Immagini della pagina
PDF
ePub

ENCYCLOPÉDIQUE,

OU

ANALYSES ET ANNONCES RAISONNÉES

DES PRODUCTIONS LES PLUS REMARQUABLES

DANS LA LITTÉRATURE, LES SCIENCES ET LES Arts.

I. MÉMOIRES, NOTICES,
LETTRES ET MÉLANGES.

TABLEAU

MORAL ET POLITIQUE

DE LA GRÈCE, EN 1824 (1).

L'année qui vient de s'écouler, l'une des plus remarquables parmi celles dont se composera la période historique de la régénération de la Grèce, doit fixer l'attention de tous ceux qu'une noble sollicitude porte à méditer sur les destinées des peuples. En recueillant les traits qui caractérisent cette époque, en appréciant les principes et les ressorts de la révolution grecque, peut-être aurons-nous lieu de fortifier notre confiancé

(1) Cet article, qui nous est fourni par un jeune Grec, l'un de nos collaborateurs, digne représentant de la nation héroïque à laquelle il est fier d'appartenir, sert de suite et de complément à l'intéressante NOTICE de M. J.-B. SAY, insérée dans ce recueil (t. XXIV, p. 257-274), sous ce titre : Notions sur la Grèce, pour l'intelligence des événemens qui se préparent dans cette partie de l'Europe. T. XXV. - Février 1825.

20

dans l'avenir, et d'entrevoir le salut prochain de la Grèce, objet de nos plus chères espérances. Mais, avant de parcourir l'histoire de cette année, il convient de jeter un coup d'œil rapide sur celles qui l'ont précédée, et d'assigner la cause première de ce mouvement inattendu qui occupe aujourd'hui le monde politique. L'état social d'un peuple en guerre est nécessairement lié avec la chaîne des événemens militaires : nous devons donc les comprendre dans notre examen des progrès moraux et politiques de cette nation.

Descendans de ceux à qui l'Europe doit ses lumières et sa civilisation, réduits à la servitude par les sectaires d'une croyance intolérante et barbare, les Grecs (1) prennent les armes pour secouer le joug: pro aris et focis, telle est leur devise; la délivrance ou l'anéantissement, voilà leur perspective. Épuisés de sang et de population par les excès toujours croissaus d'une tyrannie implacable, quels auxiliaires viendront les soutenir dans la conquête de leurs droits? l'anarchie qui déchirait différentes parties de l'empire ottoman, et les symptômes évidens de sa décadence; la guerre des Turcs avec les Perses et leurs démêlés avec une grande puissance du Nord; le voisinage des peuples bulgaro - serviens et valaquo- moldaves, peuples chrétiens et qui devaient faire cause commune avec les Grecs; les intérêts bien entendus du commerce et de la politique générale; enfin l'appui de l'Europe chrétienne, et notamment de cette puissance prépondérante, aux vues de laquelle la Grèce s'était tant de fois sacrifiée : tels furent les fondemens de leurs espérances. Néanmoins l'expérience prouva bientôt aux Grecs la fausseté de ces calculs qui avaient séduit leur imagination. Les pachas peuvent avoir à se plaindre du sultan ou

(1) On peut évaluer toute la population de race grecque, à près de quatre millions d'âmes, et la portion affranchie jusqu'à présent, à la moitié de ce total. N. d. R.

de ses ministres : ils peuvent lever l'étendard de la révolte; mais cet étendard est toujours celui du Prophète, et il n'assistera jamais les infidèles qui voudront s'affranchir de la juridiction sacrée du calife. Les peuples de la Save et du BasDanube, formant une population de près de deux millions, restèrent dans l'inaction. L'incapacité de ceux qui dirigèrent les affaires de la Valachie seconda merveilleusement les manœuvres de certains agens étrangers, travaillant sur les lieux pour maintenir l'ancien état des choses. Les monarques d'Europe, enfin, et surtout leurs ministres, préoccupés du danger des innovations politiques subites et improvisées, frappèrent d'une réprobation solennelle l'entreprise des Grecs. Ils crurent devoir l'assimiler aux commotions de l'Occident, tandis qu'elle n'était qu'une défense légitime des droits de l'homme en société; et ce déplorable malentendu, résultat d'un faux système politique, les empêcha de seconder une nation généreuse qu'ils abandonnèrent à son sort. Plût au ciel qu'ils se fussent du moins renfermés dans les bornes d'une stricte neutralité, et que l'inexorable avenir n'eût pas à leur reprocher d'avoir favorisé trop souvent les ennemis du nom chrétien et de la civilisation!

Telles furent les circonstances au milieu desquelles l'insurrection éclata en Morée, au printems de 1821. L'étouffer dans son berceau, eût été l'œuvre d'une grande énergie, jointe à beaucoup de sagesse. Mais, la fureur s'emparant de l'esprit du sultan, il rêve un massacre semblable à celui dont les historiens romains accusent Mithridate. Le glaive de la vengeance, mis entre les mains d'une populace féroce, plane indistinctement sur tous les Grecs. L'Église d'Orient est décimée; ses temples sont renversés, ou profanés. Les familles pleurent leurs soutiens; errantes et dispersées, elles vont gémir dans l'exil et dans la misère. Constantinople, Smyrne, Cydonie, Salonique, Chypre offrent en spectacle aux nations de l'Europe,

immobiles d'horreur, les supplices de plusieurs milliers de Grecs désarmés. Dès lors, tout pacte est rompu. L'incendie se propage: Candie, la plupart des îles, la Livadie, une partie de l'Épire, entonnent l'hymne de la liberté. Le désespoir crée des ressources: on se fait une arme de tout, on marche aux siéges avec des massues, et la nécessité fait renaître les tems héroïques (1). Les particuliers ouvrent leurs bourses pour subvenir aux frais de la guerre; le peuple offre ses bras; la marine marchande des insulaires s'expose au feu des flottes superbes du tyran, qu'elle commence à maltraiter, sous le commandement de Toumbasi. Tout homme influent est chef, tout grec est soldat: étonné de se voir armé et de respirer librement, le peuple commence dans des escarmouches et dans une guerre de partisans son éducation militaire. Ses coups sont encore incertains: souvent épouvanté par le fantôme de la tyrannie, dont le fouet et les chaînes sont toujours présens devant lui, il est sur le point de poser les armes; mais des succès inattendus raniment son courage, lui rendent la confiance, et son apprentissage s'achève dans cette lutte salutaire. Bientôt, les insurgés prennent possession des places de Malvoisie et de Navarin, et ils s'emparent de Tripolizza. Effaçons, s'il est possible, le souvenir de leurs terribles représailles. Quelle nation n'a point à s'en reprocher de pareilles? Et qu'elle autorité humaine eût pu contenir l'exaltation d'un peuple, exerçant au nom de tous et de chacun des vengeances réputées légitimes? Les Grecs, aspirant à s'élever au rang des nations civilisées, se sont bien gardés depuis de flétrir leur cause par de si déplorables désordres. Co

(1) Voyez, pour les particularités de cette époque, qui n'est pas la moins intéressante de la guerre nationale des Grecs, les Mémoires de Maxime RAYBAUD, lieutenant-colonel, témoin oculaire, qui viennent de paraître chez Tournachon-Molin, rue S.-André-des-Arts, n° 45. 2 vol. in-8°.

rinthe capitula, vers la fin de l'année. Alors, les représentans de la nation s'assemblent sous la présidence d'Alexandre MâVROCORDATOS, et proclament sur les ruines de l'ancienne Épidaure l'indépendance de la Grèce. Il fallait des lois : ils rédigent une constitution provisoire, et forment un gouvernement central qu'ils jurent de défendre. Un sénat, composé de députés des provinces, gouvernera de concert avec un conseil exécutif de cinq membres. Un tribunal suprême surveillera la gestion des tribunaux secondaires (1). Le gouvernement restera toujours national, c'est-à-dire qu'il aura toujours pour objet le bien du plus grand nombre; mais, à la paix, il peut recevoir les modifications que l'expérience aura fait préférer. Les mois s'écoulent. La Grèce, à peine informée d'une levée de boucliers intempestive dans l'ile de Chios, apprend la catastrophe de cette contrée florissante. Les secours du gouvernement national arrivent trop tard. Tout allait périr des agens étrangers contribuaient à sacrifier une population entière, en offrant aux fuyards l'appât d'une clémence fallacieuse. Mais Canaris accourt de Psara, une torche à la main ; il fond sur les Barbares à Chios, et le Capitan pacha trouve un tombeau dans son vaisseau incendié. Le héros de Psara attaque plus tard la flotte ennemie dans le port de Ténédos et la force à fuir jusqu'aux Dardanelles. Cependant, la chute d'Ali - Pacha et les primes que fournissent ses trésors avaient poussé les hordes albanaises contre les rochers de Souli. Les Souliotes, après une résistance presque surnaturelle, capitulent, faute de secours, et quittent leur pays avec les honneurs de la guerre. La bataille de Péta est perdue (2). L'Acarnanie et l'Étolie sont enva

:

(1) Voyez cette Constitution, ainsi que plusieurs autres pièces officielles, dans les Mémoires cités de Maxime RAYBAUD.

(2) Voyez, dans les Mémoires cités de Maxime RAYBAUD, le plan de Péta.

« IndietroContinua »