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entendre; mais, à son tour, il doit écouter l'ethnographe, le biologiste, le jurisconsulte, etc.; il ne doit pas s'imaginer que la réponse est simple et que le théâtre crée en quelque sorte l'acteur. Lorsque la Constituante divisa la France en départements, que d'anciennes unités régionales n'a-t-elle pas détruites au profit de l'unité nationale! Combien la science moderne n'at-elle pas, à la surface du monde entier, renversé d'obstacles qui paraissaient naguère indestructibles! L'action de l'homme sur la nature est devenue puissante et durable lorsqu'il s'est rendu compte des forces de la nature et les a tournées à son usage. Quel que puisse être l'intérêt de ces comparaisons entre l'histoire et la géographie, cependant il ne nous est pas permis de nous y abandonner. Elles impliquent en effet la connaissance de l'histoire et de la géographie, elles ne la donnent pas. Plus vous connaîtrez distinctement l'un de l'autre ces deux grands objets, plus aussi leurs relations réelles s'imposeront comme d'elles-mêmes à votre esprit. Mais c'est une mauvaise méthode que d'étudier une science par ses applications: celles-ci ne doivent venir qu'à leur temps et à leur ordre.

Dans l'enseignement secondaire, le professeur est tenu, et vous-mêmes vous ne manquerez pas d'animer vos leçons de géographie au moyen des notions diverses, historiques, économiques, politiques qu'il est convenu d'y joindre. C'est que de la géographie il faut tirer, pour des élèves insuffisamment préparés à la science pure, une éducation variée et une foule de connaissances usuelles qui n'ont pas leur place ailleurs. Mais il ne faut pas confondre la science en elle-même avec le parti qu'en tire la pédagogie. Si la science en elle-même est bien comprise, il est évident que le professeur du Lycée est à même, guidé par les programmes et par l'expérience, d'en faire un usage sûr, discret, proportionné aux diverses classes, en un mot éducatif. Il doit en quelque sorte faire goûter la géographie avant de la faire connaître, et c'est pourquoi il l'amalgame et la dilue avec plus ou moins d'habileté. De tels procédés, inutiles ici, nous éloigneraient de notre objet.

La multitude de noms géographiques anciens et modernes est ce qui effraye et rebute le plus l'étudiant, et c'est cependant ce qui devrait le préoccuper en dernier lieu. Lire méthodiquement beaucoup de cartes, en dessiner, faire des croquis de tête; ne pas laisser passer un nom géographique, dans les lectures, sans recourir au dictionnaire et à l'atlas; ne pas forcer sa mémoire, mais apprendre uu peu chaque jour : tels sont les moyens d'acquérir l'érudition géographique. La connaissance du sens des principaux termes géographiques dans les diverses langues diminue l'effort mnémonique et surtout le rend bien plus profitable au jugement. Un bon guide sera pour vous le Mémoire du général Parmentier sur l'orthographe des noms géographiques, ou le préambule de l'Atlas manuel récemment paru chez Hachette.

Permettez-moi, Messieurs, de terminer cette leçon-programme par une dernière réflexion. Vous avez dû entendre souvent dire devant vous: Les Français n'ont pas la tête géographique. Il est vrai que les connaissances géographiques ne sont pas aussi répandues qu'elles le pourraient être dans l'ensemble de la nation. Mais la plupart des initiateurs de la géographie savante sont des Français; leurs noms nous venaient naturellement à l'esprit à mesure que nous suivions les progrès de la science. Tous les progrès que les éditeurs de cartes, que les professeurs et vulgarisateurs pourront faire, c'est à la connaissance des auteurs véritables de la science qu'il faudra les rapporter. Nous n'avons qu'à faire valoir les trésors amassés depuis nos grands géodésiens et cartographes du xvII° siècle jusqu'à nos grands géodésiens, explorateurs et historiens-géographes du XIXe siècle. Nos savants n'ont à envier à ceux de l'Allemagne que deux choses : leurs éditeurs mieux outillés, leur public plus nombreux. L'État, l'Université de France, par leur action soutenue, diminuent tous les jours l'infériorité, non de la science, mais de l'enseignement général, et je ne doute pas que vous prouviez, par votre travail d'abord, plus tard par vos leçons, que les Français, ayant l'esprit clair, ont la «tête géographique ».

NOTES D'UN VOYAGE DANS LE SUD DE LA TUNISIE

Par M. Valéry MAYET.

Le traité du Bardo a été signé en 1881, et dès 1882 le gouvernement français a organisé en Tunisie des explorations scientifiques destinées à faire connaître au monde savant les richesses de notre nouvelle colonie.

Une Mission topographique militaire vient de terminer la carte provisoire de l'État-Major; la Mission archéologique, dirigée par M. Reynac, après avoir visité la frontière tripolitaine, exécute des fouilles importantes à Carthage; M. Bouillot, préparateur de Zoologie à la Sorbonne, a été chargé d'une mission d'exploration sous-marine à bord de l'aviso le Linois, employé luimême à la rectification de la carte marine; enfin la Mission scientifique (histoire naturelle), dirigée par M. le D' Cosson, de l'Institut, a exploré pendant les années 1882, 1883 et 1884 les diverses contrées de la Régence.

Nous avons eu l'honneur de faire partie de l'exploration de 1884. Sans sortir de notre rôle, il nous a été donné, tout en étudiant les choses de la nature, d'observer les mœurs et les œuvres des hommes. C'est à ce titre de voyageur non spécialiste que nous présentons aujourd'hui notre Journal à la Société de Géographie.

Pendant les deux voyages de 1882 et 1883, la Mission avait visité le nord de la Tunisie, les environs de Tunis, la vallée de la Medjerda, la Kroumirie, le Kef, Kérouan et la presqu'île du cap Bon. L'objectif en 1884 était l'exploration du Sahara tunisien et celle des grandes îles de la côte, qui n'avaient été visitées par aucun naturaliste.

Disons tout d'abord quel était le personnel de la Mission.

M. le D' Cosson ayant été retenu à Paris par l'état de sa santé, notre nombre, qui devait être de six, séparé en deux groupes, s'est trouvé réduit à cinq.

MM. Letourneux (d'Alger), botaniste, et Lataste (de Paris), zoologiste, furent chargés de visiter le sud des Chotts. MM. Doûmet-Adanson, botaniste, petit-fils du célèbre naturaliste, M. le D' Bonnet, aide-naturaliste au Muséum de Paris (botanique) et l'auteur de ce récit, zoologiste, étaient désignés pour explorer les plaines désertiques, ainsi que les massifs montagneux qui bornent au Nord ces immenses dépressions devenues célèbres par le projet de M. le colonel Roudaire.

M. Doûmet-Adanson était choisi comme chef du groupe. Nous n'eûmes personnellement qu'à nous féliciter de ce choix. Outre l'amitié qui nous unit depuis longues années, sa vieille expérience du pays, visité par lui dès 1874 (Mission de l'Académie des Sciences dans le sud de la Régence), était pour nous une garantie et une condition précieuse de réussite du voyage.

Le choix des compagnons de route est d'une importance capitale dans une expédition de cette nature. Sur les trois mois et demi qu'a duré notre mission, nous avons été cinquante jours en caravane, c'est-à-dire appelés à vivre dans une intimité qui peut devenir gênante si l'on n'est pas tout disposés à se faire des concessions mutuelles.

Grâce aux bons rapports qui n'ont cessé de régner entre nous, grâce à la bienveillance des autorités civiles et militaires, bien des difficultés ont été aplanies et nous avons pu accomplir notre mandat sans trop de peines et de fatigues. Partis le 24 mars, nous rentrions en France le 7 juillet.

Départ de Marseille.

Progrès de la navigation à vapeur. - Arrivée à la
Goulette.Tunis.

24 mars 1884.- Exacts au rendez-vous, nous nous trouvons réunis à cinq heures du soir sur le pont d'un des beaux steamers de la Compagnie Transatlantique, la Ville de Barcelone. Le dé

part est fixé à 6 heures. Un fort coup de N.-O. dure depuis deux jours et fait rage en ce moment; les lames, franchissant le môle de la Joliette, lancent leurs embruns jusque dans le port. Nous n'en marcherons que mieux, dit le capitaine; une fois sortis de la rade et l'île de Planier dépassée, nous mettrons de la toile et filerons droit sur Tunis, où nous arriverons en trente-six heures.

25 mars, en mer, 2 heures du soir. Nous sommes en vue des côtes de Sardaigne. Jusqu'à présent le capitaine a raison : nous avons roulé et tangué horriblement toute la nuit. Ce matin encore, nos hublots étaient constamment dans l'eau, des lames énormes passaient sans cesse de tribord à babord; mais nous avons filé quatorze nœuds à l'heure. Depuis dix ans, nous n'avions pas fait de traversée sérieuse; notre navire, de construction récente, nous procure l'occasion de constater que la navigation fait des progrès incessants. Par les gros temps, les hommes ne sont plus attachés à la barre, comme nous l'avions vu maintes fois. Une roue placée au centre du navire, sous la passerelle, fait mouvoir deux chaînes qui, longeant les bastingages, vont communiquer les mouvements au gouvernail. Le commandement se fait mieux, s'exécute de même, et l'on ne risque plus de voir les hommes emportés par la lame ou soumis, tout au moins, à l'horrible supplice de la douche en permanence.

Un autre progrès est celui du loch enregistreur. Il n'y a pas fort longtemps encore, à bord de tous les navires, on se servait, pour mesurer la vitesse, d'une corde enroulée autour d'une énorme bobine, corde ayant des noeuds de distance en distance et terminée par une planchette triangulaire. On lançait dans le sillage du navire la planchette, qui, retenue par les trois angles, se tenait perpendiculaire à la surface de la mer et offrait ainsi à l'eau une résistance considérable. On déroulait vivement la corde de la bobine, tenue en l'air par un homme, de façon à la larguer exactement suivant la vitesse du navire, et à chaque nœud rencontré, un matelot qui comptait, criait: un, deux, etc. De là l'ex

VIII.

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