Immagini della pagina
PDF
ePub

le goût qu'à le former, quelquefois aussi ils savent intéresser et plaire, parce qu'ils ne négligent pas les détails. On ne croit pas lire, mais voir. Le sire de Joinville, qui a vécu du temps de Saint-Louis, et qui en a écrit la vie, sera éternellement lu et cité.

que

[ocr errors]

Quand les lettres et les beaux-arts commencent à prospérer, ce qui forme le moyen âge, la plupart des historiens ne sont que des écrivains moins jaloux d'instruire que de briller; ils ne racontent que ce les poëtes chantent; il leur faut des victoires et des catastrophes. Sans être politiques, comme TiteLive, ils sont rhéteurs comme lui; leurs ouvrages' ne sont pleins que de narrations saillantes et de portraits fortement colorés. Cette mauvaise manière d'écrire l'histoire est portée à l'excès dans l'histoire du Parlement d'Angleterre, par Raynal. Avec des récits de batailles qui ne prouvent que la rhétorique du narrateur, et avec des portraits de fantaisie, qui font plus d'honneur à son esprit qu'à son jugement, presque toutes nos histoires modernes se ressemblent. Les hommes et les peuples n'y sont guère distingués que par leurs noms, et les événemens que par leurs dates. Vertot, à qui l'on peut reprocher le luxe des descriptions, est du petit nombre des historiens de son temps qui ont su peindre sans faire des portraits. {.

Sous prétexte de ne pas blesser la décence, dé ne pas compromettre la gravité du sujet et la noblesse du style, on négligeoit les discours, les actions, les circonstances qui peuvent le mieux nous faire apprécier les personnages de l'histoire. C'est ce qui fait qu'avec tant d'auteurs qui ont écrit la vie de nos rois

nous n'avons pas un Suétone. Nous connoissions de Turenne tout ce qui constitue en lui le héros, mais il a fallu qu'un philosophe moderne, en nous rappelant l'anecdote du marmiton Georges, nous prouvât que, dans Turenne, les talens du grand général n'étoient pas déparés par les vertus et les qualités de l'homme. On ne s'occupoit des peuples que quand ils faisoient parler d'eux par leur ambition ou par leurs malheurs, et des individus, que quand ils s'étoient arrangés pour paroître sur la scène. L'histoire n'étoit qu'une décoration de théâtre on voyoit les acteurs, jamais les hommes.

L'antiquité nous offroit pourtant de grands modèles, pour nous diriger dans la manière d'écrire l'histoire; mais nous n'étions pas encore assez mûrs pour en profiter. Machiavel, Guichardin, Davila, FraPaolo, Philippe de Comines, de Thou, Mariana, de Solis, Garcilasso de la Véga, Zarate, Grotius, Clarendon, Burnet, sont une preuve que, sans distinction de siècles, il y a eu des historiens judicieux et profonds, dans tous les temps de troubles, à la suite de ces temps, ou après quelques grandes découvertes, parce qu'alors les leçons de l'expérience remplacent celles de la philosophie. Mais quand on vit dans le long calme d'une vaste et ancienne monarchie, où aucun homme n'est un spectacle pour un autre homme, et où les sujets, étrangers aux opérations mystérieuses du gouvernement, ne sauroient avoir l'intérêt qu'ont les citoyens dans les gouvernemens libres, à observer les ressorts de la société; quand, dans un pareil état de choses, il faut tout attendre de

l'accroissement insensible des lumières, les progrès de la raison ne peuvent être que lents. C'est ce qui fait que sous les gouvernemens absolus on ne compte guère que des littérateurs, des théologiens et des savans. Ce n'est qu'à la religion que nous sommes redevables de nos premiers orateurs. Rollin, qui en écrivant son histoire romaine, avoit sous les yeux les Polybe, les Salluste, les Tacite, a foiblement entrevu les grandes vues et les grandes maximes que Montesquieu a puisées dans ces auteurs, et qu'il a si supérieurement développées dans son immortel ouvrage, des Causes de la Grandeur et de la Décadence de l'Empire Romain. Bossuet est le premier parmi nous qui, dans son éloquent Discours sur l'Histoire Universelle, a porté l'esprit de combinaison et de lumière dans la recherche et le rassemblement des faits historiques; c'est le premier qui a su s'élever à ces grandes règles, d'après lesquelles un historien doit comprendre dans sa pensée tout ce qu il y a de grand parmi les hommes, et tenir, pour ainsi dire, le fil de toutes les affaires des peuples de l'univers.

Hume, qui vivoit sous un gouvernement libre, a écrit en philosophe l'histoire d'Angleterre; et nous n'avons 'point encore d'histoire de France. On ne lit presque plus le P. Daniel. On parle pourtant encore avec raison de Mézerai, qui a du jugement, de la franchise et du courage. L'abbé Dubos, dans son livre de l'Etablissement de la Monarchie française dans les Gaules, n'a fait qu'un système pour combattre le comte de Boulainvillers, qui en avoit fait un autre. Velly, Villaret, Garnier, ont écrit pure

ment, mais tout se réduit là. On voit luire un rayon de philosophie dans l'Abrégé Chronologique du président Hénault. Mably en montre davantage dans ses Recherches, mais il ne s'est proposé que d'éclaircir quelques points de notre ancien droit public, et de combattre ceux qui avoient écrit avant lui sur l'origine du gouvernement féodal. L'Histoire des Parlemens, par Voltaire, n'est qu'un ouvrage d'humeur, un pamphlet au-dessous de la réputation de cet écrivain. Le siècle de Louis XIV et celui de Louis XV, par le même auteur, sont deux morceaux d'histoire qui ne se ressemblent pas : le premier est brillant; il manifeste les talens du grand littérateur, et il offre les vues de l'observateur éclairé; le second, fait avec trop de précipitation et de négligence, est moins un ouvrage philosophique qu'un ouvrage de circonstances, pour soutenir les intérêts, les opinions et le crédit de certains philosophes. Les Mémoires de Duelos sont vraiment ceux d'un philosophe; les Discours sur l'histoire de France, par Moreau, ne sont que les amplifications d'un rhéteur; l'Esprit de la Ligue, par Anquetil, et quelques autres morceaux du même écrivain, sont estimés et méritent de l'être. Nous aurons toujours à regretter l'Histoire de Louis XI, par Montesquieu; cet ouvrage fut brûlé par mégarde dans le cabinet de ce grand maître. Que de lumières. éteintes pour nous et pour nos neveux!

Personne ne savoit mieux que ce grand homme classer les faits sous de vastes points de vue, et déduire de ces faits les plus grandes maximes. Mais combien n'a-t-on pas abusé après lui de l'admirable

méthode qu'il a employée avec tant de succès! Chacun a voulu dogmatiser et devenir législateur. Au lieu de l'esprit de lumière, on n'a porté que l'esprit de système; chaque philosophe ne s'est occupé qu'à accréditer ses opinions et ses pensées particulières; Voltaire, par exemple, a prétendu faire une histoire -universelle philosophique; il n'a fait qu'une histoire anti-ecclésiastique. Il est à regretter que cet homme, qui connoissoit si bien la société, qui avoit, plus que personne, le tact exquis des convenances, et qui sembloit être né pour écrire l'histoire avec autant de philosophie que de grâce, n'ait été historien que pour se rendre le détracteur de l'Eglise, lorsqu'il pouvoit être le conseil des états et des souverains. Je reproche à Gibbon (1), d'ailleurs si bon observateur dans tout le reste, ses trop longues et très-partiales dissertations sur l'établissement du christianisme; il met ses conjectures à la place des faits, il pousse la chose si loin, que la violence n'est plus que du côté des martyrs, et la douceur et la patience du côté des tyrans. Certains historiens semblent avoir formé le plan de bouleverser toutes les notions reçues sur les choses et sur les hommes. Dans le moment où ils voudroient ensevelir les antiquités juives, ils creusent et fouillent la terre pour découvrir les antiquités égyptiennes et chinoises. Tous les personnages fameux sont élevés ou abaissés, selon les idées que l'on veut faire prévaloir.

(1) Il a renouvelé le système de Dodwell dans son Traité de Paucitate martyrum; auquel D. Ruinart avoit si savamment répondu.

« IndietroContinua »