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pression filer tant de nœuds. Il fallait trois hommes, deux tout au moins, pour manier l'instrument. Aujourd'hui, le loch se compose d'une boîte de cuivre très solide, renfermant un appareil enregistreur et terminée par une petite hélice dont le mouvement est plus ou moins rapide, suivant la marche du navire. L'instrument, retenu par une corde, est lancé à la mer; la vitesse de la petite hélice est enregistrée mathématiquement, et un seul homme suffit à l'opération. L'appareil coûte cent francs; dans les gros temps, il se perd souvent; on en est quitte pour le remplacer. Le progrès important est, paraît-il, en mer comme sur terre, dans l'économie de la main-d'œuvre.

5 heures du soir. Le vent tombe de plus en plus, la mer s'apaise, les malades reparaissent, et nous pouvons jouir du panorama qui se déroule sous nos yeux.

Les côtes de la Sardaigne sont peu accidentées, bien moins élevées que les montagnes de la Corse, qui, de leurs pics neigeux, percent les nuages à l'horizon derrière nous ; les sommets que nous avons sous les yeux ont un aspect mamelonné et uniforme. Nous passons entre l'île San-Antioco et le rocher du Taureau. Ce cône brun, couronné de broussailles vert sombre, est d'un aspect imposant dans sa fierté sauvage. Il est probablement vierge encore de toutes recherches zoologiques. Peut être se cache-t-il là quelque nouvelle et belle variété de notre lézard des murailles (Lacerta muralis). Les îles de la Méditerranée ont chacune la leur, et, plus le théâtre est petit, plus, dirait-on, la variété est belle. La Sardaigne elle-même est mal connue, et depuis les recherches de Raymond, faites il y a plus de vingt ans, aucun zoologiste n'a visité ce pays, dont la faune est cependant curieuse à plus d'un titre.

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26 mars. Ce matin, dès l'aube, nous avons aperçu la terre, et, malgré les flots d'eau dont les matelots de quart inondaient le pont, nous étions sur la dunette avant 6 heures.

En rade de la Goulette, le coup d'œil est superbe. A droite, le cap Carthage, que nous venons de doubler, supporte un phare et la coquette ville arabe de Sidi-bou-Saïd; un peu plus près de nous, la chapelle Saint-Louis, dorée par le soleil, domine la colline

antique de Byrsa et les ruines de Carthage (Kart-hadach, ville nouvelle). A gauche, des montagnes aux lignes imposantes, le Djebel bou Kornein (Montagne cornue), au pied duquel on aperçoit le Dar-el-Bey d'Hammam-el-Lif; le Djebel Ressas (Montagne de plomb) au rude profil; le Djebel Zagouan, qui envoie de cent trente kilomètres, jusqu'à Tunis et à la Goulette, ses eaux excellentes par le vieil aqueduc de Carthage restauré. En face de nous, ia Goulette, sur le long ruban du cordon littoral, et au delà, bien loin dans un brouillard rose, de l'autre côté du lac (elBahira), les maisons blanches de Tunis.

Il est près de 8 heures quand nous jetons l'ancre, à plus de mille mètres du môle. Si la baie est grandiose, le mouillage est détestable. Le fond, de sable fin ou de vase molle, n'est pas tenable par un gros temps deux navires naufragés, une goëlette italienne et un vapeur anglais ensablés non loin de nous, sont là pour l'attester. La question du port de Tunis est loin d'être résolue. Il n'y a pas à songer à creuser un chenal dans le cloaque sans profondeur (el-Bahira) qui sépare Tunis de la mer; à la Goulette, il faudrait des jetées de plus de mille mètres pour trouver quatre brasses de fond. Restent deux projets; celui du creusement des vieux bassins de Carthage et celui de l'amélioration du port de Bizerte. Le premier a pour lui d'être à quinze kilomètres de Tunis; mais, si les marins s'y rallient, les ingénieurs n'en veulent pas; le second est un port naturel magnifique, le plus beau de la côte ; mais il est à cinquante kilomètres de Tunis.

Le canot à vapeur de la Compagnie Transatlantique nous dépose sur le quai de la Goulette à 8 heures et demie; bientôt après, une mahonne indigène débarque nos impedimenta, une vingtaine de colis, hélas ! Pourrons-nous prendre le train de 10 heures ? La douane du Bey nous fait bien vite renoncer à cette illusion. Les ballots de papier des botanistes, les conserves alimentaires, jusqu'à nos vêtements neufs et à la batterie de cuisine, sont marchandises sujettes aux droits. Il nous faut appeler à notre aide le vice-consul de France, M. Cubisol, une vieille connaissance de Doûmet, et invoquer nos titres officiels pour obtenir

justice. La douane tunisienne est affermée à des Italiens. Ils font tout ce qu'ils peuvent pour encaisser beaucoup : c'est leur droit ; mais le train est manqué.

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Pendant que le déjeuner se prépare, nous parcourons la Goulette. La population indigène est celle de tous les ports barbaresques. Comme à Alger ou à Bône, le porte-faix est un mélange d'Arabe, de Berbère, de Turc et de Nègre. Peu de beaux types, beaucoup de visages défigurés par la variole et d'autres maladies cutanées. La colonie européenne est importante, italienne surtout, quelques Maltais et quelques Français. Une compagnie de chasseurs à pied représente la force armée, et plusieurs officiers du Bey sont là pour montrer que nous ne sommes par les seuls maîtres, en apparence du moins. L'eau du Zagouan vient jusqu'ici et permet à de beaux arbres (Populus Euphratica) d'ombrager les rues. Une voiture du Bey traînée par des mules rapides, harnachées d'or, soulève des flots de poussière. Des forçats au fez rouge, enchaînés deux à deux, balayent les rues, stimulés par la matraque d'un garde-chiourme. Mais gardons notre pitié pour de meilleures occasions, elles ne nous manqueront pas !

A midi, le train de la Compagnie Rubatino nous entraîne vers Tunis. Wagons bien compris : une galerie ouverte occupe les deux côtés de la voiture et permet de jouir de la vue. A droite, les ruines de Carthage, ou plutôt les immenses champs de blé qui en couvrent l'emplacement. La petite gare de la Malka-Carthage est dominée par le mamelon de la chapelle Saint-Louis. L'endroit où fut la rivale de Rome est couvert de fleurs en ce moment. Quelques pans de murs écroulés, quelques débris informes de l'aqueduc, émergent seuls de la nappe fleurie. A gauche, s'étend l'immense lagune el Bahira, peuplée de Palmipèdes et d'Échassiers, dont les grands Flammants roses forment la masse. Ces oiseaux sont habitués au bruit des trains, et, à moins de cent mètres d'eux, la locomotive, qui passe en sifflant, ne dérange pas toujours ceux qui pêchent ou dorment perchés sur un pied.

Tunis quelle couleur ! c'est l'Orient bien plus que ne l'est l'Algérie. La rue des Mzabites à Constantine peut seule donner

une idée des souks ou marchés de la capitale de la Régence. Ces souks peuvent être comparés à nos passages couverts d'Europe. Les boutiques se touchent; elles sont petites, trois mètres de profondeur sur deux de large à peu près. Le marchand, juif ou maure, est au fond, travaillant le maroquin, brodant des étoffes, frappant l'or et l'argent ou ciselant le cuivre. Une corde suspendue au plafond de l'échoppe sert à entrer ou à sortir. S'approchet-on d'un objet mis en vente, le marchand se suspend à sa corde, passe, les jambes repliées, au-dessus de sa marchandise et vient tomber à vos pieds. Il rentre de même.

Dans les rues, quel grouillement de burnous, de haïks, de gandouras aux couleurs éclatantes ! quelle cohue de chevaux, de bourricots, de chameaux, d'arabas (charrette arabe)! Ajoutez à cela les cris gutturaux des conducteurs, harri! balek! etc., les boniments vociférés à pleine gorge par les marchands de gâteaux, de bouquets ou de vieux vêtements; par la pensée remplissez l'air de l'odeur du musc et du benjoin, et vous aurez une idée bien affaiblie de cette couleur locale.

Les Maures sont ici ce qu'ils sont au Maroc et en Algérie, un mélange de Berbères, d'Hispano-Arabes et de Turcs, population affable, nullement guerrière, industrielle, boutiquière, un peu bourgeoise, cachant ses femmes avec un soin jaloux. Celles-ci sortent peu, moins qu'à Alger. Le haïk qui enveloppe de la tête au pied leur riche costume d'intérieur et ne laisse voir parfois qu'un œil, est souvent de couleur sombre.

Les Juifs, très nombreux, sont marchands d'étoffe, brocanteurs, surtout bijoutiers ou changeurs. Toutes les industries qui touchent aux métaux précieux leur sont réservées, et pour cause! Le Maure est plus honnête et ne peut lutter. Les Juives sont belles; mais l'obésité précoce, obtenue par un régime spécial, les gâte de bonne heure. En Algérie, il n'en est pas ainsi. Grandes, bien faites, étroitement serrées dans de longs fourreaux de soie de couleur sombre, elles ont, même devenues matrones, une distinction de tournure que n'arrive pas à détruire la malpropreté inhérente à la race. En Tunisie, la robe blanche ou en soie

de couleur claire, n'est ni longue ni collante, elle s'arrête audacieusement à la taille et peut s'appeler veste; le bras est nu bien au-dessus du coude. En dessous, un vêtementblanc qu'on peut comparer à une seconde chemise, souvent transparente, descend jusqu'à l'aine; un pantalon bouffant au-dessus du genou (séroual), collant sur la jambe, va jusqu'à la cheville; le pied est nu dans des babouches sans quartiers ou chaussé de la petite sandale de bois à haute semelle appelée kob kab par harmonie imitative. La tête est enveloppée dans une pièce d'étoffe noire laissant par-devant échapper les cheveux, et au sommet une pointe en forme de casque ou de mitre, habituellement d'étoffe d'or. Derrière ce casque, pendent sur le dos deux ou quatre rubans d'or ou de soie. Le costume de ville comporte un haïk blanc à rayures recouvrant toutes ces splendeurs; mais souvent, et surtout le jour du sabbat, on laisse le haïk chez soi et l'on sort ainsi costumé dans les rues.

A Tunis, comme dans toutes les villes du littoral, il y a peu d'Arabes de race pure, beaucoup d'hommes à burnous, il est vrai, mais d'origine plus ou moins berbère, vandale ou romaine. Il faut chercher le type arabe, c'est-à-dire l'homme grand, maigre, à la tournure élégante, aux attaches fines, aux dents d'ivoire, sous la tente des nomades ou tout au moins dans l'intérieur du pays.

Tunis est divisé en deux parties distinctes: la ville indigène, de 100,000 âmes environ, et la ville franque, de 25,000. La première, entourée de ses vieilles murailles turques d'un effet pittoresque, communique avec la seconde par la porte de la Marine (Bab el Bahr). Elle est entièrement construite avec les ruines de Carthage. Le nombre des colonnes de cette provenance, marbre ou granit, qui forment l'angle des maisons est considérable; le palais du Bey lui-même en renferme un certain nombre qui n'ont pas d'autre origine. La ville européenne s'étend entre Bab el Bahr et le lac. Depuis 1881 les constructions ont plus que triplé, des maisons à quatre étages s'élèvent partout rapidement, et sur l'avenue de la Marine les terrains se payent des prix qu'on ne croyait jamais atteindre.

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