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III

L'ŒUVRE

d'O HENRY

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§ 1. INTRODUCTION

En étudiant un écrivain, on a souvent avantage à rechercher en premier lieu à quelle école il se rattache, de près ou de loin, quelles sont les tendances de son époque, dans quelle ambiance il a vécu. Mais dans le cas d'O Henry, école, tendance idéale de tel ou tel groupe, courant d'idées, tout est secondaire.

O Henry ne part pas d'une proposition pour en tirer une conclusion; de même qu'il évite de s'analyser lui-même, ses histoires s'arrêtent toujours au seuil d'une thèse définie,. Cet homme qui demeure une énigme, et dont l'originalité permet toute conjecture mais défie toute définition, a créé une œuvre difficile à classer parmi les œuvres littéraires de son époque.

Seuls les événements significatifs de sa vie, l'examen des nuances délicates de ses états d'âme, permettent d'identifier un être aussi insaisissable et aussi réservé. Malgré la diversité des sujets traités, la variété de l'effet recherché ou de l'intérêt qu'ils suscitent, c'est toujours lui-même qui se manifeste, sous des aspects contradictoires; l'homme fait corps avec ses écrits, et ce qui s'y trouve de meilleur et de pire est, pour ainsi dire, tissé dans sa nature même et porte indélébile la marque de son individualité.

On ne pourrait isoler un seul de ces contes de l'homme étrange, <«<the strange genius », de l'être à la forte personnalité, aux traits accusés, qu'était O Henry. A lui s'applique avec une singulière justesse cette formule devenue si banale en Amérique parmi notre génération : «He is different, so different ». Etudier la qualité de cette différence, par une rapide analyse de ses œuvres, telle est l'intention de ce chapitre.

Mais quand on songe que cet écrivain présente, en 500 pages, 150 à 200 personnages placés dans 50 situations dramatiques et évoluant à travers autant de milieux différents, il est aisé de

concevoir à quelle difficulté se heurte le critique qui recherche parmi ces cas infinis les théories, les haines, les enthousiasmes, les intérêts d'un même être dissimulé sous des aspects aussi multiples.

Ainsi que nous l'avons déjà fait remarquer, après son élargissement de la prison d'Ohio, les détails de la vie matérielle d'O Henry n'ont de signification qu'autant qu'ils montrent son caractère définitif. Libre, doublement libre, puisqu'il a connu l'esclavage physique et social de la prison, il commence une vie nouvelle avec la seule idée d'oublier le passé, en suivant la vocation qu'il a trouvée, la distraction qu'il s'est choisie, d'exprimer sa personnalité au moyen de contes, d'enregistrer pour toujours les drames quotidiens à mesure que ses contemporains les vivaient.

L'époque où il fut journaliste au Texas a été, si l'on peut ainsi dire, celle où son talent a «scintillé ». Alors il écrit habilement sur n'importe quel sujet, escamotant les mots et jonglant avec les idées, pour amuser les lecteurs des quotidiens. Il tourne en farce toutes les situations, toutes les idées classiques et en extrait des nouvelles irrésistiblement comiques. Mais après l'expérience de la prison, dégrisé peut-être par la misère intellectuelle et physique qu'il y a subie, il accède à l'époque créatrice éclatante; la vive faculté d'expression de «The Rolling Stone » cesse d'être une facilité pour ainsi dire superficielle; l'observation se fond avec la réflexion, l'une et l'autre se tempèrent par l'ardeur propre de sa personnalité. Il vise moins maintenant à l'apparence, qu'à l'idée centrale. Il cherche l'inconnu dans chaque coin, comme à Austin jadis lorsqu'il rôdait dans les rues le soir. Il garde la même curiosité, la même soif de surprise, mais tempérée maintenant par la connaissance qu'il a prise du sens de la vie aussi bien que des réalités extérieures. Ainsi, ces dernières flâneries ont abouti à une œuvre littéraire, tandis que les premières avaient fait de lui un simple journaliste.

L'œuvre de cet écrivain à l'existence fort tourmentée est considérable, même pour une époque où la production fut en général abondante. O Henry a publié en tout douze volumes de récits, choisis parmi ceux qui ont paru dans des revues ou des quotidiens américains, et groupés sans lien précis.

Nous pouvons admettre de prime abord que tous ces contes ne sont pas de premier ordre. Il serait surprenant qu'un auteur qui a tant écrit, avec une telle variété, dans un espace de temps aussi limité, n'eût produit que des chefs-d'œuvre. Un juge très sévère

réduirait les nouvelles à trois ou quatre volumes, mais il sacrifierait alors autant d'histoires aimées du grand public, qu'il en aurait admis.

Il est difficile, dans le cadre de cette étude, de rendre justice à la variété de l'œuvre d'O Henry, mais une conception de cette variété même est essentielle à la compréhension de l'homme et de l'œuvre. E. V. Lucas écrit dans son étude sur la Légende Anglaise d'O Henry 1: « Ces histoires appartiennent à tous les genres, et dans chacune il y a des traits à recueillir. On ne peut omettre aucun passage. Ce qu'il faudrait maintenant, c'est un seul volume contenant l'essence des douze livres. » Nous aimerions à le composer nous-mêmes, mais tel est sans doute le vœu de chacun de ses lecteurs. «O Henry », continue Lucas, «est toujours bon, il y a toujours dans ses contes des phrases habiles, des tournures humoristiques, des éclairs d'intelligence, résultat condensé de longues années d'expérience. Cependant certains d'entre eux sont tellement supérieurs aux autres, qu'on voudrait pouvoir les séparer pour les mettre en lumière ».

Mais pour notre objet une telle sélection serait manifestement insuffisante. Qui veut porter sur son œuvre un jugement équitable doit la considérer dans son intégralité.

Onze volumes ont paru du vivant de l'auteur, deux sont des compléments posthumes. L'analyse de l'ensemble est facilitée par quelques conditions spéciales: d'abord le cadre qu'il a choisi est toujours le même ; et de plus ses contes sont presque toujours de la même longueur, du fait qu'ils étaient destinés tous à occuper le même espace dans un journal. Ainsi l'on évite la difficulté que présenterait l'étude d'un talent qui se traduirait à la fois en nouvelles, en romans, en poèmes et en drames. L'esprit peut saisir tout son sujet d'un coup. Pour un lecteur familier avec son idiome, O Henry est tout d'une pièce, sur le même plan littéraire. Autre fait qui a son importance: si proche que nous le sentions de nous, O Henry n'est plus, ni lui, ni les gens qu'il a décrits. Certes ils sont du vingtième siècle et presque contemporains; mais, depuis, le monde a bien changé. O Henry est de cette époque lointaine d'avant-guerre. Ses scènes, ses types subsistent, mais combien évolués à la suite du cataclysme mondial. Et quoiqu'il

. E. V. Lucas. The English Legend of O Henry. Literary Digest. September 1916.

soit presque de notre temps, on peut étudier O Henry comme on étudie les autres genres littéraires, depuis longtemps cristallisés dans le passé.

L'analyse de cette œuvre peut être envisagée suivant diverses méthodes soit en se fondant sur la technique, en classant les contes et les étudiant selon leur structure mécanique; soit en les présentant selon leur lieu d'action, car il est toujours bien défini et a son importance. On pourrait aussi les grouper d'après leurs sujets; certains thèmes se répètent et s'affirment comme l'expression des idées favorites de l'auteur. Chacune de ces façons de traiter la question présente tel ou tel avantage particulier; dès lors, n'en envisager qu'une seule c'est courir le risque de ne pas avoir une vision complète. Nous allons donc essayer, en combinant ces différentes méthodes, d'arriver à la compréhension la plus sincère de cet écrivain.

Les contes d'O Henry ont été publiés sous forme de volumes dans un ordre tellement quelconque, comme ils sortaient de sa plume, produits de son intérêt immédiat, expression de sa pensée du moment, que toute classification d'après la composition même de ces volumes est presque nécessairement arbitraire. Un seul de ces ouvrages se rapprocherait du roman par l'ampleur de sa continuité: il va être traduit en français, sous le titre Au pays de la Banane. Les onze autres sont des recueils de contes assez disparates, réunis tout à fait au hasard sous des titres souvent bizarres, intraduisibles, et qui n'ont qu'un rapport assez vague aux histoires groupées sous ces appellations.

Deux de ces volumes, toutefois, sont plus strictement composés The Gentle Grafter, L'aimable Escroc, histoires plaisantes de filous ingénieux, et Heart of the West, Le Coeur de l'Ouest, récits d'aventures de vagabonds et de ranchmen.1

Quoique nous croyions pouvoir faire un certain groupement de ces volumes selon leur ordre chronologique, nous esquissons ce plan parce qu'il fait bien voir le succès d'O Henry parmi ses contemporains au cours de sa carrière littéraire. Mais pour tracer l'évolution de son talent de conteur, nous nous en tiendrons à un point de vue exclusivement critique. Car ces contes ne per

1. Maxime Maury. Contes. Introduction.

mettent pas de suivre historiquement le développement de l'auteur. Soit qu'ils appartiennent à l'époque de ses débuts, soit qu'ils se rattachent à l'époque de son grand succès, tous se trouvent sur le même plan. Parmi certains contes écrits en prison même, trois ont été cités parmi ses chefs-d'œuvre par le plébiscite du Bookman, New-York, 1914. O Henry est arrivé au complet épanouissement de son talent presque aussi subitement que Guy de Maupassant. Il a fait son apprentissage dans l'obscurité, il se présente au public en pleine possession de son instrument; et quoique ses écrits soient souvent de mérite inégal, cette inégalité même est le résultat du hasard de son humeur, de son inspiration momentanée, et non pas la mesure de ses capacités : s'il avait voulu, s'il avait eu plus de conscience littéraire, ses autres contes auraient eu la même valeur.

Néanmoins, tout en reconnaissant ce qu'il y a d'artificiel et d'arbitraire dans ce procédé, nous avons cru pouvoir grouper ses œuvres selon l'ordre suivant :

1o Dans les premières manifestations de son talent, O Henry montre déjà quelques-unes des qualités qui éclatent alors qu'il est en possession de tous ses moyens: Cabbages and Kings, 1904, The Four Millions, 1906, The Trimmed Lamp, 1907.

2o Une période de décadence succède, qui est peut-être le résultat de trop d'assurance et de hâte à produire avec un certain laisser-aller, alors que le bruit fait autour de son nom l'a grisé, que la popularité l'a porté en des sphères où il est difficile de se maintenir: The Heart of the West, 1907, The Voice of the City, 1908, The Gentle Grafter, 1908.

3o Les critiques de ses contemporains ne le laissent pas insensible et il retrouve son énergie, sa conscience artistique : Roads of Destiny, 1909, Options, 1909, Strictly Business, 1910. Le voilà en pleine maîtrise de son talent; sûr de sa technique, il atteint le niveau où il ose être lui-même, et ignorer de plein gré, parce qu'il en a gagné le droit, les exigences de son métier : Whirligigs, 1910, Sixes and Sevens, 1911. Les deux volumes publiés après sa mort, Rolling Stones, 1913, Waifs and Strays, restent en dehors de toute classification.

1. About New-York with O Henry. Waifs and Strays.

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