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Un endroit particulier n'est pas seulement, pour O Henry, le cadre de son conte il en est, en partie, l'explication même.

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Il ne recherche pas le théâtre d'action de ses contes loin de son propre champ d'expérience. Et c'est là peut-être ce qui leur assure l'ambiance intime du réel, et d'ailleurs, aussi, beaucoup de leur portée. Ses descriptions sont vivantes, mais, soit qu'il peigne les bonnes manières d'autrefois en Caroline du Nord, la rudesse du Texas hors la loi, le charme étrange de la NouvelleOrléans, l'atmosphère langoureuse des villes ignorées le long de la côte de l'Amérique Latine, ou le tumulte, la sordidité et la magnificence du New-York moderne, partout éclate la couleur locale. Que l'air soit saturé de l'odeur pénétrante des jasmins ou des fleurs d'oranger, qu'il soit sec ou humide, chaud et somnolent, ou froid et vif, O Henry nous transporte instantanément au pays qu'il fait revivre, et nous en subissons vraiment le climat. Avec une facilité extraordinaire il saisit le propre d'un endroit, et utilise chaque détail pour aviser l'expression du réel.

Cependant les particularités locales n'interviennent pas en raison seulement de l'intérêt qu'elles présentent par elles-mêmes; O Henry leur prête un rôle plus subtil, plus en profondeur. Le paysage façonne son modèle, si bien qu'en dernière analyse c'est le pays qui fait vivre le sujet, tout en restant au second plan. Les lieux mêmes ne sont pas à eux seuls une circonstance suffisante, ils s'incorporent à l'individu, sur lequel ils exercent une influence secrète mais puissante.

§ 3. LES THÈMES FAVORIS

Qu'il soit à New York, à Tennessee ou dans l'Amérique Latine, il a toujours conscience de chaque nuance des manifestations humaines; la vie, il l'observe, il la peint, mais son es-prit ne s'abstrait pas de l'étude des phénomènes sociaux. Quoiqu'il ait goûté la solitude lui-même, l'homme isolé ne l'intéresse guère. C'est l'homme en société qui le fascine, avec son humour et ses humeurs, ses toquades et ses caprices, ses tragédies, comédies et tragi-comédies, ses conflits avec les individus et les institutions, ses mobiles complexes, l'idéal qui perce là même où il est le plus inattendu, en un mot tout ce qui est le facteur essentiel de la vie sociale. C'est pour cette raison qu'il ne recherche pas les intrigues extraordinaires, mais celles qui sont profondément humaines.

Et peut-être le secret du succès d'O Henry, sa valeur propre, résident-ils dans la richesse et la diversité de ses thèmes ?

« CALIFISME» ET MASCARADE.

Peu d'auteurs, jusqu'à présent, ont songé à exploiter cette nouvelle mine littéraire assez riche qu'est le « Califisme». O Henry s'y est surpassé et dans A Bird of Bagdad1 il a eu le bon esprit de projeter quelques lueurs sur un sujet qui ne peut manquer d'étonner ses lecteurs par son étrangeté: «La Grande Ville de <<Bagdad on-the-Subway est infestée de Califes; ses palais, ses <<bazars et ses chemins détournés sont remplis d'Haroun Al Rachids «en quête de distraction et de victimes pour leur générosité illi«mitée. Ils sont 10.000.000 pour une Schéhérazade, ces riches << sultans << Caléphoïdes » qui cherchent de tous côtés les pauvres pour les combler de bienfaits mystérieux ».

Le Carson Chalmers de A Madison Square Arabian Night 2 est un de ces califes. Il n'avait jamais songé à imiter en rien le Calife de Bagdad, mais ce soir là sa mélancolie soucieuse exi

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geait un antidote peu ordinaire, une aventure à l'orientale, corsée peut-être par quelque tragique révélation. Alors il envoya son valet inviter l'un de ces pauvres diables sans abri qui attendent leur tour devant l'asile de nuit. Le pauvre personnage choisi parmi ces oiseaux nocturnes salua son hôte d'une voix dure et agressive: «Je vois, dit-il, que vous m'offrez un dîner dans les «règles, mon excellent Calife de Bagdad; ne craignez rien d'ail<«<leurs, le moment venu je serai pour vous une Schéhérazade lo<quace. Comment, mon cher Haroun al Rachid, comment voulez« vous que je vous narre l'histoire de ma vie ? un chapitre à chaque << service, ou toute l'Odyssée avec le café et les cigares? On trouve à New York autant d'Haroun-al-Rachids au petit pied que de «puces à Bagdad, et l'on m'a bourré de repas de tout calibre en « échange de confessions plus ou moins complètes. Les âmes cha<<ritables sont d'une curiosité! On vous offre dix sous et un plat << de lentilles; un autre, calife plus cossu, un bifteck garni, un « troisième un dîner à prix fixe dans une gargote infâme; mais <tous entendent être payés en révélations sensationnelles. Ils «<exigent votre autobiographie avec notes, suppléments et ap<«<pendices. Sans quoi, rien à tirer de leur philanthropie. Aussi, << suis-je toujours prêt à leur en donner pour leur pauvre petit << argent. Ne m'en croyez pas le moins du monde offensé. Je me « considère comme une revue circulante à couverture orientale et << qu'il est loisible à tout un chacun de feuilleter. » Et après un délicieux repas, l'invité raconte à son hôte son histoire, vraie sans doute, mais autrement difficile à croire qu'une des inventions coutumières des vagabonds.

Le Calife Spraggins, de A Night in New Arabia 1, nouveau riche à la charité encombrante, essaie de soulager sa conscience d'un vol fait dans la première phase de sa vie d'homme d'affaires. Ici O Henry admet, au beau milieu de l'histoire, que l'intervention du calife n'est rien qu'un artifice dont il s'est servi pour attirer l'attention sur le roman de la jeune héritière, fille du Calife, et du garçon épicier. Le mot final est un retour au Calife Spraggins lui-même, qui renonce à être généreux pour continuer à amasser de l'argent pour son petit-fils: «L'histoire vraie du Calife Haround Al Rachid nous conte que vers la fin de sa vie il s'était fatigué de sa philanthropie, et avait fait décapiter tous ses anciens amis et ses favoris ».

1. Strictly Business.

Le Prince Michael d'Electorate de Valle Luna 1, alias Dopy Mike, est une autre espèce de Calife. Pour lui, la société, le monde artistique, l'amitié de l'élite, l'adulation, la sympathie des plus belles femmes, l'hommage des gens les plus sages, la flatterie, le crédit illimité, le plaisir, le renom, enfin tout le miel de l'existence, attendait dans la ruche le moment où le Prince Michel de Valle Luna voudrait le cueillir. Mais il a préféré s'asseoir, sale et en loques, sur un banc de Madison Square. Ayant goûté au fruit de l'arbre de la vie, il l'avait trouvé amer, et il était sorti de son Eden pour chercher de la distraction près du cœur palpitant de l'humanité. Ce vaurien-vagabond, dans son hallucination sublime, arrive, par une série d'accidents, à jouer le rôle de Cupidon, et à donner des conseils sages et consolateurs au jeune homme attendant son destin. L'intrigue est peu importante le calife seul éveille notre sympathie.

August von Paulson Quigg, nous dit O Henry dans Bird of Bagdad 2 a hérité d'une grande partie de l'esprit du Calife Haroun Al Rachid. Restaurateur dans la journée, Quigg était de nuit le Margrave, Prince de Bohème, parcourant la ville en y recherchant le bizarre, le mystérieux, l'inexplicable. «Je cherche un

dit-il lui-même, l'aventure dans les rues d'une ville et non dans les châteaux en ruines. Pour moi les plus grandes merveilles se passent dans le cœur humain. » Alors il imite les randonnées charitables d'Haroun Al Rachid, gouverneur glorieux et immortel; il donne aux hommes, victimes des malheurs particuliers à la vie compliquée d'une grande ville, des cachets pour manger à son restaurant. Avec son cœur de calife, on peut lui pardonner de n'avoir pas été poète.

D'après l'auteur il n'y a guère de califes féminins. Les femmes sont Schéhérazades par naissance, par prédilection, par instinct, et grâce à la disposition de leur larynx. Mais O Henry en a connu une: Mrs Maggie Brown 3, la troisième des plus riches femmes du monde. Cette vieille femme, maigre et sombre, portant toujours un sac préhistorique, semble, malgré son avarice, douée d'un cœur charitable. Elle veut adopter une dactylo, merveilleusement belle, qu'elle a vue dans le bureau d'un hôtel. La jeune

1. The Caliph, Cupid, and the Clock, «The Four Million. »

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fille, enchantée de son nouveau sort, pendant quelques semaines se réjouit de porter des toilettes élégantes et de mener une vie de luxe. Mais l'avarice de la vieille femme abat bientôt son enthousiasme pour la beauté de son amie; effrayée par les factures qui arrivent au bout du premier mois, elle revient à une vie rétrécie et la jeune fille reprend son existence active. Plus tard, le jour de son mariage, un invité note que la ressemblance de son profil à celui qui est gravé sur les dollars, explique l'étrange passion de Maggie Brown.

Mais ce qui apparaît surtout dans le « Bagdad-on-the Subway», d'O Henry, c'est le Haroun Al Rachid à rebours, pour qui rien n'est aussi divertissant que de frayer incognito parmi des gens riches. 1 Où peut-on mieux voir la vie dans son état primitif, sans la contrainte des conventions de la petite bourgeoisie? L'aventure de ce chauffeur en mascarade dans le monde chic lui révèle à lui-même sa propre supériorité sur le gentilhomme, arbitre des élégances, avec lequel il se rencontre. Cette idée de transplanter des gens dans un monde autre que le leur, forme un des thèmes favoris d'O Henry. Puisque Haroun Al Rachid trouve amusant d'errer incognito parmi ses pauvres sujets, pourquoi, dans notre monde moderne et individualiste, les humbles et les pauvres ne joueraient-ils pas de temps à autre le rôle d'ultra riches ?

Dans While the Auto Waits 2, une jeune fille d'une beauté placide est assise sur un banc dans un parc public, elle fait semblant de lire The New Arabian Nights de Stevenson, mais répond au salut d'un jeune homme inconnu et entre en conversation avec lui. Elle dit qu'elle est fatiguée du faux éclat, de la richesse et du snobisme social qui l'entoure, qu'elle est dégoûtée du plaisir artificiel, des voyages, de la société et du luxe. Elle lui explique très gentiment qu'elle est si ennuyée par les marquis et les millionnaires de son monde, qu'elle croit pouvoir n'aimer qu'un homme modeste, et elle questionne le jeune homme sur son identité et sa profession. Il lui répond qu'il travaille dans un restaurant, qu'en fait il est caissier du restaurant d'en face. Soudain pressée,

1. The Caliph and the Cad. Sixes and Sevens».

2. «The Voice of the City. »

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