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Il avoit été parlé de la boussole dans le discours préliminaire inséré au tome IX, pour annoncer l'état des lettres et des arts pendant le XII. siècle. Les recherches et les discussions qui ont eu lieu depuis la publication de ce IX. volume, en 1750, autorisoient et même nécessitoient de nouvelles recherches relativement à l'époque de l'invention de cet instrument, qui a eu tant d'influence sur les progrès de l'art nautique; aussi, en parlant de l'état des lettres et des arts durant le XIII. siècle, on a cru convenable d'examiner de nouveau les divers jugemens qui ont été portés sur ce sujet intéressant. Je puis ajouter quelques détails nouveaux à ceux qui ont été insérés dans ce discours; je les puise dans deux sources qui n'ont pas été connues aux continuateurs de l'Histoire littéraire. Je savcis que M. Legrand d'Aussi, membre de l'Institut, avoit annoncé un mémoire sur le passage de la Bible Guiot relatif à la boussole. En donnant un extrait de cette bible dans le tome V des Notices des manuscrits de la Bibliothèque du Roi, page 284, il s'étoit exprimé en ces termes : « Passage précieux, puisqu'il est le plus ancien monument connu de cette sublime découverte ; » mais comme il exige quelques explications, j'en ai fait une disserta» tion particulière que je compte bientôt e à la classe.» Les registres et les dépôts de l'académie ne m'ayant fourni aucun renseignement sur cette dissertation, je m'informai de ce qu'étoient devenus les papiers de M. Legrand d'Aussi après sa mort, et je parvins à obtenir la communication de ses recherches. Il établit d'abord que la Bible Guiot fut publiée en 1203; et, soutenant que la boussole n'existoit point encore en 1155, il en fournit la preuve négative, tirée du roman de Brut, dans lequel Wace décrit les manoeuvres des marins sans indiquer cet instrument :

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Au vent gardent et aus estoiles;

et du roman de Guillaume, roi d'Angleterre, où il est parlé seulement des manœuvres de mer et de l'observation des étoiles pour guider le navire,

Moult saveit

Et de la mer et des estoiles.

Après avoir rapporté le passage de la Bible Guiat, il ajoute : « D'après » cette description, cn voit que, pour se servir de cette boussole, il ne » falloit aucun mouvement violent, capable d'agiter et de renverser » l'eau du vase sur lequel nageoit l'aiguille flottante; aussi les marins » n'avoient recours à l'aiguille que quand le temps étoit couvert, quand ils ne voyoient plus étoiles ni lune. » M. Legrand prouve ensuite que les Espagnols, les Suédois et les Italiens ont en vain

revendiqué l'honneur de l'invention pour leur pays, et il en vient à un résultat qui mérite quelque attention. II distingue quatre âges différens dans l'histoire de l'aiguille aimantée : 1.° elle fut posée sur un brin de paille dans un vase plein d'eau; 2.° une rouelle de liége fut substituée au brin de paille et ressembla à la grenouille, au moyen de ce support qui la fit nager sur l'eau; c'est du nom grec de la grenouille qu'est venu celui de CALAMITE (1); 3.° on aplatit l'aiguille, on lui donna une chape, et on la plaça sur un point fixe où elle pût tourner librement; on l'enferma dans une boussole ou boîte vitrée, et, sous cette forme nouvelle, elle reçut de son étui le nom de BOUSSOLE; 4.° enfin on suspendit cette boîte, de manière que, malgré les mouvemens du vaisseau, elle gardât toujours une situation horizontale; on y joignit un compas de route, un compas de variation, &c.

A ces détails et à ces observations que me fournit le manuscrit de M. Legrand d'Aussi, j'ajouterai les passages des troubadours qui ont parlé de la boussole sous le nom de CARAMIDA, et les éclaircissemens qu'ils pourront exiger. Dans la vie de S.. Honorat, abbé de Lérins, écrite en vers par Raimond Feraud, troubadour de la Provence, on trouve que des voyageurs alloient par mer à l'île de Lérins; ils étoient partis des côtes voisines d'Italie sur trois barques et quatre plus gros

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vaisseaux :

Mas ira del mal temps
Lur a frascat la vela;
Non val la caramida

Puescan segre l'estella.

«Mais la violence du mauvais temps leur a déchiré la voile; la » calamite ne leur sert plus de manière qu'ils puissent suivre l'étoile. » Sordel dans sa pièce: Aitan ses pus :

Cum las naus en mar guida

Tresmontana, e'l fers e'lh caramida.

« Comme en mer la tremontane et l'aiguille et la calamite guident les » vaisseaux. « Olivier le Templier, dans sa pièce Estat aurai, emploie ce mot au figuré :

Ver dieu, vers homs e vers san esperitz

Qu'el lur sia ver' estela, caramita

E'ls guit.

« Vrai dieu, vrai homme et vrai saint-esprit, qu'il soit pour eux vraie

(1) Ea rana quam Græci calamitem vocant, quoniam inter arundines fruticesque vivat minima omnium et viridissima. (Pline, liv. XXXII, cap. 10, )

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» étoile, une calamite, et les guide. » Pétrarque a aussi employé figurément ce mot dans la canzone, Qual più diversa:

E veggio trar mi a riva
Ad una viva e dolce calamita.

Buonarotti a dit aussi :

Io sono il ferro e tu la calamita.

La vie de S. Honorat n'a été écrite qu'en 1300; mais l'auteur déclare, et tout permet de croire, qu'il ne fait que traduire un ancien manuscrit latin. Y étoit il parlé de la calamite, ou le poëte a-t-il voulu faire un étalage de ses connoissances nautiques, en ajoutant cette circonstance! Quoi qu'il en soit, il est évident que le nom et l'instrument existoient assez long-temps avant lui, car il raconte un fait ancien; et si l'usage de la calamite avoit été encore très-récent, peut-être il auroit craint de décréditer le miracle qu'il célèbre, en parlant de cet instrument. Sordel vivoit dans la première moitié du XIII. siècle; il a chanté la mort de Blacas, décédé vers 1236. Le templier Olivier parle, dans son sirvente, du roi Jayme d'Aragon, qui conquit Mayorque, et il lui adresse l'invitation de délivrer le saint sépulcre. Ce prince avoit succédé à son père en 1213 et avoit pris Mayorque en 1229. Cette pièce date donc à-peu-près du temps où celle de Sordel fut composée. On peut donc tenir pour certain que le mot de CARAMIDA a été employé par les troubadours de 1230 à 1240, et au propre, et au figuré. Il est vraisemblable que l'auteur espagnol du POEMA DE ALEXANDRO ignoroit l'emploi de la boussole, puisque, dans l'énumération qu'il fait d'un grand nombre de pierres précieuses dont il décrit les qualités, il dit seulement :

Las magneras que son unas piedras calientes,

Estas tiran el fierro. (Poema de Alexandro, stansa 1308.)

Je terminerai ces citations en rapportant le passage suivant, tiré du poëme du Renard le nouvel, composé vers la fin du XIII. siècle par Jacquemars Gielée de Lille en Flandre:

L'ayment a teus dignités

K'il fait le fier a lui tenir;
Cascun jour le puet on veir
As marouniers ki vont par mer,

K'il en font l'eswille torner,

Par coi en mer vont droit chemin.

(Vers 4680 à 4685. Méon, tome IV, pag. 321 et 322).

On me permettra, on me pardonnera du moins de réclamer au sujet de l'exclusion que l'auteur du discours a prononcée contre le roi

299 Richard, en le rayant de la liste des troubadours, dans laquelle il avoit été compris par l'auteur du discours qui ouvre le XII. siècle. Ce prince avoit pour lui la possession; il me sera facile de prouver qu'il avoit aussi le titre.

Je n'ignore pas que M. Ginguené, dont l'autorité a motivé cette exclusion, avoit dit que le langage de Richard est plus français que provençal. Mais il ne connoissoit pas la pièce de ce prince sur sa détention, telle qu'elle avoit été publiée par Galaup de Chasteuil dans son discours sur les arcs triomphaux, &c., et telle que je l'ai réimprimée tome IV du Choix des poésies originales des troubadours, page 183. Il y a plus; les vers mêmes que cite M. Ginguené pour fonder son opinion, sont beaucoup plus provençaux que français; et, à en juger par ce seul texte, il faudroit révoquer la décision contenue dans le discours préliminaire en ces termes, page 198 : « Le gai saber n'a » presque jamais cessé d'être cultivé par des princes. Nous n'y com-. » prendrons point le roi d'Angleterre Richard I.", quoiqu'on l'ait >> inscrit aussi dans cette liste; il n'est réellement qu'un trouvère; son langage, dit M. Ginguené, est plus français que provençal. » Et page 209: «Le roi d'Angleterre Richard I. composoit des chansons >> françaises ; il est à compter, non assurément parmi les troubadours, » mais parmi les poëtes anglo-normands. » Il suffira de lire la pièce imprimée dans le Choix des poésies originales des troubadoars, pour se convaincre qu'on n'auroit pas dû déshériter le roi Richard de son titre glorieux de troubadour, ni les troubadours eux-mêmes de l'honneur d'avoir eu pour émule ce prince célèbre.

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Mais je suis loin moi-même de lui ravir son titre de trouvère; il lui est dû par la même sirvente sur sa captivité, qu'on retrouve à-la-fois dans la langue des troubadours et dans celle des trouvères; il y a lieu de croire qu'il la composa dans les deux langues, afin de faire connoître dans divers pays son injuste et malheureuse détention. Le texte provençal est adressé à une comtesse qui étoit entourée de troubadours, à la sœur de Richard, épouse du comte de Toulouse. Deux considérations me portent à croire que le roi Richard a composé d'abord sa pièce en provençal. 1.° Elle est en couplets de six vers; les cinq premiers sont monorimes, et le sixième offre, dans toute la pièce, une chute ou refrain qui ne rime jamais : cette forme n'est pas étrangère à la versification des troubadours, et j'ai lieu de croire que, si elle. a été employée par les trouvères, elle l'a été bien rarement. 2.° Le mot PRES, qui revient à la fin de chaque couplet, signifie ordinairement dans la langue des troubadours prisonnier, tandis que sa traduc

tion française pris n'a guère été employée dans ce sens restreint; aussi la chanson française n'offre pas, dans le retour qui amène ce mot, un sens aussi complet que la provençale. Je ne doute donc pas que, d'après mes observations, le nom du roi Richard ne soit réintégré dans la liste des troubadours.

Après avoir plaidé la cause de ce prince, je me proposois d'examiner le jugement que le discours préliminaire contient sur la langue et sur la littérature des troubadours, et j'aurois soumis quelques observations à son auteur, quand j'ai pensé qu'elles trouveront mieux leur place, e: sur-tout qu'elles n'auront pas l'air d'une réfutation directe, dans la préface du dictionnaire de la langue des troubadours que j'espère livrer à l'impression en 2 vol. in-4.o Je suspends d'ailleurs la publication de mon opinion avec d'autant plus de plaisir, que les articles relatifs aux troubadours, dans la continuation de l'Histoire littéraire, sont confiés actuellement à un de nos confrères qui, ayant étudié plus particulièrement la langue de ces poëtes, fera peut-être une appréciation plus approfondie de leur style. Cette grâce naïve, ces expressions ingénieuses, cette harmonie continue, qui distinguent leurs ouvrages, peuvent guère être senties que par les personnes qui en ont fait une occupation spéciale: je ne crains pas de dire que celles qui réussissent à bien entendre les pièces en original, ont peine à se défendre d'un peu d'enthousiasme pour plusieurs des compositions de ces poëtes. Aussi, tout en réclamant contre le jugement contenu dans le discours préliminaire, je crains en même temps que les notices qui paroîtront dans les volumes suivans ne contredisent trop ce jugement même ; et j'ose recommander au nouveau rédacteur de modérer les éloges, quelque justes qu'ils lui paroissent. Ils ne sont pas nécessaires aux littérateurs qui ont l'avantage d'apprécier l'original, et ils paroissent excessifs à ceux qui ne se sont pas donné la peine d'étudier les finesses de la langue.

Comme c'est la première fois que, dans les discours préliminaires de l'Histoire littéraire, il est question de spectacles et de représentations théâtrales, le discours qui ouvre le x11. siècle indique, mais sans spécifier aucun détail, les farces pieuses, les compositions bizarres qui, à cette époque, et même antérieurement, étoient représentées dans les églises et dans les cloîtres. « Les anges y paroissoient aux prises avec » les démons; les divinités païennes s'y mêloient aux objets du culte » chrétien; des épisodes mythologiques s'allioient à l'histoire des » martyrs, même au tableau de la passion de Jésus-Christ; la sainte » Vierge y figuroit presque toujours; autour d'elle, des peintures indé»centes et des fantômes effrayans frappoient vivement les regards,

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