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ne seroit-ce pas compromettre la spéculation, que de la mettre ainsi en opposition avec la nature? M. Reinhold a senti lui-même le besoin de nous rassurer, en nous annonçant que la plupart des philosophes, dans leur conduite et dans les actions de la vie, valent mieux que leur philosophie (1).

Nous discernons le beau et le défectueux par le goût; le bien et le mal moral par la conscience; le vrai ou le faux par la raison. Principalement dans la morale, notre première et véritable mesure est le sentiment. Le ministère de la raison se borne à vérifier et à recueillir les affections honnêtes du cœur. Il peut y avoir des occasions compliquées et délicates, où le raisonnement est nécessaire pour apprécier la moralité d'une action; mais la justice et l'humanité sont toujours présentes à l'ame. Dans les sciences autres que la morale, nous cherchous les rapports de proportions, de similitude, de contiguité, d'effets et de causes; nous nous efforçons d'acquérir des connoissances, ou d'assurer nos connoissances acquises; mais, dans la mo + rale, il ne s'agit jamais de chercher des faits, ou des rapports inconnus: on n'a à juger ou à régler que ce que l'on connoît; le principe qui produit l'approbation ou la désapprobation, n'est pas une découverte que l'on fait, mais un sentiment que l'on éprouve. Il en cst de la beauté morale, comme de la beauté natu¬ relle: on la sent bien plus qu'on ne la démontre. C'est par notre sens intime que nous jugeons d'une action bonne ou mauvaise, et non par les relations exté

(1) Sur les Paradoxes de la plus moderne philosophie, p. 15.

rieures qui s'offrent à nous dans les actions mêmes. Un homme qui commet un homicide involontaire, fait le même acte matériel que celui qui tue de dessein prémédité. Cependant les deux actions ne nous affect tent pas de la même manière, puisque nous réputons l'une innocente, et l'autre criminelle, La bonté morale est sensible par elle-même; elle luit en nons, et cette lumière se réfléchit du dedans au dehors, et non du dehors au dedans. Il ne faut donc pas chercher, hors de la conscience, le discernement du bien et du mal, la distinction du juste et de l'injuste. Sans elle, comment des actions parfaitement égales dans leurs relations extérieures, pourroient-elles nous paroître différentes? Où s'arrêteroit le raisonnement, si le sentiment ne le fixoit pas? Aussi l'orateur romain nous dit que la morale est née avec nous, que nous ne l'avons point reçue de nos pères, ni apprise de nos maîtres, ni lue dans nos livres ; que nous l'avons prise, tirée et puisée du fond même de la nature, et que c'est une loi dont nous ne sommes pas simplement instruits, mais dont nous sommes, pour ainsi dire, imbus et pénétrés (1).

Mais, soit que l'on ait cherché les sources de la morale dans la raison, ou dans le sentiment, ou dans l'un ou dans l'autre, on s'est également livré à l'esprit de système; on a voulu tout rapporter à une idée prédo

(1) Est non scripta, sed nota lex, quam non didicimus, accepimus, legimus: verum ex naturâ ipsâ, arripimus, hausimus, expressimus; ad quam non docti, sed facti, non instituti, sed imbuti sumus.... Lex est insita in naturâ quæ jubet ea quæ facienda sunt, prohibetque contraria. Cic.

minante, à un principe général. Les uns ont tout expliqué par l'amour-propre (1), les autres par l'intérêt physique et sensuel (2); quelques-uns par la bienveillance ou par la justice (3); plusieurs par la sympa thie (4) Dans le nombre de ces systèmes, il en est, sans doute, qui sont favorables à la vertu; mais il en est qui semblent faits pour l'éteindre. Tous ont le défaut de vouloir lier à une même cause, des effets qui n'en dépendent pas toujours, et de donner matière à une foule d'équivoques et d'erreurs, par des explications arbitraires ou forcées.

Cenx d'entre les auteurs qui posent pour principe général, ou l'amour-propre, ou l'intérêt physique et sensuel, ou le principe de l'utilité privée et publique, énoncent des affections ou des tendances qui ont incontestablement leur base dans le coeur humain. Nous ne demanderons jamais si les hommes s'aiment euxmêmes, ou s'il y en a qui ne s'aiment pas; s'ils sont étrangers à tout intérêt physique et sensuel; s'ils sont sensibles ou non à des vues d'utilité privée ou commune. La nature veut que l'homme se conserve, qu'il tende à son bien-être; elle veut encore que les hommes soient unis. Or, il faut que l'homme s'aime pour qu'il pense à se conserver, et qu'il reconnoisse un intérêt commun, puisqu'il doit vivre en société.

(1) Maximes de LA ROCHEFOUCAuld.

et

(2) Epicure et ses sensations. L'Homme machine de LaMETTRIE. HELVÉTIUS: De l'Esprit, etc.

(3) FERGUSON: Principes de la science morale. BUTTLER: Dissertation sur la vertu.

(4) SMITH.

L'amour de soi, et de tout ce qui est agréable et utile, est donc une affection naturelle. Mais qu'est-ce que l'homme? N'a-t-il à conserver que son existence physique ? N'a-t-il à s'occuper que de son existence civile on sociale? Si cela est, l'amour-propre ne doit être que l'amour de la vie, et la vertu ne peut et ne doit aboutir qu'au bien de la société. Mais je trouve dans la nature même de l'homme, quelque chose de plus élevé que le sentiment de sa conservation et de son bien-être physique, et quelque chose de plus intime et de plus intérieur que ses rapports avec la société civile. En effet, sur quoi jugeons-nous journellement nos propres actions et celles des autres? sur le motif qui les produit. Celui qui ne paie ses dettes que pour éviter la contrainte, n'est à nos yeux qu'un homme lâche et prudent; celui qui les paie pour être fidèle à sa foi, nous l'appelons un homme probe. S'il ne falloit considérer que l'intérêt de la société, les deux actions mériteroient les mêmes éloges, puisqu'elles donnent le même résultat. D'où vient que nous n'y attachons pas le même prix? Nous n'avons jamais donné le nom de crime à des actes nuisibles, mais involontaires. Nous n'avons jamais donné le nom de vertu à des actes utiles ou heureux, mais intéressés. Nous accordons un plus haut degré d'estime aux actions dans lesquelles nous remarquons un plus haut degré de dévouement. Dans l'ordre de la bienfaisance, le denier de la veuve est plus recommandable que les millions donnés par le riche. Il n'est aucun de nous qui consentit à ne passer. pour honnête, que par la crainte du supplice. Nos actions sont donc moins appréciées par les rapports

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extérieurs qu'elles ont avec la société, que par ceux qu'elles ont avec le coeur, puisque, dans nos jugemens, l'homme civil est sans cesse confronté avec l'homme intérieur et moral, c'est-à-dire la conduite du citoyen, avec la volonté et le caractère de l'homme.

D'autre part, comment peut-on borner l'amourpropre, l'amour de soi, à l'amour de la conservation de la vie, ou à la misérable recherche du bien-être physique et sensuel? Que de héros qui ont préféré la mort à une lâcheté! Que de sacrifices pénibles et multipliés ne fait-on pas pour s'élever à des actions grandes et généreuses? Cherchera-t-on la cause de ces phénomènes dans l'amour de la réputation, de la célébrité, de la gloire? Je demanderai alors, comment on peut motiver cette préférence, que l'amour de la gloire obtient sur l'amour même de la vie? Qui rend l'homme susceptible de cette grandeur d'àme, de ce courage dont tant d'exemples mémorables nous. ont été transmis d'âge en âge, par les annales de l'humanité? Je demanderai encore si c'est l'instinct seul de la conservation ou du plaisir physique, qui peut être regardé comme le principe de la foi humaine, de cette foi sur laquelle repose la garantie sociale, de cette foi qui est le plus bel hommage que l'homme puisse rendre à l'homme. Dans l'être vertueux qui m'a donné sa parole, quelle est cette force secrète, cette force invisible, qui me rassure contre tous les événemens, contre tous les dangers, contre la nature elle-même? Quel est dans chacun de nous, ce besoin à la fois noble et impérieux, que nous avons de n'être pas en contradiction avec notre sentiment

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