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auroit été transmise par Syrianus son maître et par d'autres néo-platoniciens, l'honneur de l'avoir perfectionnée et propagée lui appartiendroit encore: il a cela de commun avec Homère, que, dans sa carrière, tous les noms précédens sont éclipsés par le sien. Les premiers éclectiques avoient tenu secrète la plus précieuse partie de leurs dogmes: après eux, Plotin s'abandonna aux élans de son génie, et ne traça point assez nettement aux yeux de ses disciples, la route où il les entraînoit. Porphyre ensuite mérita plus d'éloges par les ornemens de son style que par l'ordre et la liaison de ses pensées. Le grave lamblique parla le langage des pontifes et des oracles plutôt que celui d'un métaphysicien; il révéloit les mystères de l'Égypte et de Pythagore, et méprisoit trop la dialectique des péripatéticiens, pour en vouloir subir lui-même les lois rigoureuses. Proclus vint enfin, et l'éclectisme eut une méthode. Si je ne me fais pas illusion, continue M. Cousin, si je ne suis point aveuglé par une prévention trop ordinaire aux éditeurs et aux commentateurs, c'est Proclus qui a dégagé le platonisme des nuages qui l'enveloppoient, et qui l'a revêtu des formes à-la-fois austères et lumineuses de l'aristotélisme.

A ces considérations générales sur la philosophie de Proclus se joignent et s'adaptent parfaitement certains détails biographiques, parmi lesquels toutefois ne sont pas compris ceux qui concernent ses visions, ses prophéties, ses miracles, son habileté dans les arts Imagiques. Ces merveil'., ont été racontées par son élève Marinus (1); et quoiqu'elles passent pour fabuleuses, peut-être convenoit-il d'en faire mention, ne fût-ce qu'afin de réfuter les inductions que Brucker et d'autres écrivains en ont tirées contre les doctrines du prince des éclectiques. Peut-être aussi seroit-il permis d'élever des doutes sur une partie des aperçus que rassemble l'éloquente préface de M. Cousin. Nous ne tenterons pas de résoudre des questions si graves; il nous suffira d'en proposer quelques-unes. D'abord est-il aisé d'établir une classification des sectes qui, en s'accordant avec leur chronologie, représente fidèlement leurs affinités, leurs oppositions, ce qu'elles ont de commun, les traits caractéristiques ou les nuances qui les distinguent! Par exemple, quelle idée précise concevrons-nous de la doctrine générale et primitive de cette école socratique, de laquelle seroient sortis également le dogmatisme et le septicisme, la métaphysique de Platon

(1) La vie de Proclus par Marinus a été publiée à Hambourg, en 1700, in-4; à Londres, in-8.o, en 1703. M. Boissonade en a donné une bien mei!leure édition en 1814, in-8.", à Leipsic.

et le matérialisme d'Épicure! Si, comme l'a dit Montaigne, le revers de la vérité a cent mille figures et un champ indéfini (1), y a-t-il moyen de limiter d'avance, de fixer à priori le nombre des faux systèmes qui devoient éclore? Est-il bien sûr qu'il n'y ait que cinq manières de résoudre la question, Qu'est-ce qui existe? et d'ailleurs ce problème étoit-il le seul par lequel pût s'ouvrir le cours des études ou des disputes! D'un autre côté, est-il certain que, durant les trois derniers siècles avant notre ère et les deux suivans, l'histoire de la philosophie grecque demeure « vide de grands génies, et ne soit remplie que par » la médiocrité ingénieuse et savante (2)!» Ne seroit-il pas à propos d'excepter au moins Cicéron, qui, à la vérité, n'étoit pas Grec, mais qui avoit profondément étudié toutes les doctrines de la Grèce, et qui savoit si bien choisir, dans leur multitude, le petit nombre de celles qui, nettement conçues, pouvoient être clairement énoncées, éloquemment développées; Cicéron, véritable éclectique toutes les fois qu'il lui est possible de l'ètre, et que l'impénétrable obscurité des théories, la témérité des hypothèses, la futilité des argumens, ne le condamnent point à douter et à exposer sans conclure! Nous demanderions encore si c'est en effet au 111., au IV. et au v. siècle de l'ère vulgaire que l'école d'Alexandrie a le plus contribué aux progrès de l'esprit humain : n'avoit-elle pas mérité plus de reconnoissance, plus d'hommages, aux temps d'Eratosthène, d'Aristarque de Samos, d'Hipparque, du grammairien Aristarque et de plusieurs autres écrivains laborieux, lorsque à-la-fois elle agrandissoit les sciences mathématiques, ramenoit la philosophie à ses résultats les plus positifs et les plus profitables, recueilloit tous les souvenirs, tous les monumens de l'histoire, et perpétuoit, autant qu'il étoit en elle, l'empire des plus saines traditions littéraires! A-t-on mieux éclairé le monde, en essayant de fondre en un seul corps des systèmes inconciliables! N'est-ce pas le nom de syncrétisme, plutôt que d'éclectisme, qui convient à cet amalgame? N'en a-t-on pas vu résulter une métaphysique réellement nouvelle, moins intelligible qu'aucune de celles dont elle se disoit composée! Quelle est enfin cette instruction transcendentale, qui doit dépasser de si haut celle que nous pouvons acquérir en observant et en raisonnant? Pouvons-nous jamais, autrement que par une révélation divine que repoussoit Proclus, nous élever aux notions que nos facultés intellectuelles ne sauroient atteindre S'il ne s'agit que de l'usage de ces facultés, que d'une méthode purement

(1). Essais, l. 1, ch. 9.— (2) Journ, des Sav. déc. 1826, p. 735.

naturelle ou philosophique, en quoi peut-elle consister, sinon en une suite d'observations, d'expériences, d'analyses, de déductions, de procédés divers sans doute, mais tous compris sous le nom de raisonnement! et la prétendue science que Proclus veut trouver au-delà, n'estelle pas assez caractérisée par le nom de Maria qu'il lui donne lui

même !

M. Cousin, en terminant cette préface, où règne un ordre lumireux, quoiqu'elle soit écrite avec beaucoup de verve, nous apprend qu'il existe aujourd'hui des philosophes qui, ne reconnoissant rien de vrai avant ni après Condillac, rien d'exact en deçà ni au-delà de ses doctrines, trouveront fort mauvais qu'on reproduise au grand jour les théories de l'école alexandrine. L'éditeur de Proclus, considérant qu'il est rare et que peut-être il n'est pas bon qu'on renonce aux opinions avec lesquelles on a grandi et vieilli, déclare qu'il ne fera aucune réponse aux adversaires qu'il vient de désigner, et que leur âge avancé rend incapables de progrès nouveaux (1); il consacre ses travaux à la jeunesse. Nous croyons néanmoins que les hommes studieux de tous les âges applaudiront à son zèle, à ses recherches savantes, à ses méditations profondes, et lui sauront gré de leur avoir fourni les moyens d'apprécier ceux des écrits de Proclus qu'ils ne connoissoient pas encore.

Il en est trois dont on ne possède, comme nous l'avons dit, qu'une version latine, même depuis l'édition de M. Cousin. Le traducteur est un religieux dominicain qui est devenu archevêque de Corinthe vers la fin du XIII. siècle, et qui a mis en latin plusieurs autres livres grecs, et même aussi des livres arabes. Il étoit né à Moerbecke près de Ninove en Flandre: on le nomme Guillaume de Merbecke ou Morbeka (2). Cette traduction n'est pas élégante; mais on a lieu de croire qu'elle est fidèle ou du moins littérale, et que, lorsqu'elle est obscure, c'est que le texte n'étoit pas très-clair. Le livre de Proclus, de Providentia et Fato, ainsi traduit en latin, avoit été déjà publié dans la Bibliothèque grecque de Fabricius. M. Cousin en donne une édition plus correcte, d'après le manuscrit conservé à la Bibliothèque

(1) Il semble même dire qu'ils n'appartiennent plus qu'au passé et à la mort: (tas illa) rugas habet in vultu seniles, jamque, si ita loqui fas est, tota de præterito, languet interiùs sensimque emoritur.- (2) La notice la plus instructive qu'on ait sur ce traducteur se trouve p. 388-391 du tome I des Scriptores ord. prædicatorum. Guillaume de Moerbecke a traduit des livres d'Hippocrate, de Galien, de Simplicius, sur-tout d'Aristote et quelquefois d'après des versions arabes.

du Roi, et il rectifie même quelques leçons de ce manuscrit évidemment vicieuses, comme sin o pour si non, impossibilitatem où le sens exige impassibilitatem, La providence et le destin sont, selon Proclus, deux causes générales; mais la providence se conçoit comme antérieure au Fatum, qui est sa parole, et qui ne régit que les choses sensibles, tandis que l'empire de la providence s'étend sur le monde intellectuel. L'auteur distingue aussi, dans cet opuscule, la sensibilité organique et passive, de l'intelligence qui s'élève par degrés jusqu'à l'enthousiasms, jusqu'aux illuminations par lesquelles l'esprit aperçoit immédiatement la vérité. L'homme tient le milieu entre Dieu, qui ne choisit pas parce qu'il est parfaitement bon, et la matière, qui ne peut choisir parce qu'elle est inerte: il jouit d'une liberté réelle, mais qui n'est point ici définie avec une extrême clarté, du moins à nos yeux. Burigny a inséré, dans le Recueil de l'Académie des inscriptions et belles-lettres (t. XXXI, in-4.) une analyse de ce traité, ainsi que des deux suivans, dont la version latine paroît pour la première fois dans l'édition de M. Cousin; Fabricius n'en avoit donné que des sommaires.

Ces sommaires et l'analyse de Burigny nous dispenseront de parcourir les dix articles que comprend le livre intitulé de decem dubitationibus circà providentiam. Mais si l'on veut prendre une idée de l'ouvrage et de la traduction, voici quelques lignes du dernier article: il s'agit de savoir pourquoi, si la providence connoît et gouverne toutes choses, les anges, les démons, les héros contribuent à l'administration de l'univers. La réponse paroît être que Dieu régit le monde entier, dont certaines parties sont soumises aux soins des divinités subalternes. Duplicibus autem unitatibus entibus, sive etiam bonitatibus quas bonum illud produxit ens, causa utrarumque, et altero modo unum. Et iis quidem autoThéo, id est, per se perfectis, iis autem dispersis in participantibus causis; tripliciter enim et po unum, et rò bonum, aut secundùm causam, puta primum, &c.

Le troisième traité a pour titre de subsistentiâ malorum. La doctrine qu'on y peut découvrir est que le mal physique, ou du moins ce que nous appelons ainsi, est un résultat de l'ordre général, et par conséquent un bien; que le mal n'existe ni dans les dieux, ni dans les anges, ni dans les démons, ni dans les héros; qu'il ne consiste, à l'égard des ames, que dans la foiblesse qui les fait descendre vers les choses matérielles ; que les biens dérivent d'une cause unique, nécessaire, éternelle; qu'ils sont réels, qu'ils ont une hypostase, au lieu que les maux naissent de causes indéterminées et ne sont que des privations. Les tomes II et III de l'édition de M. Cousin contiennent le

grec

du commentaire de Proclus sur le premier Alcibiade de Platon; avec les extraits latins de Marsile Ficin, et ce qui subsiste d'une version latine d'Antoine Hermann Gogava. Ce traducteur étoit de Grave en Brabant; on croit qu'il a exercé la médecine: Éloy suppose qu'il vivoit au XVI. siècle, parce que ses versions de quelques livres d'Aristote, d'Aristoxène et de Ptolémée, ont été imprimées en r546 et 1562. Celle du commentaire de Proclus étoit inédite: M. Cousin l'a publiée d'après une copie qu'il a fait prendre à Vienne, et il s'est assuré que cette traduction est fort incomplète, quoique Lambecius eût paru l'annoncer comine entière. Quant au texte grec, il a été principalement tiré du manuscrit n.° 2017 de la Bibliothèque du Roi. L'éditeur a fait un voyage en Italie, dans l'espoir d'y trouver de meilleures copies de la seconde partie du commentaire; mais il n'en a rapporté qu'un petit nombre de variantes, et s'est convaincu que le manuscrit de Paris étoit encore le plus précieux. Depuis, il a lui-même rendu compte dans ce journal (1) de l'édition que M. Creuzer a donnée de cet ouvrage de Proclus, et il a présenté, sur le fond même de la matière, des observations philosophiques et philologiques, après lesquelles les nôtres seroient au moins superflues. Nous croyons avec lui que le premier Alcibiade est un ouvrage authentique de Platon; mais nous ne sommes pas persuadés qu'il offre le gerine de toute la métaphysique platonicienne: nous partagerions plutôt l'opinion de ceux qui n'attribuent qu'un caractère dramatique à ce dialogue; il tend à convaincre Alcibiade de son ignorance, et de la nécessité où il est de se livrer à des études sérieuses, s'il veut prendre une part honorable aux délibérations publiques des Athéniens. L'entretien est sur-tout parsemé de traits historiques, et c'est vers la fin seulement que Socrate a occasion de retracer la maxime, connois-toi toi-même, et d'énoncer quelques idées sur la nature de l'homme. Tiedemann fait même observer que l'expression fort rapide de ces idées manque d'exactitude, et qu'on s'est d'ailleurs fort abusé lorsqu'on a cru voir dans quelques métaphores de Socrate la théorie d'une intuition extatique de Dieu et de la vérité. C'est le comble de l'absurdité, dit beaucoup trop crument Tiedemann, que de supposer qu'il puisse y avoir une raison sans raisonnement et une intelligence sans fonctions intellectuelles. Telle est pourtant l'hypothèse que Proclus a prétendu extraire de l'Alcibiade, et sur laquelle il a fondé, non-seulement ce commentaire, mais presque tous ses livres de métaphysique.

(1) Avril 1826, p. 211-223; juin, 323-333.

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