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son: « Quelquefois des personnes qui n'ont peut-être pas profité de toutes les ressources de la langue françoise l'ont accusée de pauvreté et d'insuffisance. Pauvre! non. Avare, inconstante et dédaigneuse! oui. Jetez les yeux sur les dix-sept volumes manuscrits du Glossaire de Sainte-Palaye, ou, si mieux vous aimez, feuilletez celui de Roquefort, qui n'en est qu'un extrait, et tous ceux que de savants éditeurs ont placés à la fin de leurs curieuses publications; interrogez Ménage et Furetière; parcourez aussi les huit in-folio de Ducange, qui renferment tant de vieux mots françois, et vous saurez alors si cette langue est riche; lisez ensuite nos plus anciens écrivains; suivez avec quelque attention la lexicologie de Villehardoin, de l'historien de Boucicaut, de Froissard, de Comines, de Rabelais, de Montaigne, d'Amyot surtout, des auteurs de la Satyre Ménippée, etc., il y a là toute une langue enfouie et morte sous le poids de l'étiquette du dix-septième siècle; lorsqu'on ne voulut plus écrire que la langue de la cour, ce que la cour ne disoit pas, l'Académie n'osoit l'enregistrer. »

Cela est fort bien dit, et la vieille langue est bien vengée, si ce n'est que volontiers encore nous pardonnerions à l'Académie, si elle nous avoit gardé cette langue de l'étiquette qui, après tout, étoit une langue de choix et d'élégance. Après l'étiquette est venue la trivialité.

Il y a dans ce livre, sur l'Université, sur les sciences, sur la poésie, sur les arts du moyen-âge, des détails précis et d'un grand intérêt.

Ne prononce-t-on pas quelquefois le mot d'ignorance en parlant de ces temps d'une si merveilleuse activité? - La réponse est écrite en traits splendides sur les monuments. L'architecture a des formes d'une hardiesse et d'une harmonie qui supposent une société savante et poétique. Tous les arts qui s'y rapportent sont d'une perfection analogue. La peinture sur verre, toute seule, attesteroit un état de civilisation raffinée.

L'importance que l'on attachoit aux produits délicats de la vitrification, dit M. de Vaublanc, se montre dès le onzième siècle.

L'évêque d'Auxerre (1075), Geoffroy de Champaleman, surveilla lui-même ses ouvriers après l'incendie de sa cathédrale et chargea six de ses officiers de pourvoir à l'exécution d'autant de verrières pour l'église restaurée. Il réserva des prébendes en faveur d'un clerc habile en orfévrerie, d'un savant peintre et d'un ouvrier intelligent; les chanoines lui en firent des remerciments. Depuis lors on lisoit de temps en temps dans le Nécrologe d'Auxerre l'obit de quelques chanoines peintresverriers. Dans le Nécrologe de Notre-Dame-de-Parts (de 1168 à 1184), on trouvoit ces lignes « Mort de Baredon, doyen et prêtre, qui fit faire une vitre au prix de 15 livres.

On ne peut tout dire. Mais qui ne sait la magnificence des verrières de la Sainte-Chapelle et de Saint-Denis? Suger et saint Louis avoient pris plaisir à orner ces deux monuments de toutes les richesses de l'art catholique. Comment donc imaginer que ces œuvres si élégantes et si variées eussent pu être conçues pour une société incapable de les goûter? Le génie n'est pas un don abstrait. Il a besoin d'une société qui le com→ prenne, et d'ordinaire c'est la société qui le produit. Ni l'architecture, ni la peinture, ni l'orfévrerie, ni la sculpture du moyen-âge, n'auroient multiplié leurs chefs-d'œuvre en regard d'une société inculte et barbare. C'est une remarque qui manque peut-être au livre de M. de Vaublanc et que je soumets à son rare esprit.

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C'est aussi par là que s'explique la multiplicité des monuments. J'aurois voulu que M. de Vaublanc recueillit avec plus de scrupule l'histoire des confréries d'architectes et de maçons. qui alloient courant le monde pour bâtir des cathédrales. L'organisation de ces compagnies constate le concours populaire dans le magnifique mouvement des arts au moyen-âge, et plus nous voulons aujourd'hui agrandir ou flatter le peuple, plus il nous importe de montrer sa part de gloire dans les souvenirs. de la patrie.

Les trésors des églises, les chuisses, les chapelles, sont autant de souvenirs qui attestent, soit la richesse, soit le génie, soit

la piété de ces temps. Si d'une part, vous voyez la splendeur des dons, d'autre part vous voyez la splendeur des œuvres. La société tout entière concourt à cette magnificence.

Que de touchantes pages M. de Vaublanc laisse, à propos de ces monuments, tomber de sa plume! Le culte des reliques étoit surtout l'inspiration de l'art en ces temps de foi c'étoit une sainte poésie :

• Au moyen-âge, dit l'auteur, l'exhumation ou l'exposition des reliques donnoit lieu à des solennités considérables, le respect des peuples pour les restes des hommes célèbres ou vertueux est un sentiment inné. Les philosophes et les ignorans, les païens et les chrétiens ont vénéré les reliques et pratiqué le culte des morts. Jamais on n'affecta pour leur dépouille l'indifférence habituelle de nos jours, réchauffée vainement par quelques translations fameuses de cendres héroïques. Cependant l'écho du passé est encore dans ces fragiles débris: il est dans les moindres souvenirs demeurés jusqu'à nous des êtres qui n'existent plus, et que nous avons aimés. Quelle est la mère qui n'ait gardé religieusement un peu de la chevelure blonde de l'enfant qu'elle ne cessa de pleurer? Quelle est l'amante ou l'épouse qui n'ait ressenti une grave émotion à la vue d'une image, d'un anneau, d'un vêtement laissé en deçà du cercueil, comme ces plumes que l'oiseau abandonne à la terre lorsqu'il fuit mortellement blessé ?

Il n'est pas d'expression qui puisse peindre l'ardeur des peuples de jadis à contempler et toucher ces fragments d'os, ce peur de cendres recueilli au fond des tombeaux des saints. Ils les enveloppoient de soie et d'or, mais ils leur étoient infiniment plus précieux que l'or et la soie; ils baisoient et arrosoient de leurs farmes ces chers et mélancoliques débris, souvenirs de tant de vertus et de tant de souffrances; ils accouroient de loin pour renouveler tout près d'eux, et comme sous l'influence de leurs saintes émanations, des vœux et des prières. Alors on attribuoit des puissants effets à des paroles suppliantes, qui réclainoient l'intervention des êtres bienfaisants dont on

honoroit la dépouille mortelle. Convaincu de l'immortalité des âmes et de la résurrection des corps, on n'oublioit jamais la communion des existences invisibles et des vies terrestres, on se confioit à l'éternité et à l'immensité d'un âmour qui avoit commencé sur la terre et qui continuoit à fleurir au pied du trône de l'Éternel pour le soulagement des fidèles demeurés encore dans l'exil de la vie. Croyance pieuse et consolante ! croyance noble et vraie qui donne aux bonnes actions le sceau de la perpétuité, qui fait de la charité une lampe incombustible, qui forme un seul peuple et une seule famille de ceux qui ont vécu et de ceux qui respirent, en les unissant sous la main de la Providence, malgré les abîmes de l'espace, par l'échelle mystérieuse de la prière.

Ces pages sont admirables d'élégance. Elles sont toute l'explication des splendides reliquaires, et des royales chapelles, témoins survivants de la piété et du génie du moyen-âge.

Le caractère de ces temps se peint à d'autres indices. Des mœurs extérieures et publiques, vous passez avec M. de Vaublanc, aux mœurs domestiques et privées; rien ne lui échappe. Remarquez surtout la probité des habitudes et des relations des hommes entre eux. Chaque métier a ses lois, chaque apprentissage a ses conditions; mais la première règle est l'honnêteté.

<< La plupart des métiers ne pouvoient travailler à la lumière, parce que, disent les statuts, l'œuvre est mauvaise ou insuffisante.

« Nul serrurier ne peut faire de clef, si la serrure n'est devant lui dans sa maison. >>

La loi venoit en aide aux mœurs, et quelquefois par une pénalité terrible.

>> Les tisserands doivent donner à leurs étoffes les dimensions légales, sous peine d'avoir le poing coupé. »

Tous ces règlements sont infinis, et M. de Vaublanc les recueille et les analyse avec intelligence.

Puis apparoît la vie féodale; le château est décrit avec le

jardin et le village; les chemins, les sentiers, lès couvens, la solitude tout reprend de l'animation et de l'intérêt. De là, vous entrez dans la ville, dans ses rues bourgeoises, dans sa rue marchande, dans sa juiverie, dans ses marchés, dans son château. L'Hôtel-de-Ville semble un peu oublié, et j'en ai regret; c'est là que se nourrit la sève communale, principe de la liberté politique. Mais je recommande l'intérieur des habitations aux amateurs quelque peu irréfléchis du luxe féodal.

■ Ne croyez pas que le pied refroidi pose toujours sur le marbre et sur la pierre, ou sur la brique émaillée de rosaces et d'armoiries; on a, pour couvrir le sol, des tapis sarrazinois, des tapis nostrés (1) et des jonchées de verdure et de fleurs. Les couvents seuls n'osent se permettre de telles recherches. L'abbé de Froidefond est puni pour avoir recouvert de tapis le pavé de son presbytère. Il y a plusieurs manières de joncher le pavé avec des nattes ou des lits de paille, du jonc, de l'herbe fraîche en été; avec des fleurs aux jours de fête. Le Louvre de Philippe-Auguste est jonché d'une paille qu'on donne à l'Hôtel-Dieu quand la cour du roi quitte Paris, usage connu déjà au siècle précédent. Le petit bàtard de Normandie, qui se fit ensuite roi des Anglais, ayant été posé un instant sur la paille par la sage-femme qui le reçut à sa naissance, en saisit un brin qu'on eut peine à lui ôter: « Par foy, dit la matrone, cet enfant commence jeune à conquerre. »

« Telle étoit une partie du luxe des palais; la magnificence étoit dans l'ensemble des constructions; l'ornement étoit la grandeur : ce n'est pas ce que nous empruntons au moyen-âge. Ce qui suffit à notre splendeur, ce sont des statuettes réduites, des monuments étriqués, des chambrettes mignonnes et des bouts de tapis. C'est par là que nous luttons avec Philippe-Auguste et avec le petit bâtard de Normandie; mais nous ne nous faisons pas rois des Anglois.

(1) C'étoient de gros tissus de laine de couleur. (Métiers de Boileau. - Depping).

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