l'obscurité, suivant qu'il connaît peu ou beaucoup du Nouveau Monde.

Nous ignorons si l'univers, comme le croit M. Leacock 1, reconnaîtra O Henry pour un des grands maîtres de la littérature moderne. Mais nous croyons avec lui qu'O Henry, plus qu'aucun autre, est un écrivain Américain, et pour cette raison nous espérons que le temps approche où tous les Européens connaîtront son œuvre. «Prenez O Henry et vous avez l'Amérique » : tel est l'avis que donne le « Manchester Guardian » 2 à ses lecteurs anglais. Il n'a pas tort.

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Naturellement, la plupart des écrivains américains qui sont connus en France, en Angleterre ou en Allemagne, sont ceux qui ont en eux les plus profondes racines des traditions européennes. Nous avons entendu cette plainte, de l'autre côté de l'Atlantique, que trop de bons conteurs du pays sont trop bons Européens pour être de bons Américains. O Henry redresse fortement la balance. Il ne paie même pas à l'Europe et à ses traditions le tribut des compliments ironiques de Mark Twain dans A Yankee at the Court of King Arthur. Il les ignore, et c'est ce qui devrait gagner à ses histoires la sympathie des lecteurs et des étudiants européens.

1. Leacock. The Amazing Genius of O Henry.

2. The Manchester Guardian, May 1920.

L'Amérique où vivent ses vendeuses, ses courtiers, ses héroïnes, ses coquins et ses charlatans, est un pays à peine moins mystérieux pour un Européen, que la Russie Soviétique. Il est brillamment éclairé, mais toute la lumière vient d'un seul côté : l'esquisse est sur un même plan, sans perspective. Il est peuplé de gens ayant le même caractère. Ils connaissent tout ce qui concerne leur petit horizon, et pour ainsi dire rien d'eux-mêmes ; ce qui aboutit à un curieux mélange d'astuce extrême en affaires et d'extrême simplicité en matière de sentiment. Ils ne représentent peut-être pas toute la vraie Amérique, mais ils représentent l'Amérique qu'O Henry a connue, peinte et aimée. Et grâce au don qu'a O Henry de montrer les manières d'agir et de faire ils fournissent un matériel excellent pour qui s'intéresse à la littérature et aux mœurs.

O Henry a écrit beaucoup d'histoires impossibles, mais c'étaient des histoires impossibles à propos de gens possibles1. Il a mis en scène des vagabonds, des demoiselles de magasin, des employés ; la scène est tragique ou comique; mais eux sont romanesques toujours. Dans leur vie, il a fait entrer de la vigueur, en y conservant la réalité psychologique. Avec son imagination, son instinct de la surprise dramatique, il a un sens de la réalité humaine qui, uni au fantastique, fait de son roman, non pas le roman de New York ou de l'Amérique, mais le roman du cœur humain.

Hors la question de mérite littéraire, il faut reconnaître en O Henry une vraie personnalité, une de celles qui rompent la monotonie fréquente du genre romanesque. Il y a parfois doute sur la qualité du plaisir qu'on éprouve en le lisant, mais il attire toujours l'attention par ses attaques, virulentes même lorsqu'elles sont camouflées.

Il y a en lui une sorte de magnétisme masculin. Déplorons son irrévérence pour la pureté de la langue, sans attacher trop d'importance à cette critique. Comme l'impertinence du style des derniers chants du Don Juan de Byron, c'est un moyen indispensable pour arriver au but. C'est par goût qu'il combine une habileté technique brillante avec le dédain d'un homme d'affaires pour le décorum artistique.

1. Smith. O Henry Biography.

<< Faites votre effet, c'était sa maxime, et que le reste soit avec Dieu et les critiques.» N'est-ce pas, en d'autres termes, la devise de Poe? Ses efforts pour atteindre à une langue riche et brève, peuvent être comparés aux caractéristiques du maître. Il semble avoir un égal souci de la forme, de la couleur, de la mise en scène, des gestes des acteurs, avec un mépris égal pour la scène elle-même.

IV

LA TECHNIQUE

DE SES SHORT STORIES

MAUPASSANT ET O HENRY

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AVANT PROPOS

O HENRY ET LA LANGUE FRANÇAISE

O Henry, nous l'avons vu, ne fréquenta qu'une seule école, l'école privée préparatoire de sa tante Miss Evelina Porter; et

· cela jusqu'à quinze ans. Cependant, durant ses années dans le Hall ranch, à La Salle County (Texas) il continua ses études seul, suivant son gré, avec la coopération de Dick Hall, qui, lui, avait été élève à Guilford College et avait appris le français et l'espagnol avec M. Maurice, ancien professeur d'Edgeworth Seminary. 1

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Son biographe, M. Smith, dit d'O Henry: 2 « Il a commencé l'étude du français et de l'allemand, mais davantage approfondi l'espagnol. Il a poursuivi l'étude de l'allemand et du français en dilettante; mais au bout de trois mois il possédait l'espagnol à merveille. >>

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D'après ses livres et ce que nous savons de son instruction, nous croyons pouvoir dire avec Miss Blanche Colton Williams que les connaissances d'O Henry en français étaient limitées au strict minimum, aux phrases d'usage courant: «Il n'a étudié le français et l'allemand que pour s'en servir d'une manière comique.» On trouve chez lui par exemple: «that faux pas, bon vivants (sic), cul-de-sac, laisser faire, chambre garnie, et chambre garnier (sic), vraiment, décolleté. Le jeu ne vaut la chandelle, chefd'œuvre, carte blanche, liberal largesse, connaisseur, noblesse

. C. A. Smith. O Henry Biography, p. 102.

2. Ibid.

3. Blanche Colton Williams, Our Short Story Writers, p. 208.

oblige, vive bonjour, pièce de résistance, chef de cuisines, en casserole, à la créole, «Garsong », « Wee monseer » cherchez la femme, etc.

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Tictocq1 l'histoire, des aventures du grand détective français, est manifestement burlesque. La scène de Tracked to Doom or the Mystery of the rue de Peychaud est Paris, mais un Paris aussi irréel que l'histoire elle-même. Ici O Henry se sert d'un vocabulaire mélangé de français et d'anglais pour un effet purement comique. Il commence: «Tis midnight in Paris. A myriad «of lamps that line the Champs Elysées and the Rouge et Noir, cast their reflection in the dark waters of the Seine as it flows, gloomily past the Place Vendôme and the black walls of the <Convent Notadam (sic); the little bijou supper rooms of the Café <tout le temps are filled with laughing groups, while bon mots, «persiflage and repartee fly upon the air... the homeless gamin, « begging a sou with which to purchase a bed, and the spendthrift «roué, scattering golden louis d'or, tread the same pavement... «a garçon is selling absinthe to such of the motley crowd as have « a few sous. »

Et plus tard, dans la narration, ceci 4:

« Tiens, shouts the Gray Wolf, now maddened to desperation, and drawing his gleaming knife. »

«Voilà, canaille: Tout le monde carte blanche enbonpoint sauve qui peut entre nous revenez nous à nous moutons (sic)... The messieurs entrez. »

Cependant, Roads of Destiny', une histoire de portée sérieuse, est contée à la manière de Dumas, évidemment une imitation. Et l'on trouve dans ses contes assez de preuves de l'intérêt qu'il porte aux choses françaises et à la couleur locale française; intérêt qui naquit peut-être pendant son séjour à la Nouvelle Orléans. «Il a peint et interprété la Nouvelle Orléans et ses environs dit Mrs C. F. Richardson, comme seul peut le faire un homme qui a vécu là et s'y est plu». La mise en scène, l'atmosphère de quelques nouvelles évoquent la Nouvelle Orléans; ce sont:

1. Tracked to Doom, Rolling Stones. p. 160.

2. Ibid, p. 163.

3. Tictoq, Rolling Stones, p. 150.

. Ibid. p. 151.

Roads of Destiny. Roads of Destiny. •. Waifs and Strays. Chapitre VIL

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