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? IV. Quelle tâche ! Elle est écrasante, en vérité ! Et pour y suffire, quelles sont donc nos ressources? Uniquement la cotisation des membres de l'Alliance Française, dont le chiffre minimum a été abaissé à 6 fr. pour ne décourager aucune bonne volonté. Au commencement de cette année nous comptions un peu plus de 6,000 membres et environ 65,000 fr. de recettes, sur lesquelles il y a à déduire environ 20,000 fr. de frais généraux. C'est un beau résultat si l'on considère que notre Société n'a guère plus de dix-huit mois d'existence; mais c'est un résultat insuffisant Nous ne ferons rien de sérieux tant que nous ne serons pas 100,000 souscripteurs et que nous n'aurons pas un budget d'un million. Je ne désespère pas d'y arriver; 100,000 souscripleurs sur 38 millions de Français, cela ne fait pas même 3/1000. Ne se trouvera-t-il pas 3 Français sur 1000 qui soient disposés à s'imposer ce léger tribut pour assurer à leur pays le rang et l'influence qui doivent lui appartenir dans le monde ?

Et quand nous aurons fait tout cela, en admettant que nous réussissions à enseigner le français à quelques races plus ou moins sauvages, à quoi cela nous servira-t-il ? demanderont les sceptiques. En serons-nous plus avancés ? Quel profit pour l'État ou pour les particuliers nous en reviendra-t-il ?

Je répondrai d'abord que l'œuvre de l'Alliance Française, si elle réussit, doit procurer à notre pays des profits très certains, justement ceux que j'indiquais à propos des journaux, à savoir: un développement de son commerce d'exploitation, une extension de ses débouchés. Comme on l'a très bien dit', partout où l'on parle le français on achète des produits français. Les Anglais ont un proverbe qui dit: Le commerce suit le drapeau : trade follows the flag. On peut dire bien mieux encore: Le commerce suit la langue. Vous savez que le commerce, de nos jours, ne peut se passer de réclame. Or, quelle meilleure réclame pour un pays pourrait-on imaginer que la propagation de sa langue ? N'estelle pas plus efficace que l'exhibition d'un morceau d'étamine rouge ou tricolore?

Conférence de M. Foncin à Bordeaux, 1er décembre 1884.

Il s'est fondé récemment en France une Association pour le développement du commerce français à l'étranger. Cette Société est nécessairement sœur de la nôtre, nous ne pouvons que nous aider mutuellement, et peut-être un jour même nous entendrons. nous à cet effet.

Au reste, c'est là une préoccupation d'un ordre secondaire. Je suis loin de vouloir rabaisser les intérêts matériels, et j'en sais l'importance; mais je dirai que nous les servons, ces intérêts matériels, de la façon la plus efficace et la plus sûre, simplement en agrandissant l'influence morale de la France dans le monde. Si, parmi ces sceptiques dont je parlais tout à l'heure, il en est qui s'imaginent que c'est là se payer de mots et faire de la politique de sentiment, je me permettrai de leur dire qu'ils sont désespérément myopes et ne savent voir les choses ni de haut ni de loin. Quoi qu'on en dise, c'est encore le sentiment qui gouverne les hommes. Le rang qu'une nation occupe dans le monde, le patronage qu'elle exerce sur les autres peuples, le nombre d'amis ou de clients qu'elle peut trouver, tout cela dépend beaucoup moins de la puissance qu'elle possède effectivement que de celle qu'on lui prête. Pour un pays, bien plus encore que pour un particulier, le crédit dont il jouit de par le monde est tout, ou du moins tout le reste lui est donné par surcroît.

C'est ce crédit que nous voulons relever, car, il ne faut pas se faire d'illusions, il est amoindri. Nous ne sommes pas des chauvins, nous ne prétendons pas que notre pays ait été le premier pays du monde ni qu'il doive le devenir, et, à vrai dire, sur la scène politique il n'y a à parler ni de premier ni de second rôle; tous les rôles sont bons, pourvu qu'on les joue bien. Mais nous prétendons seulement que la France a été dans le passé un des facteurs les plus considérables de la civilisation, qu'elle est appelée à l'être encore dans l'avenir, qu'il n'est pas encore temps pour elle de prendre sa retraite, et que, s'il devait arriver un jour qu'elle cessât d'occuper dans le monde une place proportionnée à ses titres historiques et à ses qualités géniales, ce n'est

pas elle seulement, c'est le genre humain tout entier qui se sentirait diminué.

Et quel autre moyen pourrions-nous prendre, plus sûr, plus simple et, somme toute, moins coûteux, pour étendre l'influence de la France dans le monde, que d'étendre l'empire de sa langue? Si en effet la parole, le verbe, est l'expression la plus haute et la plus caractéristique de la personnalité humaine, la langue que parle un peuple est aussi l'expression la plus complète de son individualité nationale. C'est par elle que son caractère et son génie se manifestent au dehors; c'est par elle que ses idées rayonnent dans le monde; c'est el'e qui réunit dans une pensée commune, à travers l'espace et le temps, ces millions de molécules qui par leur co-existence et leur renouvellement constituent une société humaine. N'oublions pas d'ailleurs que l'empire de la langue est le plus durable de tous; cet empire-là demeure, même alors que la domination politique a cessé; il brave conquêtes et traités; aussi longtemps que persiste la langue, persiste aussi l'idée de la patrie; tant qu'on l'entend encore, c'est que la patrie est vivante; du jour où elle se tait, c'est que la patrie est morte.

Ainsi donc, Messieurs et chers Concitoyens, soyez bien convaincus qu'en travaillant à étendre les limites de la langue Française, nous travaillerons en réalité à étendre les limites de la patrie. Telle est ma conviction: je souhaite qu'elle devienne aussi la vôtre, et qu'en sortant de cette conférence chacun de vous puisse se répéter le vers du poète que je citais au début, avec une légère variante, et puisse redire avec lui: « Partout où résonne la langue française, là est la patrie française ».

Charles GIDE.

ANALYSES ET COMPTES RENDUS.

L'Afrique Australe, son passé, son présent, son avenir. Conférence donnée par M. JOUSSE, ancien missionnaire, le 1er mai 1885 '.

Le sujet est vaste et le titre est peut-être un peu prétentieux, d'autant plus que l'orateur ne se présente ni comme un explorateur ni comme un géographe, et se propose simplement de faire un voyage en zigzag dans l'histoire du pays; sa seule compétence est de parler de ce qu'il a vu, et d'apprécier les choses et les hommes d'une manière plus vivante, parce qu'il a été mêlé aux événements pendant de longues années.

En 1486, Barthélemy Diaz double le cap d'Espérance, nommé alors cap des Tempêtes, et arrive à la pointe orientale, à la baie d'Algoa, où se trouve aujourd'hui la ville de Port-Élisabeth, avec 50,000 habitants (elle en avait à peine 2,000 il y a trente ans). Il débarque et prend possession d'un îlot, en y plantant la croix. Son projet était d'aller plus loin ; mais une révolte de l'équipage l'oblige à revenir en arrière, et, malgré lui, il quitte cette terre en embrassant la croix dont il fait le symbole de sa conquête, et en disant Au revoir!

En 1487, en effet, le Portugal prépare et envoie une nouvelle expédition. L'ingratitude royale lui donna pour chef le fameux Vasco de Gama, qui dans sa marche vers les Indes découvrit la baie et la montagne de la Table, entre lesquelles s'élève la ville du Cap. Une première station y fut fondée, pendant longtemps simple station de relâche plutôt que de commerce; les navires s'y ravi

1 C'est une reproduction aussi fidèle que possible, qu'on ne saurait pourtant donner pour absolument exacte, parce qu'elle est faite au moyen de simples notes, grâce auxquelles on a pu conserver le sens, mais non les paroles.

taillaient auprès des indigènes avant d'entrer dans l'océan Indien. C'était le dernier point qui les rattachait à l'Europe. Au retour, ils s'y arrêtaient encore pour prendre la correspondance. On a longtemps montré sur la plage un immense rocher qui servait de bureau de poste. On mettait les lettres dans une cavité ignorée des indigènes.

Ce n'est qu'en 1650 que la Hollande y envoya un gouverneur, nommé Van Ribet. Les premières tentatives d'établissement furent difficiles, malgré la bonne volonté des indigènes, qui échan. geaient volontiers leurs bœufs et leurs moutons contre les produits de l'industrie européenne. Pour quelques mètres de fil de fer ou de laiton, on avait une bête à corne. Mais dupés dans ces marchés, une fois approvisionnés, ils cessèrent les échanges et se retirèrent même vers l'intérieur. Van Ribet opéra des razzias. Ces injustices et ces violences produisirent leurs fruits. Elles déposèrent dans les cœurs des sentiments d'inimitié profonde et créèrent des rapports d'hostilité permanente, qui, malgré les progrès de la colonisation et de la civilisation, sont loin d'avoir cessé aujourd'hui.

En assurant ainsi le présent, on avait retardé l'avenir. Le suc cès palpable se serait même fait bien plus longtemps attendre sans l'intervention de quelques centaines de nos compatriotes. En 1685, l'édit de Nantes avait été révoqué, et les plus énergiques parmi les héritiers des Huguenots prenaient le chemin de l'exil. Les gouvernements protestants leur accordaient l'hospitalité. Parmi ceux qui se réfugièrent en Hollande, plusieurs allèrent au Cap chercher une nouvelle patrie. Il y eut des Duplessis-Mornay, des de Villiers, des du Toît, etc., dont les noms persistent encore parmi les colons. On leur assigna un territoire qui a conservé la dénomination de Coin français. Ces hommes forts se mirent au travail et furent les premiers à donner l'exemple des soins agricoles; on leur doit le vin de Constance. Par leur valeur morale aussi bien que par leur activité et leur esprit d'initiative, ils apportaient un précieux élément civilisateur. Les premiers colons hollandais avaient peu de valeur.

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