Immagini della pagina
PDF
ePub

onze brèves années il s'empara du public comme aucun autre écrivain ne l'avait jamais fait et rendit son pseudonyme littéraire presque aussi familier que celui de Mark Twain.

« Nous espérons que le temps viendra», dit M. Stephen S. Leacock 1, où le monde entier reconnaîtra en lui un des grands maîtres de la littérature moderne. O Henry, plus qu'aucun autre, est un écrivain américain typique. C'est un artiste littéraire d'abord, ensuite, et toujours; et pour l'art de la narration, rien dans Maupassant ne dépasse «The Furnished Room » (La Chambre Garnie). Les maîtres sont rares dans la littérature moderne ; et peut-être même les plus chauds admirateurs d'O Henry hésiteraient-ils à réclamer une place pour lui parmi les maîtres. Il est certain, cependant, qu'il s'est vendu plus de deux millions d'exemplaires de ses livres et qu'on l'appelle le Maupassant Américain.

Hélas, il est trop vrai que la majorité des lecteurs français n'a jamais entendu parler d'O Henry. Ce fait ne parle peut-être pas en sa faveur, comme O Henry l'aurait certainement fait remarquer, mais éclaire bien les difficultés que rencontrent un échange littéraire transatlantique et le passage d'un idiome à un autre.

Le public anglais, quoique tard venu à O Henry, cinq ans après sa mort, a été aussi enthousiaste que le public américain, et les critiques londoniens lui ont peut-être donné plus d'importance littéraire qu'il ne lui en a été attribué aux Etats-Unis, où l'on cherche dans les contes plutôt son plaisir qu'une signification artistique. En 1910, M. Mais a publié en Angleterre un ouvrage intitulé De Shakespeare à O Henry 2. Le numéro de septembre 1916 du Bookman de Londres a été consacré entièrement à O Henry 3 et nous trouvons dans d'autres périodiques de la même époque les titres suivants: Légende Anglaise d'O Henry; O Henry comme figure internationale; Ce que l'Angleterre pense d'O Henry; Les voyages d'O Henry.

Sur O Henry en France on écrivait en juin 19164: «Une nation qui aime Maupassant devrait connaître O Henry, mais la France

[ocr errors]

1. Stephen S. Leacock Essays and Literary Studies: The Amazing Genius of O Henry.

2. S. P. B. Mais: From Shakespeare to O Henry.

3. The Bookman, London, September, 1916.

4. O Henry in France, F. Stanton, Dial, Juin 1916.

3

a encore à le découvrir. De nombreuses personnes le mentionnent en même temps que le plus grand conteur français et le croient aussi bon artiste ».

A la Bibliothèque Nationale, à Paris, le correspondant du Dial a trouvé dix volumes d'O Henry, mais le bibliothécaire est cité comme ayant dit : « Pour autant que je sache, l'auteur est inconnu en France;1» et M. Henry Davray, critique des publications anglaises au Mercure de France dit : « Je ne sais rien sur O Henry; je n'ai jamais vu d'étude sur lui ni entendu parler de ses contes sous forme de livres.» En 1919, pourtant, la librairie Crès publia dans sa collection Anglia une première série de contes sous le titre Contes dans la Grande Ville, Aux plaines du Texas, traduits de l'anglais par Maxime Maury. Un second volume Au Pays de la Banane - est en préparation et il semble qu'enfin les yeux de la France se tournent vers O Henry.

Si Poe et O Henry sont les principaux promoteurs du développement du conte américain, Guy de Maupassant est certainement le principal artiste français du même ordre, un artiste qui, par son génie naturel et son habileté supérieure a surpassé peut-être tous les écrivains en ce genre, si grand qu'en soit le nombre. O Henry admet qu'il a étudié l'art de Maupassant2. Il nous dit aussi qu'il a fondé son étude du conte sur les théories de Poe. Ces deux faits nous ont amené à l'étude présente et nous semblent la justifier. Il est regrettable que la France ignore presque entièrement O Henry; et si d'autre part il a une dette envers son devancier français, il y a lieu de la reconnaître, tout en assignant la place qui revient, dans le développement du conte moderne, à un auteur qui a recueilli tant de suffrages auprès du public américain.

Quoiqu'il soit évident que la tradition du roman en général et du conte en particulier est très différente en Amérique de la tradition et de la forme françaises correspondantes, il nous semble que le ritualisme inhérent à tout genre littéraire, et au conte en particulier, rend possible une étude comparée. M. Baldensperger

1. Ibid. M. Maurice Tourneur a fait une version dramatique d'A Retrieved Reformation d'O Henry sous le titre « Alias Jimmie Valentine. » Harper's Weekly, New-York, April, 29, 1916.

2. C. A. Smith. O Henry Biography, pp. 9, 12, 83, 204, 245.

nous dit dans son ouvrage, La Littérature, que «les moyennes humaines, incarnées dans un certain nombre de types, d'anecdotes, de situations liées à des gestes admis et à des couplets ne varietur, forment une masse plutôt compacte où la variation est malaisée 1». Il est certain que les forces considérables tendent à créer des formules, avec influences réciproques et interaction des forces nationales.

Il nous a semblé impossible de faire une étude littéraire complète d'O Henry sans recourir à la méthode comparative. Nous sommes de ceux qui donnent à l'étude des sources étrangères une importance spéciale, et demeurons fidèles pour notre compte aux deux devises qui servent d'épigraphe à la Revue de Littérature Comparée à ses débuts. La première de Descartes: «La nature des choses est bien plus aisée à concevoir lorsqu'on les voit naître peu à peu, que lorsqu'on ne les considère que toutes faites ». La seconde, de Walter Pater: «Les producteurs de grandes œuvres littéraires ne vivent pas isolés, mais reçoivent lumière et chaleur de pensée de tous. »

Appliquons ces grands et vrais principes à notre modeste étude. O Henry déclare qu'il fut l'élève de Poe et de Maupassant. Chacun d'eux a été pour lui une source d'inspiration et un guide. N'y a-t-il pas là une base légitime à une étude de littérature comparée ? Les sources d'inspiration ne sont-elles pas une des causes profondes de l'œuvre elle-même ? Elles permettent de l'approcher dans sa réalité, puisqu'elles la saisissent dans son devenir. Elles ne donnent pas la raison du génie, mais montrent de quoi le génie se nourrit, quelle en est la substance et comment il la transforme. La recherche des sources ne suffit pas, elle n'est qu'une préparation, qu'un moyen, entre autres, d'expliquer l'œuvre littéraire, mais un moyen indispensable et un élément nécessaire. L'originalité, nous le savons, ne consiste pas à tirer quelque chose du néant, mais à interpréter un thème éternel sur une cadence nouvelle, dans une forme qui vibre diversement. Quant à l'originalité des auteurs, il semble bien que l'étude des sources, loin de la diminuer, l'accuse, car elle permet de la mesurer exactement, et sans cette mesure, on ne saurait l'apprécier à son juste mérite.

1. F. Baldensperger: La Littérature, Paris, Flammarion 1913, p. 55.

II

LA VIE

d'O HENRY

19

Il est important de connaître de façon sommaire la biographie d'O Henry pour pouvoir apprécier pleinement l'homme, quoique peut-être il vaille mieux oublier certains détails de sa vie tragique. Des cendres de l'obscurité et de la disgrâce son génie créateur a surgi comme un phénix. D'une atmosphère brumeuse de brutalité pénitentiaire sort le sourire humain de son imagination créatrice, un sourire qui a envoyé au cœur des hommes des rayons d'espoir et de compréhension.

O Henry (pseudonyme de William Sydney Porter) est né à Greensboro, Caroline du Nord, le 11 septembre 1862 1. Son historien, le professeur Alphonso C. Smith, a consacré dans son étude un grand nombre de pages aux ancêtres d'O Henry et nous assure que plusieurs ont été des gouverneurs d'Etat. M. Maury, qui a traduit en français quelques uns de ses contes, le dit descendant de l'illustre amiral Sir Algernon Sydney 2; sa famille aurait subi le cruel contre-coup de la guerre de Sécession, cette lutte fratricide de trois années qui devait laisser complètement ruinés les orgueilleux possesseurs d'esclaves. Quoi qu'il en soit, la vie d'O Henry jusqu'à trente cinq ans fut celle d'une pierre qui roule, sans caractéristique autre que malchance et mauvaise fortune.

Il vécut près de dix-neuf ans à Greensboro, petite ville de 2500 âmes. Ses premiers souvenirs le montrent couché par terre dans la grange où son père travaillait au problème du mouvement perpétuel, jouant au Ku Klux Klan et aux Indiens avec son ami Tom Tate, vagabondant, pêchant, et chassant. Il apprend la boxe, l'escrime, le jeu d'échecs, il rêve et lit. D'après son camarade Tom, ils possédaient à l'âge de sept ou huit ans une collection de récits de Georges Munro qui pouvait égaler celle d'une bibliothèque de gare.

1. A. C. Smith. O Henry Biography.

2. Maury: 0 Henry, Contes. Quelques notes sur l'auteur, p. 2.

La seule éducation que reçut Bill Porter fut l'œuvre de sa tante Eveline. Elle semble avoir été une institutrice rare, aimant la littérature et en nourrissant ses élèves. De 1874 à 1883, Porter a lu plus que dans toutes les années qui suivent, et des classiques seulement. Le vendredi soir Miss Lina assemblait ses élèves autour de son âtre; ils rôtissaient des marrons et à tour de rôle racontaient des histoires. Willie Porter était son meilleur conteur, élève et artiste à la fois, auteur de dessins qui eurent plus qu'une renommée locale.

1

En 1877, Bill Porter commença de travailler dans la pharmacie de son oncle Clark Porter. Il y resta cinq ans comme élève. Pour remplir ces années il eut d'abord la lecture. Parmi ses livres favoris figurent les Mille et une Nuits, l'Anatomie de la Mélancolie, les nouvelles et romans de Walter Scott, Dickens, Thackeray, Charles Reade, Bulwer-Lytton, Wilkie Collins, Victor Hugo et Dumas. Puis il acquiert la technique de la pharmacie, qui lui rendit plus tard en prison la vie plus douce, et dont il usa du reste aussi dans ses récits. Stephen Leacock le constate dans son étude 1, un examen rapide de ses œuvres montre qu'il connaissait les noms de plus de dix-sept drogues (seulement !) mais était capable de décrire la fabrication de pilules avec toute l'expérience d'un homme du métier. Enfin il développa son habileté de caricaturiste en silhouettant ses clients. En ce qui concerne ses dessins, le professeur Smith, son ami et chroniqueur, dit:2 «L'habileté du conteur futur est plus visible dans ses groupes que dans ses dessins d'individus. Les premiers donnent lieu à une espèce d'interprétation collective qui ressemble fort au canevas de ses contes. Il a y ici, même sélection d'un thème central, même idée principale, même choix soigneux de détails, même élimination des facteurs non essentiels, et même habileté à fondre le principal et les détails dans un effet total ».

La santé de Porter ne fut jamais brillante. Manque de grand air et peur de la tuberculose (dont ses parents avaient été atteints) il se rebella à l'idée de passer sa vie à Greensboro, et en mars 1882, à l'âge de 19 ans, s'enfuit chercher santé et fortune au Texas. Là, vivant pour une brève période dans un ranch, il eut la vision

1. Stephen S. Leacock. The Amazing Genius of O Henry. 2. C. A. Smith. O Henry Biography, p. 85, 86.

« IndietroContinua »