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gies de leurs fautes? On regrette que Turenne n'ait pas écrit ses campagnes; mais le livre tombe mille fois des mains, quand on lit les mémoires ou les confessions de certains hommes, d'ailleurs justement célèbres. Règle générale: on doit attentivement comparer ce que raconte un écrivain qui a rédigé sa propre histoire, avec les relations que de simples témoins font des mêmes faits. Si l'on ne doit pas toujours croire ce que dit le premier, on doit savoir pressentir et supposer ce que les seconds peuvent omettre.

Il est des choses qui sont toujours obscures et qui échappent aux yeux de tous les contemporains, quand elles ne nous ont pas été révélées par les hommes mêmes qui étoient dans le secret. Savons-nous quel fut le degré de la complicité de César dans la conjuration de Catilina? On a élevé des doutes plausibles sur la réalité du complot formé contre Vénise par le marquis de Bedmar (1. La mort de Charles XII a fait naître vingt conjectures ou relations diverses; on ne sait encore si elle fut l'ouvrage d'un assassin ou du canon de Fredericshall.

Les faits les plus connus passent à travers le caractère, les passions, les préjugés de l'historien et s'y teignent.

Les écrits de Grégoire de Tours, qui vivoit dans un siècle où l'on étoit trop crédule pour des choses qui

(1) L'auteur paroît avoir pressenti ici ce que vient de démontrer M. le comte DARU dans son intéressante Histoire de Venise contre l'autorité du spirituel abbé de SAINT-RÉAL. (Note de l'éditeur.)

sont sûrement arrivées, si elles sont entrées dans les desseins de la Providence, mais qu'il ne faut pas supposer sans des preuves évidentes (1), sont pleins de miracles et de prodiges. L'auteur mêle toujours le merveilleux aux récits les plus ordinaires.

Sous la plume de quelques prélats ou de quelques moines panégyristes (2), Constantin n'a point de foiblesses, et Julien n'a plus de qualités sous celle de quelques philosophes outrés, Saint-Louis, si célèbre comme législateur par ses établissemens, comme capitaine par ses expéditions d'outre-mer, et comme homme d'état par les premiers coups qu'il a portés à la barbarie féodale et aux prétentions ultramontaines, cesse d'être un grand prince parce qu'il n'a pas résisté à la fureur de son siècle pour les croisades.

Combien d'historiens, par leurs interprétations malignes, dépravent ce qu'ils touchent?

L'Histoire ecclésiastique de l'abbé Fleury, qui étoit à la fois religieux et philosophe, ne ressemble point à celle du janséniste Racine qui n'étoit qu'un homme de parti (3).

(1) MONTESQUIEU.

(2) Les moines chargés, sous la première race des rois de France, d'écrire la vie de ces rois, ne donnèrent que celles de leurs bienfaiteurs, et ils ne désignèrent les autres règnes que par ces mots : Nihil fecit, d'où il est arrivé qu'ils ont donné e nom de rois fainéans à des princes d'ailleurs très-estimables. › (3) Les Jansénistes ont refait à Bruxelles le Dictionnaire historique des hommes fameux, par une société de gens de lettres; ils ont présenté, dans ce dictionnaire, un livre de vie ou de mort pour ceux qui appartiennent ou qui n'appartiennent à leur secte.'

pas

Pour un Suétone qui a écrit avec fidélité la vie des tyrans, mille esclaves, tels que les Mamertin, les Eumènes, les Nazaire, flattent leurs vices et leur prêtent des vertus qu'ils n'ont pas. Ce que l'esprit d'adulation opère dans les Gouvernemens absolus, l'esprit de faction l'opère dans les républiques, où l'on est aussi esclave des passions et des préjugés d'un orateur ou d'un tribun, qu'on l'est ailleurs des préjugés et des passions d'un despote.

Toutes les affections dont les hommes sont suscep-, tibles, peuvent agiter l'âme d'un historien. Il importe donc de reconnoître les différens langages de la simplicité, de la flatterie, de la prévention et de la haine. Il faut examiner un historien comme on examineroit un témoin en justice: celui dont le style montre de la vanité, peu de jugement, de l'intérêt ou quelque autre passion, mérite moins de créance qu'un autre qui est sérieux, modeste, judicieux, et dont les vertus, et la sincérité sont d'ailleurs connues. Dans chaque nation on doit préférer l'habitant à l'étranger. Les étrangers, et les ennemis sont suspects, mais on prend droit sur ce qu'ils disent de favorable au parti contraire. Je renverrois, sur ces différens points, à la préface trèsphilosophique de l'Histoire ecclésiastique de l'abbé Fleury, si je ne savois que dans notre siècle on ne lit guère une préface, et moins encore celle d'une histoire ecclésiastique; mais les gens sensés y recourent et s'en trouvent bien (1).

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(1) Certains écrivains philosophes du dix-huitième siècle et entr'autres D'ALEMBERT, l'ont mise à contribution sans la

La moralité d'un historien est-elle fixée? On examine s'il est seul à parler des faits qu'il raconte, s'il est appuyé, si du moins il n'est pas contredit: si les relations se concilient avec les lettres missives et les divers documens, avec toutes les autres connoissances que nous avons des lieux et des

temps.

C'est ainsi que l'esprit philosophique, en nous apprenant à juger ceux qui écrivent l'histoire, et en déterminant quels doivent être suivant la nature des faits, les divers degrés de force dans les témoignages, et d'autorité dans les témoins, est parvenu à distinguer le vrai historique du vraisemblable, et le vraisemblable du fabuleux et du faux.

Mais à quoi nous serviroient les faits les mieux constatés, si nous ne devions en retirer aucune instruction utile? c'est pour régler notre conduite au milieu des hommes avec lesquels nous vivons, que nous avons besoin d'étudier et de connoître ceux qui ne vivent plus. Les maximes et les préceptes ne nous suffisent pas, il faut des exemples. « Peu de gens, dit Tacite (1), << distinguent, par le raisonnement, le juste de l'in« juste, l'utile du nuisible. La plupart s'instruisent par « ce qu'ils voient arriver aux autres : l'exemple parle << aux passions et les engage dans le parti du juge<< ment. >> Selon Bolingbroke, le génie même sans cul

citer, apparemment pour accréditer par leurs noms d'utiles maximes, que les préventions régnantes auroient repoussées, s'ils les avoient produites comme sortant de la plume d'un écrivain religieux.

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(1) Pauci prudentia, honesta ab deterioribus, utilia ab noxiis discernunt; plures aliorum eventis docentur. ANNAL.

ture, au moins sans la culture de l'expérience, est ce qu'on croyoit autrefois qu'étoient les comètes, un mé– téore éclatant, irrégulier dans son cours, et dangereux dans ses approches, de nul usage pour aucun système, et capable de les détruire tous.

Un autre objet de l'histoire (1) est d'élever un tribunal pareil à celui des Egyptiens, dont parle Diodore, et où les hommes et les princes soient jugés et condamnés ou absous après leur mort (2). L'histoire est une sorte de vie à venir, que les grands et les héros redoutent, et qui n'est indifférente que lorsqu'on pousse le vice et la scélératesse jusqu'à l'abjection la plus profonde, jusqu'au mépris absolu de soi-même.

Nos histoires modernes n'ont pas toujours rempli ċes deux grands objets. Pendant long-temps elle n'avoient point de physionomie ; tout s'y réduisoit à éclaircir quelques chartes, à fixer les faits marquans qui peuvent aider par des noms, par des lieux et par des dates, à présenter la généalogie, les alliances (3)

(1) Mémoires de DUCLOS.

(2) Il y a à la Chine un tribunal de l'histoire, rempli par des Mandarins chargés d'écrire la vie des princes et les annales de l'empire. Tous les voyageurs parlent de ce tribunal.>>

(3) L'Histoire de la maison de Brunswick, par LEIBNITZ, est de ce genre. Je ne parle de cette histoire particulière que pour relever le mot de Fontenelle dans l'éloge qu'il a fait de ce grand philosophe. Qui pourroit penser que Fontenelle, qui se piquoit tant de philosophie, n'a pas craint de dire qu'il faudroit peut-être que l'histoire fût réduite aux faits qui peuvent être constatés par des contrats de mariage, par des actes de naissance ou de mort, par des titres de famille et par des

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