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Le titre de ce Dictionnaire en fait connaître clairement la nature et le but: il nous suffira donc d'expliquer en quelques lignes comment nous en avons compris l'exécution. Il existe depuis longtemps, sous des titres divers, une foule de recueils, d'extraits ou de morceaux choisis destinés à l'éducation de la jeunesse. Le Dictionnaire des leçons el exemples de littérature chrétienne, en prose et en vers, que nous publions aujourd'hui, en differe de tout point par le caractère et par le plan. La plupart de ces recueils se proposent d'offrir aux jeunes gens des modèles de l'application des règles littéraires, en s'attachant surtout aux formes extérieures, aux combinaisons de mots, aux artifices de phrases, aux figures, aux divisions à suivre dans les divers genres de composition, etc. Sans méconnaître l'utilité, la nécessité même de cette étude élémentaire, nous avons pensé qu'il était plus rationnel d'aller droit au fond des choses, c'est-à-dire de nous appiiquer à jeter dans les esprits un solide fonds d'idées, qui s'y établiraient d'autant plus efficacement qu'on les trouverait, dans notre Dictionnaire, embellies et parées de tout ce que la justesse et la beauté des formes peuvent y ajouter d'éclat. De plus, dans les collections d'extraits, si l'on en excepte quelques recueils spéciaux, c'est à peine si l'on accorde aux doctrines religieuses une place avarement ménagée, comme si notre société n'était pas cependant, avant tout, une société chrétienne!

Que nos lecteurs se rassurent : nous ne voulons nullement reprendre, même indirectement, la fameuse controverse, encore assez récente, qui a été soulevée à propos de l'emploi des auteurs païens dans l'éducation; mais, tout en acceptant les faits comme ils sont, el en reconnaissant l'utilité et les avantages qu'offre l'étude des bons auteurs de l'antiquité grecque ou romaine, il doit nous être permis de proclamer, comme plus indispensable encore, l'étude des écrivains qui nous ont exposé, avec une dialectique irrésistible, avec une éléquence admirable, les dogmes, les enseignements, la morale, les promesses d'une religion qui a créé l'ordre social actuel, qui exerce sur lui, quoi qu'il en ait, une influence si puissante et si universelle, et qui tient dans ses mains les clefs de notre double avenir dans le temps et dans l'éternité.

Aussi avons-nous pensé qu'il convenait, afin d'accoutumer les jeunes esprits à méditer la grandeur de leurs destinées, de montrer l'homme à lui-même dans toutes les situations de sa vie morale, depuis que sur le sein de sa mère il répond, enfant encore débile, aux doux sourires de sa tendresse, jusqu'à son entrée dans les profondeurs mystérieuses de son éternité, en passant par toutes les stations dont la religion a semé sa route, afin de le diriger sûrement jusqu'au terme et le préserver de tout péril: le baptême et les autres sacrements, les cérémonies augustes et variées de la religion, les ineffables mystères de son culte, les enseignements imposants de sa doctrine, les splendeurs de ses fêtes, les pompes funèbres de la mort, les joies célestes de la résurrection.

Ce plan une fois arrêté, les noms des écrivains les plus illustres et les plus admirables, pour la poésie comme pour la prose, se présentaient d'eux-mêmes en foule pour se placer dans notre cadre.

Ce sont, au dix-septième siècle, les François de Sales, les Pascal, les Nicole, les Descartes, les Malebranche, Pierre Corneille, Racine, le parfait tragique, Boileau, Bossuet, Bourdaloue, Fénelon, Fléchier, Massillon, Rollin, etc., etc.

Au dix-huitième siècle : Buffon, Deluc, Jean-Baptiste Rousseau, Racine, le fils; Voltaire lui-même, et Jean-Jacques Rousseau, dans leurs bonnes pages; Bernardin de SaintPierre, Duvoisin, Bergier, le Père Guénard, le cardinal de La Luzerne, Lebeau, Fontanes, La Harpe, etc., etc.

Au dix-neuvième : Châteaubriand, qui ouvre le siècle avec son Génie du Christianisme à la main; Joseph de Maistre, le vicomte de Bonald, Frayssinous, Cuvier, Lamennais (d'avant sa chute), Nosseigneurs Gerbet et Dupanloup, le Pere Lacordaire, le Père de Ravignan, Villemain, Lamartine, Vietor Hugo, etc., etc.

Qu'il est beau, qu'il est consolant de voir ainsi les plus hautes intelligences des grands siècles littéraires concourir avec un ensemble aussi parfait à l'adoration de la Sagesse et de la Providence éternelles, à la manifestation de la gloire du Très-Haut! Que l'on comprend bien, en présence de ce concert de la vertu et du génie, que les protestations isolées qui s'élèvent de loin en loin contre cet hommage universel, ne sont que des cris perdus des passions sans règle et de l'orgueil révolté!

On peut juger par ces noms, tous consacrés par l'estime et l'admiration universelles, si nous avons manqué de matériaux, et de matériaux d'élite. Nous appuyons sur ce mot: matériaux d'élite, car nous tenions à prouver par l'exemple qu'en fait il n'est rien de tel, pour inspirer les grandes pensées et les revêtir d'une forme digue d'elles, que d'exposer et de faire goûter la vérité dans tout l'éclat de sa céleste origine, et dégagée de ces ornements faux et surannés que l'on s'obstinait jusqu'à nos jours à emprunter au cadavre d'une mythologie morte depuis tant de siècles, pour l'en affubler. Accoutumez l'âme à bien et noblement penser, l'expression et la forme viendront d'elles-mêmes. L'esthétique a tout à gagner en se rapprochant de plus en plus du Christianisme.

LEÇONS ET EXEMP. DE LITT. CHRÉTIENNE. 1.

a

Pour ce qui regarde la distribution de cet immense amas de richesses, nous avons adopté l'ordre alphabétique, comme étant celui qui se prête plus facilement aux recherches, aux besoins et aux méditations de tous les moments. Veut-on se pénétrer des sentiments de telle vertu, faire de telle ou telle fête l'objet de considérations pieuses et morales, réfléchir sur tel point de dogme, s'édifier sur tel mystère, aussitôt et sans le moindre effort l'article désiré se présente sous la main qui tourne les feuillets. Ajoutons qu'à la fin de chacun des deux volumes on trouvera, en outre de la Table alphabétique qui rassemble en quelques pages toutes ces richesses sous un coup d'œil, une Table méthodique, réunissant, par chapitres distincts, tous les articles disséminés dans le volume qui appartiennent à une même catégorie d'idées, sans compter une troisième Table alphabétique de tous les noms d'auteurs qui ont fourni leur contingent à notre collection. Chacun pourra donc toujours suivre, en consultant ce livre, l'ordre qui lui conviendra, soit qu'il veuille arrêter son attention sur un article isolé, soit qu'il préfère suivre, dans un enchaînement logique, les compositions qui traitent de sujets analogues.

Nos lecteurs remarqueront l'extrême variété de ce recueil, qui embrasse les genres les plus divers et les plus fertiles: le raisonnement, le sentiment, les faits, la morale, l'histoire naturelle, l'histoire ecclésiastique, les grandes traditions populaires, l'hagiographie, la biographie, l'étude des prophètes et des écrivains sacrés, tout est de son domaine, tout vient à chaque page entretenir et renouveler l'intérêt. De plus, nous avons plus d'une fois indiqué aux lecteurs les rapprochements à faire entre tels morceaux du volume de prose avec les compositions analogues du volume de poésie, rapprochements qu'il leur sera facile de multiplier, en comparant entre eux, soit les titres alphabétiques des articles, soit les grandes divisions par chapitres dans les deux tables spéciales. La Harpe a dit des vers: «Par l'inestimable avantage de l'harmonie, ils se gravent dans le souvenir, et en s'empa«rant de l'oreille, ils trouvent le chemin du cœur. » Nous nous sommes donc flatté que de belles et de grandes pensées ainsi lues sous les formes saillantes et incisives de la poésie, après avoir déjà fixé vivement l'attention sous les formes plus communes de la prose, frapperaient encore davantage l'intelligence, et s'y imprimeraient plus profondément. On sail d'ailleurs que la prose s'accommode mieux de tout ce qui tient à l'argumentation, tandis que la poésie, s'adressant préférablement à l'imagination et au sentiment, semble plus faite pour la mémoire. Une Esquisse historique de la poésie chrétienne, placéé en tête du volume des vers, représente à traits larges et généraux, mais nettement accusés, les phases diverses que cette poésie a traversées depuis les temps les plus anciens, c'est-àdire depuis Moïse, l'auteur du sublime Cantique chanté après le passage de la mer Rouge, jusqu'à nos jours. Une large place y est donnée à la poésie contemporaine.

Conformément au but que nous nous sommes proposé de former et de guider le goût en même temps que d'éclairer et de nourrir l'esprit et le cœur, nous n'avons admis, dans nos deux volumes, que des compositions consacrées par le suffrage public, par le jugement des critiques les plus estimés, et celui des corps savants. Ce n'était pas dans un recueil aussi sérieux que nous eussions laissé pénétrer des essais de jeunes écrivains non encore approuvés par les maîtres de l'art, quel que fat d'ailleurs le germe de talent qui pât s'apercevoir dans ces essais, et qui ne donnerait, après tout, que des espérances. Nous ne voulons pas dire, toutefois, que tous les auteurs cités par nous se soient élevés aux plus hauts degrés de la perfection littéraire, et s'y soient constamment maintenus. Il en est qui ont produit trop rapidement et 'rop abondamment pour que l'on ne reconnaisse point un mérite fort inégal dans leurs productions. Il en est d'autres chez qui nous trouvions à puiser des morceaux qui rentraient dans le cadre de nos idées et que nous eussions trouvés difficilement ailleurs. Nous citerons, pour exemple, Antoine Godeau, évêque de Grasse et de Vence, dont la masse des œuvres poétiques, prise dans sa totalité, ferait aujourd'hui reculer éditeurs et lecteurs même les plus intrépides, et qui cependant nous a laissé glaner, dans son grand champ de broussailles, des passages heureux sur plusieurs points de la doctrine chrétienne. C'est ainsi que nous avons encore transcrit des vers magnifiques sur les Pyramides, pris dans le volumineux poëme de Saint Louis, ou La sainte Couronne reconquise, du Père Le Moyne, qui en compte trop peu de bons. Le tout, en pareil cas, est de bien choisir.

Nous avons placé des notes historiques et littéraires, mais avec sobriété, partout où cela nous a paru utile, et en nous attachant à leur donner toute la concision possible. Trop longues ou trop nombreuses, elles fatiguent; trop minutieuses, elles rebutent et impatientent. Poussées, comme nous l'avons remarqué dans quelques recueils, jusqu'à un détail exagéré et presque puéril, elles peuvent nuire fortement au développement de la faculté de réflexion dans les jeunes esprits. C'est principalement aux instituteurs, aux pères et mères, qu'il appartient d'étendre ou de resserrer leurs explications, suivant le besoin respectif des élèves qu'ils dirigent et dont ils connaissent à fond la portée d'intelligence. Ainsi, Religion et Littérature, nous nous sommes efforcé de faire que l'une et l'autre fussent à la fois dignement représentées dans cette collection que nous osons offrir à tous les âges comme à tous les gouis, aux âmes religieuses comme aux personnes du monde, aux femmes comme aux hommes, aux savants comme aux ignorauts, aux ecclésiastiques comme aux laïques, aux établissements d'instruction publique comme aux écoles privées.

DE LITTERATURE CHRETIENNE

EN PROSE ET EN VERS.

ABBAYE DE SAINT-DENIS.

PROSE.

A

On voyait autrefois près de Paris des sépultures fameuses entre les sépultures des hommes. Les étrangers venaient en foule visiter les merveilles de Saint-Denis. Ils y puisaient une profonde vénération pour la France, et s'en retournaient en disant en dedans d'eux-mêmes, comme saint Grégoire Ce royaume est réellement le plus grand parmi les nations. Mais il s'est élevé un vent de la colère autour de l'édifice de la mort; les flots des peuples ont été poussés sur lui, et les hommes étonnés se demandent encore comment le temple d'Ammon a disparu sous les sables des déserts?

L'abbaye gothique où se rassemblaient ces grands vassaux de la mort ne manquait pas de gloire les richesses de la France étaient à ses portes; la Seine passait à l'extrémité de sa plaine; cent endroits célèbres remplissaient, à quelque distance, tous les sites de beaux noms, tous les champs de beaux souvenirs; la ville de Henri IV et de Louis le Grand était assise dans le voisinage; et la sépulture royale de Saint-Denis se trouvait au centre de notre puissance et de notre luxe, comme un trésor où l'on déposait les débris du temps et la surabondance des grandeurs de Tempire français.

C'est là que venaient tour à tour s'engloutir les rois de la France. Un d'entre eux, et toujours le dernier descendu dans ces abimes, restait sur les degrés du souterrain, comme pour inviter sa postérité à descendre. Cependant Louis XIV a vainement attendu ses deux derniers fils: l'un s'est précipité au fond de la voûte en laissant son ancêtre sur le seuil; l'autre, ainsi qu'OEdipe, a disparu dans une tempête. Chose digne de méditation! Le premier monarque que les envoyés de la justice divine rencontrèrent fut ce Louis, si fameux par l'obéissance que les nations lui portaieni! Il était encore lout entier dans son cercueil. En vain, pour défendre son trône,il parut se lever avec la majesté de son siècle et une arrière-garde de huit LEÇONS ET EXEMP. DE LITT. CHRÉTIENNE.

siècles de rois; en vain, son geste menaçant épouvanta les ennemis des morts; lorsque, précipité dans une fosse commune, il tomba sur le sein de Marie de Médicis, tout fut détruit. Dieu, dans l'effusion de sa colère, avait juré par lui-même de châtier la France: ne cherchons point sur la terre les causes de pareils événements, elles sont plus haut.

Dès le temps de Bossuet, dans le souterrain de ces princes anéantis, on pouvait à peine déposer Madame Henriette tant les rangs y sont pressés, s'écrie le plus éloquent des orateurs, tant la mort est prompte à remplir ces places. En présence des âges, dont les flots écoulés semblent gronder encore dans ces profondeurs, les esprits sont abattus par le poids des pensées qui les oppressent. L'âme entière frémit en contemplant tant de néant et tant de grandeur. Lorsqu'on cherche une expression assez magnifique pour peindre ce qu'il y a de plus élevé, l'autre moitié de l'objet sollicite le terme le plus bas pour exprimer ce qu'il y a de plus vil. Ici les ombres des vieilles voûtes s'abaissent pour se confondre avec les ombres des vieux tombeaux; là, des grilles de fer entourent inutilement ces bières et ne peuvent défendre la mort des empressements des hommes. Ecoutez le sourd travail du ver du sépulcre, qui semble filer, dans tous ces cercueils, les indestructibles réseaux de la mort. Tout annonce qu'on est descendu à l'empire des ruines; et à je ne sais quelle odeur de vétusté répandue sous ces arches funèbres, on croirait, pour ainsi dire, respirer la poussière des temps passés.

Lecteurs chrétiens, pardonnez aux larmes qui coulent de nos yeux en errant au milieu de cette famille de saint Louis et de Clovis. Si tout à coup jetant à l'écart le drap mortuaire qui les couvre,. ces monarques allaient se dresser dans leurs sépulcres, et fixer sur nous leurs regards à la lueur de cette lampe!... Oui, nous les voyons tous se lever à demi, ces spectres des rois; nous les reconnaissons, nous osons interroger ces majestés du tombeau. Eh bien! peuple royal de fantômes, dites-le-nous voudriez-vous revivre I. 1

maintenant au prix d'une couronne? le trône vous tente-t-il encore? Mais d'où vient ce profond silence? D'où vient que Vous êtes tous muets sous ces voûtes? Vous secouez vos têtes royales, d'où tombe un nuage de poussière; vos yeux se referment, et vous vous recouchez lentement dans vos cercueils !

Ah! si nous avions interrogé ces morts champêtres, dont naguère nous visitions les cendres, ils auraient percé le gazon de leur tombeau; et, sortant du sein de la terre comme des vapeurs brillantes, ils nous auraient répondu : « Si Dieu l'ordonne ainsi, pourquoi refuserions-nous de revivre ? Pourquoi ne passerions-nous pas encore des jours résignés dans nos chaumières? Notre hoyau n'était pas si pesant que vous le pensez; nos sueurs mêmes avaient leurs charmes, lorsqu'elles étaient essuyées par une tendre épouse, ou bénies par la religion. » Mais où nous entraîne la description de ces tombeaux déjà effacés de la terre? elles ne sont plus, ces sépultures! Les petits enfants se sont joués avec les os des puissants monarques Saint-Denis est désert; l'oiseau l'a pris pour passage, l'herbe croit sur ses autels brisés; et au lieu du cantique de la mort, qui retentissait sous ses dômes, on n'entend plus que les gouttes de pluie qui tombent par son toit découvert, la chute de quelque pierre qui se détache de ses murs en ruine, ou le son de son horloge, qui va roulant dans les tombeaux vides et les souterrains dévastés.

CHATEAUBRIAND.

ABUS

PAUSSEMENT ATTRIBUÉS A LA RELIGION. C'est déshonorer l'Evangile, dit Marmontel, que de provoquer en son nom les guerres de religion. Tous les forfaits qu'un zèle absurde ou qu'une politique impie a fait commettre au nom d'un Dieu de paix, de miséricorde et d'amour, ont été les crimes ou les erreurs du siècle; mais l'Evangile et tous ceux qui en ont connu le véritable esprit, ont constamment désavoué de telles mesures, aussi abominables devant Dieu que devant les hommes. Nos armes, a-t-il dit, ne sont ni le fer ni le feu; notre religion n'a de force que celle de la persuasion; la douceur et la miséricorde en sont les caractères; c'est à la bonté de ses fruits qu'on doit la reconnaître; c'est en mourant pour elle qu'on doit la défendre, et non pas en donnant la mort. Si l'on emploie, pour sa défense, les gênes, les tourments, le mal enfin, elle ne sera plus défendue, elle sera souillée et honteuseinent profanée. Tels ont été, dans tous les temps, le langage et l'esprit de ses véritables disciples; le reste n'a été que le délire des passions humaines, l'effet d'un zèle qui ne fut pas selon la science, ou d'un fanatisme aveugle que l'on prend pour la religion, et qui est son plus redoutable ennemi.

On s'est donné une grande latitude, lors

qu'on a pris dix-huit siècles pour nous chercher des torts que l'on exagère, qui ne se rencontrent point dans les beaux temps de l'Eglise, dont les vrais disciples de JésusChrist ne furent jamais coupables, et qu'on généralise les reproches de quelques particuliers ignorants, que l'Eglise désavoue; tandis que, dans le peu d'années qu'ils ont régné, ces censeurs amers de la religion, ayant gouverné sans elle, sont tous accusés par dix mille familles, par la France entière; et l'impiété aurait dû périr dans les larmes qu'elle a fait répandre et dans le sang qu'elle a versé.

Supposer tous les abus dans le parti qu'on attaque, et n'en supposer aucun dans le sien, c'est un sophisme bien grossier, et cependant bien ordinaire, dont tout homme sensé doit se garantir. Il faut supposer des abus de part et d'autre, parce qu'il s'en glisse partout; mais ce n'est pas à dire qu'il y ait égalité dans leurs conséquences. Comparez, et vous trouverez d'un côté (le parti de l'incrédulité) des maux inévitables, des maux terribles, sans bornes et sans fin, tous conséquents aux maximes que l'on admet; et de l'autre (celui de la religion), l'abus, qui, s'il est grand, sera passager; et, s'il a lieu, il portera avec lui son remède, et sera désavoué hautement, condamné et réprouvé par l'Evangile. Alors tout abus est un mal sans doute, mais pour lequel on ne doit point proscrire ce qui est bon en soi. Faut-il renoncer à l'usage d'un flambeau, parce qu'un nouvel Erostrate l'aura employé à incendier un temple?

C'est mal raisonner contre la religion, a dit Montesquieu, que de rassembler dans un grand ouvrage une longue énumération des maux qu'elle a produits, lorsqu'on a méconnu son esprit, si l'on ne fait de même celle des biens qu'elle a faits, lorsqu'on a suivi ses maximes. Si je voulais raconter les abus des institutions les plus nécessaires, je dirais des choses effroyables; et certainement plus le temps de ces insti tutions aurait duré, plus il serait facile d'accumuler les choses effroyables que l'on en pourrait dire.

Quand est-ce qu'il ne faut pas séparer l'abus de la chose? c'est lorsque l'abus est dans la chose même. Ainsi, nous convenons qu'il faut couper par la racine un arbre qui aurait toujours porté des poisons et jamais de bons fruits; mais non, si les poisons lui sont étrangers, et s'il les porte sans les nourrir. Elaguez, n'abattez pas, vous dit le sage Alphonse VI; que l'ardeur d'aller au but ne vous entraîne pas au delà; arrachezvous la vigne, parce que des épines y ont mêlé leurs branches parasites, et cesserezvous d'aimer des fruits délicieux, parce que des serpents ont voulu les infecter de leur venin? Les plus beaux arbres, l'honneur de nos jardins, qui ombragent l'homme ou le nourrissent, ne laissent pas de servir d'asile et d'aliment aux plus vils insectes, et ce ne fut jamais une raison de les arracher. Il faudrait donc nous démontrer, ce

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