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c'est de connaître les conclusions: les raisonnements échappent et à notre compétence et à notre programme.

La construction des cartes d'après les relations de voyages nous fera pénétrer dans le domaine de la géographie critique. Beaucoup de Français y ont excellé; toutefois vous n'ignorez pas, Messieurs, que le maître contemporain de cette partie de la science était l'illustre directeur des Mittheilungen, Aug. Petermann. C'est principalement sur l'Afrique et sur les régions polaires que la sagacité de ce grand géographe s'était portée. Entouré de tous les documents qu'il pouvait réunir sur un pays peu exploré, il en faisait la carte hypothétique, il en donnait l'idée moyenne, en quelque sorte, et cette idée moyenne se trouvait plus juste que chacune des idées particulières. Aussi les cartes de Petermann, qui ne voyageait guère, ont-elles servi de guides à de nouveaux voyageurs, et souvent son esprit de puissante combinaison devina en un endroit précis un lac, un plateau, une chaîne, un passage, que, sur sa foi, les explorateurs allaient reconnaître. Vous le voyez, Messieurs, le génie de Petermann était, par sa nature, comparable à celui du maréchal de Moltke; mais l'œuvre de Petermann est telle que nous pouvons l'admirer sans amertume, comme du reste lui-même admirait nos grands géographes et géodésiens français.

Sur les cartes marines et sur leur usage, nous serons très bref. Nous n'en tirerons que ce que Stieler et Kiepert en ont tiré eux-mêmes pour leurs atlas manuels, c'est-à-dire quelques notions générales sur les courants et sur les gouffres, vallées et plateaux de la mer. A cette partie du cours se placera, pour vous, la lecture de l'ouvrage du capitaine Maury et l'étude des petites îles de l'océan Pacifique, si admirablement vulgarisée par É. Reclus.

Mon intention n'est donc pas, Messieurs, de me borner à une sèche étude des méthodes géographiques. Les occasions ne nous manqueront pas de multiplier les exemples, et vous retrouverez ainsi, mais sous une nouvelle forme et dans un nouvel ordre, cette géographie narrative et nominative qui doit plus tard faire

la matière de votre enseignement dans les lycées et collèges, mais qui, à la Faculté, ne peut être la base de votre instruction.

Il ne s'est agi jusqu'ici que de la planimétrie, et pour l'étude générale des mers et des continents nous devons nous y restreindre. Mais pour les régions depuis longtemps habitées, civilisées ou colonisées, les besoins de la paix ou de la guerre, des voyages et des travaux publics, ne permettent pas de se contenter de la connexion des territoires et de la situation relative des lieux. Que le cosmographe réédite la comparaison de la Terre avec une orange dont les petites aspérités représenteraient les montagnes, cela peut satisfaire l'esprit humain lorsqu'il contem. ple le monde, mais non pas l'homme lui-même lorsqu'il exploite et traverse la terre. A l'égard du fond de la mer, les sinuosités des côtes ne sont en quelque sorte que des crêtes de montagnes. Il est donc possible, en imaginant que la mer s'élève de quantités données, par exemple de 50 en 50 mètres, de tracer de nouvelles sinuosités et comme une suite de littoraux imaginaires qui se nomment courbes de niveaux, jusqu'à ce que cette mer idéale ait recouvert nos plus hauts sommets, l'Everest si vous considérez le globe entier, le Mont Blanc si vous vous en tenez à l'Europe, moins le Caucase.

Ces courbes de niveau une fois déterminées, l'on pourra, par des lignes transversales, joindre les points successifs de la pente, depuis les bords de la mer réelle jusqu'aux sommités intérieures. C'est ainsi que l'on obtiendra les lignes de partage ou de faîte. Ces quelques mots vous montrent assez que la science ne doit pas commencer par les lignes de partage, d'abord parce qu'elles ne représentent qu'une réalité incomplète et secondaire par rapport à celle des courbes; en second lieu, parce qu'elles ne peuvent être tracées qu'après les courbes. L'introduction récente des cartes hypsométriques dans nos atlas courants vous permettra de ne pas négliger dans votre enseignement la topographie, c'est-à-dire l'expression du nivellement. Vous vous souviendrez aussi que le premier inventeur des représentations du relief fut un Français, Philippe Buache, et que le chef-d'œuvre de cet

art, qui a besoin de tant de sciences, est notre grande carte d'étatmajor.

Dans l'étude des quelques régions européennes que nous pourrons aborder cette année, nous procéderons donc toujours topographiquement. Dès aujourd'hui, permettez-moi de vous donner un conseil tout pratique. Procurez-vous la feuille de l'état-major qui comprend Montpellier, et, dans vos excursions, consultez-la, comparez-la méthodiquement au terrain lui-même. La chose ne demande que de l'attention. Peu à peu, si cette attention est assez souvent répétée, la vue d'une carte topographique, au lieu de vous sembler (pardonnez-moi ce mot vulgaire) la bouteille à l'encre, vous apparaîtra telle qu'elle est une représentation à la fois artistique et scientifique des vraies formes du terrain.

Je voudrais pouvoir ajouter : N'oubliez pas la géologie. Cependant, Messieurs, j'estime que cette étude ne doit venir pour vous qu'après la connaissance des principes topographiques. Les cartes géologiques de France n'ont-elles pas été elles-mêmes établies et coloriées sur les cartes du dépôt de la Guerre ? Évidemment, la géologie seule nous donnera, par ses progrès, les causes probables du relief terrestre; mais, en premier lieu, elle creuse sous ce relief; en outre, si les formes habituelles du relief, en une région donnée, dépendent de la nature du terrain, cependant les altitudes, qui nous intéressent avant tout, n'en dépendent pas suivant des lois fixes. M. Brongniart fit voir, par la comparaison des fossiles, que le mont Fis, près Chamounix, les Diablerets, et plusieurs autres parties des Alpes bernoises et pennines, appartenaient aux terrains du bassin parisien, notamment au crétacé. D'après ce seul exemple, et on pourrait les multiplier, vous voyez que le topographe peut, à la rigueur, se passer du géologue; en revanche, le géologue ne peut se passer du topographe.

Que l'on me comprenne bien ; je ne veux pas dire qu'entre la géologie et la topographie il ne doive exister des relations continuelles; nul doute même que ces relations ne deviennent très fécondes, comme le montrent l'ouvrage capital d'Élie de Beau

mont et Dufresnoy, M. Belgrand dans son Hydrographie du département de la Seine, et M. Stanislas Meunier dans un récent discours. Mais il faut pour cela que l'alliance des deux sciences ne soit pas en quelque sorte forcée, que chacune conserve son individualité distincte.

L'étude physique des régions naturelles doit, pour des raisons évidentes, précéder la géographie politique. En effet, sauf les accidents géologiques (tremblements de terre, soulèvements ou affaissements, inondations, volcans), ce sont toujours le même plan mathématique et les mêmes conditions physiques qui représentent l'état d'un pays. Les guerres et les traités qui bouleversent le monde politique n'impriment sur les cartes qu'un nouveau tracé de points, lequel n'est établi lui-même que relativement aux montagnes, plateaux, bassins qu'il traverse. A bien peu de chose près, la carte physique actuelle, bien connue, suffit à l'étude de la géographie historique. Qu'une île ait disparu ou soit devenue une presqu'île, qu'un littoral se soit effondré ou exhaussé, qu'un lac, qu'un delta, qu'une mer intérieure, comme le Zuyderzée, se soient formés, qu'une antique forêt soit tombée : tels sont, Messieurs, les changements que les temps historiques ont vus s'accomplir. Au fond, et même en ce qui concerne ces questions de géographie historique, les conclusions ou hypothèses auxquelles on a pu aboutir depuis Barbié du Bocage et Gosselin jusqu'aux récents travaux de M. E. Desjardins, reposent toutes sur les identifications des noms modernes avec les noms anciens et sur la connaissance, toujours si incertaine, des anciennes mesures itinéraires. La géographie politique n'est, vous le concevez aisément, que de la géographie historique contemporaine : dans ses détails, elle appartient à plus juste titre aux historiens qu'aux géographes. Il est d'usage, dans la plupart des livres de géographie, il est de plus conforme aux programmes universitaires de traiter, par exemple, de la constitution des pays; mais on ne devrait le faire que dans les rapports probables de ces constitutions avec la géographie physique.

Comparez la constitution de deux Républiques voisines et amies,

la France et la Suisse : il me semble que l'histoire ne suffira pas entièrement à en expliquer les analogies ou les différences. A ne considérer que la superficie, la Suisse, étant beaucoup plus petite, aurait pu, semble-t-il, constituer plus aisément un pouvoir central unitaire. Mais si vous constatez dans ce petit pays l'existence. des obstacles les plus imposants, les Hautes-Alpes et leurs ramifications, la divergence des cours d'eaux autour du massif central, le Saint-Gothard, la difficulté des communications pendant une grande partie de l'année, les diversités de vie, de mœurs, de langues et de religions qui en ont résulté, vous ne serez pas surpris si Berne n'est en quelque sorte qu'un rendez-vous de confédérés, un Rütli pacifique, et si chaque canton ou, plus exactement, chaque petit État est resté si jaloux de son autonomie dans les matières les plus importantes.

Jetez maintenant les yeux sur une carte de France. Voyez, autour de Paris, la convergence de toutes les voies naturelles ou artificielles de communication; considérez, du côté du Rhône, la faible altitude du plateau de Langres; du côté de la Loire, l'insensible ondulation du plateau d'Orléans; voyez ce massif central, difficile à percer sans doute, mais facile à tourner par le bassin de la Garonne et par celui du Rhône; entre ces deux dernières régions, la porte naturelle du col de Naurouze, qui fait l'unité méridionale. Considérez enfin ces barrières des Pyrénées, des Alpes, du Jura, qui avec les deux mers précisent et déterminent l'étendue de notre territoire. De toutes ces considérations géographiques, vous conclurez que, si la France était destinée à former un grand État, cet État devait avoir une constitution unitaire et non fédérative. Ce n'est pas au géographe de rabaisser l'œuvre des fondateurs conscients ou inconscients de l'unité française: nous ne dirons pas : l'homme s'agite et la nature le mène, mais l'homme agit et la nature le dirige et le borne. Notre conception, comme notre amour de la patrie, a ses raisons dans le sol même.

Dans l'explication générale de l'histoire et des constitutions qui en sont le résultat actuel, le géographe a le droit de se faire

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