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Quoique, dans ce court exposé de la question, je n'aie point fait usage des termes employés par M. de Humboldt, je crois avoir parfaitement rendu les motifs d'après lesquels il a cru pouvoir conclure que le seul moyen qui satisfasse pleinement au besoin impérieux de l'intelligence, c'est le système de langage qui exprime les rapports par la modification des mots qui représentent les idées isolées, c'està-dire, par les formes grammaticales. Il ne disconvient point toutefois qu'à ce système on ne puisse joindre concurremment celui qui consiste à employer pour exposans des rapports, des particules, c'est-à-dire, des mots uniquement destinés à cette fonction. Nous ajouterons, en passant, que nous ne voyons pas pourquoi, même en faisant usage de ces deux moyens, on se priveroit de la ressource que présente le dernier système, celui où les rapports sont exprimés par la position respective des parties du discours. Et si de l'abstraction nous rentrons dans le cercle de l'expérience, nous ne croirons pas trop nous avancer en disant qu'il n'existe aucune langue qui, même en usant de ces trois moyens réunis, ait pour chaque rapport possible un exposant spécial, qui ne puisse servir à l'expression d'aucun autre.

Les conclusions déduites par M. de Humboldt de la théorie et de la comparaison de divers idiomes ont paru à M. Abel-Rémusat, qui a rendu compte de ce mémoire dans ses Mélanges asiatiques, contredites ou, pour parler plus exactement, considérablement affoiblies par l'exemple que fournit la langue chinoise. M. de Humboldt avoit incontestablement eu cette langue en vue, quand il avoit dit que « la position des mots n'admet que très-peu de variations, et ne peut » conséquemment exprimer qu'un petit nombre de rapports, du moins >> si l'on veut éviter toute amphibologie. » A cela M. Rémusat avoit répondu d'abord « qu'il n'est pas de langue au monde qui en soit >> réduite, comme moyen de marquer les rapports, à faire usage de » la position relative des mots, et que le chinois lui-même emploie » un assez grand nombre de ces termes accessoires ou copulatifs qui >> permettent de multiplier les combinaisons.» Ensuite il avoit mis en avant, pour la défense d'un idiome dont l'étude lui doit beaucoup parmi nous, une proposition que nous serions bien tentés de regarder comme tant soit peu paradoxale.. « Il faut avouer aussi, avoit-il dit » que certains rapports que l'esprit peut concevoir de différentes » manières, ne perdent rien à être exprimés par un mode commun, >> tel que la position, lequel laisse celui qui écoute ou qui lit en pleine liberté de suppléer ce qui lui plait. Le vague du signe n'est, » dans ce cas, qu'un degré d'exactitude de plus dans l'expression de

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» la pensée. La preuve en est évidente dans les idiomes les plus savans, » où une même forme grammaticale répond pour l'ordinaire à des » rapports très-variés; comme le génitif des latins, qui représente sans ambiguité le rapport du tout à la partie, de la partie au tout, du sujet à l'attribut, de l'attribut au sujet, de la cause à l'effet, de l'effet » à la cause. C'est plutôt un avantage qu'un inconvénient de pouvoir se » passer de forme en ce cas. » Nous conviendrons volontiers qu'il n'y a vraisemblablement aucune langue où un même exposant ne soit commun à plusieurs rapports; nous ne nierons pas que le plus souvent, grâces aux antécédens et aux conséquens, il n'en résulte aucune amphibologie réelle: mais il nous est impossible de convenir que, dans aucun cas, ce soit là un avantage, à moins qu'il ne s'agisse d'exprimer des rapports métaphysiques qui ne sont réellement pas mieux compris de celui qui parle ou écrit, que de celui qui lit ou écoute, et où le vague de l'expression représente le vague ou l'obscurité de la pensée. Je conçois que certains casuistes, quelques diplomates, des philosophes bouddhistes, et quelques autres encore dans tous les siècles et chez toutes les nations, ont pu trouver leur compte à cette espèce de faux-jour; mais je ne pense pas qu'il puisse jamais être utile aux opérations de l'intelligence, et je crois pouvoir ajouter que si quelque chose de vague ou d'indéfini est souvent indifférent et quelquefois utile à l'effet que doit produire le discours, c'est lorsqu'il tombe sur l'expression des idées principales, mais non quand il affecte l'idée de rapports qui ne sauroient jamais être trop rigoureusement déterminés.

Mais, pour ne pas m'écarter de mon sujet, je m'empresse de reprendre la suite des observations de M. Rémusat, relativement au système établi par M. de Humboldt. Après avoir rendu justice, comme il ne pouvoit manquer de le faire, aux vastes connoissances et à la finesse des observations du savant académicien de Berlin, M. Rémusat témoignoit le desir que M. de Humboldt étudiât le chinois, et se mît ainsi en état de juger par lui-même une langue dont le système grammatical est si éloigné de celui des autres langues. « Quelque » idée, disoit-il, qu'on se fasse du Kou-wen..., il restera toujours à » résoudre ce problème, digne d'occuper les loisirs d'un métaphysicien. » Dans une langue dépourvue de formes grammaticales, où tous les » mots, sans exception, peuvent tour-à-tour jouer le rôle qu'on assigne ailleurs aux noms, aux adjectifs, aux verbes, aux adverbes, » et même aux particules, trouver des règles claires, constantes et » positives, pour arriver toujours à l'expression nette et précise de la » pensée avec toutes les modifications dont elle est susceptible; voilà,

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» dans sa généralité, le phénomène que présente la grammaire chi» noise; et il faut ajouter que la langue où on l'observe, a servi à » exposer, d'une manière aussi lucide que le grec, les doctrines platoniciennes et les subtilités de la métaphysique des brahmanes. >>> Ce conseil, M. de Humboldt n'a point hésité à le suivre ; et, c'est cette nouvelle étude, appliquée à la théorie du langage, qui a produit le traité en forme de lettre dont nous allons essayer de rendre compte. Ce n'est pas sans une sorte de scrupule que nous nous sommes chargés de faire en quelque sorte la fonction de rapporteur, dans une discussion où l'un des principaux élémens du jugement qu'il faut porter, semble être la connoissance d'une langue que nous ignorons entièrement. Aussi chercherons-nous plutôt à faire connoître les moyens employés de part et d'autre, qu'à nous interposer entre les parties pour les amener à une transaction qui ne seroit peut-être qu'une rédaction adroite, où le vague des expressions permettroit à chacune de s'adjuger la victoire, en interprétant les termes équivoques comme il conviendroit à ses opinions. Si je parle ici de deux parties, c'est que M. Rémusat, en publiant la lettre de M. de Humboldt, y a joint un petit nombre de notes, par lesquelles on voit qu'il n'est pas entièrement d'accord sur tous les points avec l'auteur de la lettre.

M. de Humboldt expose, dès le commencement de sa lettre, en termes très-précis, l'idée qu'il a conçue de la langue chinoise, d'après les travaux auxquels il s'est livré sur cette langue, depuis la publication de son précédent mémoire. « Je crois, dit-il, pouvoir réduire la » différence qui existe entre la langue chinoise et les autres langues » (c'est-à-dire, les langues communément appelées classiques) au » seul point fondamental que, pour indiquer la liaison des mots dans » les phrases, elle ne fait point usage des catégories grammaticales, » et ne fonde point sa grammaire sur la classification des mots, mais » fixe d'une autre manière les rapports des élémens du langage dans » l'enchaînement de la pensée. Les grammaires des autres langues » ont une partie étymologique et une partie syntactique; la grammaire >> chinoise ne connoît que cette dernière. »

Qu'il nous soit permis de faire sur cette définition du système graminatical de la langue chinoise, définition dont tout le reste de la lettre n'est pour ainsi dire que le développement et la démonstration, deux observations qui nous paroissent importantes.

La première, c'est qu'en accordant sans restriction à la grammaire chinoise une syntaxe, M. de Humboldt pourroit sembler lui faire une concession bien plus grande qu'il n'entend réellement le faire. En effet,

dans la plupart des langues, la syntaxe se compose de deux parties: l'une, qui enseigne à faire un usage régulier des formes qu'on a appris à connoître dans la partie étymologique, pour indiquer les rapports de concordance ou de dépendance ; j'appelle proprement cette première partie syntaxe l'autre, qui apprend à ranger dans un certain ordre toutes les parties d'une proposition, et à coordonner entre elles les propositions de diverse nature dont se compose une phrase; je nomme celle-ci construction. Il est évident que si la grammaire chinoise n'a point de partie étymologique, elle n'a point non plus de syntaxe proprement dite: tout son système grammatical se réduit donc à la construction; mais, dans cette hypothèse, la construction acquiert une toute autre importance, puisqu'elle doit à elle seule remplacer et la partie étymologique et la syntaxe proprement dite.

Ma seconde observation est peut-être moins essentielle : toutefois je regrette qu'elle ne se soit point présentée à l'esprit de l'auteur; elle auroit servi, je crois, à rendre plus précise et plus claire l'exposition de ses idées. Je voudrois qu'il eût établi une distinction de convention entre les catégories grammaticales et les formes grammaticales. J'aurois appelé catégories grammaticales, les formes qui servent essentiellement à faire connoître à quelle partie d'oraison appartient un mot, soit qu'on en compte huit, ou qu'on les réduise, comme font les grammairiens arabes, à trois seulement, le nom, le verbe et la particule, et formes grammaticales, toutes les inflexions ou variations qui servent d'exposans aux rapports de concordance et de dépendance. Je n'ignore pas que, dans la pratique, ces deux ordres de signes ou de formes se confondent souvent; mais, dans la théorie, l'esprit peut les séparer toujours comme elles sont quelquefois dans la pratique, et je crois qu'il auroit été bon de généraliser cette distinction (1).

La manière dont M. de Humboldt envisage le système de la langue chinoise comparé à celui des langues classiques, renferme implicitement (2) l'aveu de la supériorité de ces dernières, en ce qui concerne

(1) Il me semble que la convenance de cette distinction a quelquefois été pressentie par M. de Humboldt; mais j'ai dû m'en tenir ici à cette définition donnée par lui-même : « Je nomme catégories grammaticales les formes assignées. » aux mots par la grammaire, c'est-à-dire, les parties d'oraison, et les autres » formes qui s'y rapportent.» (2) Je dis implicitement, et la suite de la lettre prouve bien que c'est là l'opinion de M. de Humboldt. Toutefois ici l'auteur se contente de dire que la langue chinoise fixe d'UNE AUTRE MANIÈRE les rapports des élémens du langage dans l'enchaînement de la pensée; mais on doit observer qu'il dit d'une autre manière, et non pas d'une manière équivalente.

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l'expression claire et précise de tous les rapports que la pensée établit entre les idées principales. Aussi M. Abel-Rémusat, qui n'est pas disposé à faire cette concession, a-t-il cru nécessaire de ne point laisser passer cette définition de l'auteur de la lettre sans un correctif. « Cette » première assertion, dit-il, est incontestable, si l'on veut bien admettre » qu'un terme chinois est toujours susceptible du sens substantif, » déterminatif (adjectif) et verbal, et peut même quelquefois devenir » un simple exposant de rapport. » Ici je demanderois volontiers pourquoi on se refuseroit à admettre cette assertion, puisque M. AbelRémusat lui-même, voulant définir, rigoureusement le problème que présente la grammaire chinoise, appelle l'idiome dont il s'agit «< une langue dépourvue de formes grammaticales, où tous les mots, sans > exception, peuvent tour-à-tour jouer le rôle qu'on assigne ailleurs » aux noms, aux adjectifs, aux verbes, aux adverbes et même aux » particules. . . . » Je reprends la suite de l'observation de M. Rémusat. « Voilà, continue-t-il, l'observation dans toute sa généralité. Cela » n'empêche pas qu'il n'y ait un très-grant nombre de mots dont l'usage » a fixé invariablement la signification grammaticale, et qui ne peuvent » en être tirés que par une opération particulière. » Que cette opération particulière ne soit, si l'on veut, qu'une différence d'accent, ce sera toujours une forme grammaticale, ou, si on l'aime mieux, lexicologique, applicable à un très-grand nombre de mots, et qui, une fois reconnue, exigera incontestablement qu'on modifie un peu ces termes du problème, une langue dépourvue de formes grammaticales, et ceux-ci, où tous les mots, sans exception, peuvent &c.

M. de Humboldt observe avec beaucoup de justesse que, lors même que dans une langue il n'y a point de formes destinées à l'expression des catégories grammaticales, le sentiment de ces catégories existe néanmoins dans l'esprit de celui qui parle ajoutons que, pour qu'il soit compris, il faut de toute nécessité qu'elle existe aussi dans l'esprit de celui qui l'écoute, et qu'il en fasse l'application aux paroles qu'il entend, sans quoi il entendroit l'expression d'un plus ou moins grand nombre d'idées isolées, mais non d'une pensée; et, en supposant que les rapports des idées qui forment une proposition fussent exprimés par des formes grammaticales quelconques, et que les rapports qui lient et enchaînent plusieurs propositions manquassent seuls d'exposans, et que l'esprit de celui qui écoute, faute d'exposans, ne pût pas saisir ces rapports, il entendroit, il est vrai, l'expression de plusieurs pensées isolées, mais il ne pourroit tirer de leur rapprochement aucune des

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