Immagini della pagina
PDF
ePub
[ocr errors]

27 mars. Aujourd'hui, visites officielles. Le Ministre plénipotentiaire, M. Cambon, est en France; nous ne le verrons qu'au retour. A la Résidence française, nous sommes reçus par le premier attaché d'ambassade M. D..., qui demandera pour nous au Bey des passeports (amras) revêtus de son sceau, chose très importante pour nos relations avec les chefs du Sud. Vu les gé. néraux Boulanger et Riu; accueil parfait. Les ordres reçus du Ministère ont été transmis, et à Sfax nous trouverons une escorte militaire à notre disposition, ainsi que des chevaux et des mulets de charge.

[blocks in formation]

28 et 29 mars.-Carthage, avouons-le, a été un peu pour nous une déception! Nous ne nous attendions pas à trouver là de nombreuses ruines puniques; trop d'événements, d'invasions barbares, de sièges destructeurs ont eu ce terrain comme théâtre. Mais la Carthage romano-byzantine, où est-elle ? Sur ce sol jadis couvert de constructions, on fait des kilomètres sans rencontrer deux pierres l'une sur l'autre. En dehors des grandes citernes et des ports, pas de ruines remarquables! Il faut être archéologuc et parcourir, le plan à la main, l'immense quadrilatère formé par les débris des remparts, pour retrouver, de loin en loin, quelques vestiges intéressants. L'enceinte avait huit kilomètres de long sur quatre de large, elle comprenait trois quartiers principaux : Byrsa, le Forum et Megara. A la place des constructions, on trouve aujourd'hui des plaines et des collines cultivées. Trois villages arabes s'y rencontrent, et l'un d'eux, la Marsa, sert de résidence d'été et de bains de mer à tout ce que Tunis renferme de personnages importants. Le Bey y réside toute l'année, depuis que le Bardo est fermé par suite de la mort de son prédécesseur Mohamed-el-Sadok. Devant le Dar-el-Bey, se trouve un jardin où l'on voit se promener des gazelles, des autruches et même des casoars. M. Cambon, le consul anglais et le cardinal Lavigerie résident également à la Marsa. Le village est situé sur l'empla

cement de Megara, les ports avoisinent le Forum et la chapelle Saint Louis est bâtie sur la colline de Byrsa.

Ce n'est pas sans une certaine émotion que nous sommes entrés dans ce sanctuaire et que nous avons foulé cette terre, française effectivement depuis 1842; mais française par le souvenir depuis le x siècle. C'est là, dit-on, que saint Louis a succombé aux attaques de la peste avec sept mille chevaliers français. « Les Musulmans eux-mêmes vénèrent encore la mémoire du grand roi franc qui les combattit, mais dont les vertus extraordinaires lui attirèrent l'admiration et le respect de ses ennemis'.>>

C'est M. de Lesseps père, alors consul de France à Tunis, qui a obtenu la concession du terrain. Il est enterré dans la chapelle. Le bâtiment est construit dans un style bâtard; il est tellement petit qu'il ne permet pas à plus de quinze personnes d'assister aux cérémonies du culte. Mer Lavigerie, nommé, depuis notre voyage, archevêque de Carthage, a à cœur, nous le savons, de donner une extension plus grande à ce sanctuaire vraiment national. Derrière le chevet de la chapelle et dans le même enclos, se voit un bâtiment important. Le premier étage est occupé par le Séminaire des Missions africaines, le rez-de-chaussée par le Musée fondé par le supérieur du Séminaire, le R. P. Delattre. Ce que cet homme intelligent a réuni là de chapiteaux, de pierres tombales, de sculptures de tout genre, d'inscriptions puniques, de monnaies, de bijoux, de poteries, est inestimable. Avant lui, bien des choses trouvées par les Arabes cultivateurs se perdaient ou se dispersaient aux quatre coins de l'Europe entre les mains des étrangers. Nous remarquons surtout le nombre considérable d'inscriptions puniques qui exercent en ce moment la sagacité des archéologues.

Au sortir du Musée, nous allons visiter les fouilles de la Mission archéologique dirigée par M. Reynac, puis les ports et enfin les grandes citernes. Le chef de la Mission nous fait lui-même les

• V. Guérin; Voyage archéologique dans la Régence de Tunis, tom. I, pag. 47.

honneurs de son chantier, qui est considérable: cinquante terrassiers italiens déblayent les terres. Il s'agit d'atteindre le sol carthaginois. Le terrain des villes ne cesse de s'exhausser, comme on le sait. A la surface, on trouve les ruines byzantines, un peu plus bas les débris vandales, au-dessous les ruines romaines, et il faut aller à cinq ou six mètres pour trouver le sol punique. Les fouilles, longues de plus de cent mètres, larges de sept ou huit, sont pratiquées au pied de la colline de Byrsa; elles ont atteint, au moment de notre visite, entre cinq et sept mètres de profondeur. Les résultats sont satisfaisants. Une belle statue de Jupiter, sans tête malheureusement, un sceau punique remarquable, des poteries nombreuses, des monnaies et des inscriptions précieuses, viennent de partir pour Paris.

Les ports sont fort intéressants. A l'entrée, le môle, à fleur d'eau, pourrait être utilement restauré, et, dans l'intérieur des terres, les deux bassins marchand et militaire très visibles, bien qu'en majeure partie comblés par les Arabes, pourraient être creusés. Leur déblayement, entrepris il y a une vingtaine d'années, a créé deux larges nappes d'eau dans lesquelles on pourrait établir des dragues. La superficie totale est de 27 hectares, d'après les mesures de l'ingénieur Caillat, c'est-à-dire à peu près celle du vieux port de Marseille. Nous empruntons ces derniers détails à la Notice du P. Delattre, qui accompagne le plan de M. Caillat.

Les grandes citernes sont incontestablement ce qu'il y a de plus curieux parmi les ruines. Il n'y a plus que six réservoirs intacts, ayant leur voûte et contenant encore de l'eau; mais on en compte 17. Chacun de ces réservoirs a 32 mètres de long sur 6 de large, 9 mètres de profondeur, et 12 si l'on part de la clef de voûte. Un corridor circulaire voûté fait le tour de ces citernes et une percée médiane, transversale à leur longueur, permet d'en apprécier l'ensemble

L'aqueduc, dont la longueur totale était de 132 kilom., fut construit sous l'empereur Adrien, à la suite d'une longue sécheresse qui désola le pays. On n'en voit guère que des débris in

formes aux environs de Carthage; mais, près de Tunis, certaines portions sont intactes et peuvent faire juger de l'importance de l'œuvre.

A propos de l'anéantissement de Carthage, il ne serait pas juste d'accuser les Arabes seuls. Mohammed Edrisi, géographe arabe du XII° siècle, nous raconte, il est vrai, que c'est à l'aide des matériaux de Carthage que Tunis et plusieurs villes de la côte furent construites; mais il ajoute que, de son temps, de superbes monuments existaient encore. « Le théâtre, dit-il, n'a pas son pareil en magnificence dans l'univers on compte cinquante arcades d'une incomparable beauté, vingt-quatre citernes; l'aqueduc est l'ouvrage le plus remarquable qu'on puisse voir, etc. 1.>>

Qui donc a renversé ces monuments? L'écrivain espagnol Marmol, qui fit partie de l'expédition de Charles-Quint en Afrique, nous l'apprend. Lorsque, en 1535, la Goulette fut tombée aux mains des Espagnois, des navires entiers furent chargés des marbres les plus précieux, qui furent emmenés en Italie, et les Pisans prétendent que leur cathédrale a été bâtie avec ces marbres de Carthage. Quant aux monuments de pierre, ils furent employés à la construction des fortifications entreprises par l'ordre de l'empereur.

30 mars. Quand on est appelé à voyager près de trois mois à travers le désert et que depuis longtemps on n'a pas fait d'équitation, il est bon d'essayer ses forces. L'excursion d'Hammamel-Lif, projetée pour aujourd'hui, se fera donc à cheval. 36 kilom. aller et retour, c'est raisonnable. A midi, un grand nègre nous amène nos coursiers à la porte de l'hôtel. Doûmet, qui est cavalier consommé, enfourche le plus remuant et, au grand effroi des passants, commence à caracoler sur les trottoirs; pour nous, qui sommes au contraire cavalier médiocre, nous nous félicitons intérieurement d'avoir mis la main sur un étalon ma ka chi ma

Géographie traduite de l'arabe par A. Jaubert, tom. I, pag. 262. 2 Beulé; Fouilles à Carthage, pag. 18.

boul. Nous voici en route cependant, au milieu du flot de bourricots et de chameaux portant des chargements hétéroclites. A ceux qui craignent les taches, nous recommandons les peaux de boucs remplies d'huile qui pendent des deux côtés de la bête et exécutent un roulis qui est la terreur des paletots européens; à ceux qui ont l'âme sensible, nous citerons les chargements de poulets pendus par les pattes: 20 à 25 d'un côté, autant de l'autre. Il nous faut éviter tout cela. Nous y arrivons sans trop de peine; mais je m'aperçois bientôt que mon étalon n'est pas assez maboul. Au Fondouk, j'ai 100 mètres d'arriéré sur mes compagnons; à la porte Bab-el-Fellah, j'en ai 200; c'est que je me suis embarqué sans éperons ni cravache. Cela ne peut continuer ainsi! Au premier olivier, je me coupe une baguette; les rôles changent, et je rattrape honorablement. Arrivée à Hammam-el-Lif vers 3 heures.

A moitié chemin à peu près, nous avons franchi le pont de l'Oued Milianah. A part une pointe dans un bois d'oliviers à droite, à la recherche du Cyclamen Persicum égaré en cet endroit, nous avons marché droit au but. La route est peu accidentée, elle longe sur beaucoup de points le chemin de fer, amorce de la future ligne de Sfax. Chemin faisant, nous avons croisé de nombreux convois de chameaux et d'ânes chargés de charbon. Les massifs montagneux qui sont en face de nous fournissent le combustible à Tunis. Le Bey a ici une maison très importante, un Dar-el-Bey, où Mohammed-el-Sadok envoyait ses femmes en villégiature. Ce palais est fermé, comme celui du Bardo. A côté se trouvent les thermes (Hammam). Le village est à la fois une station thermale estimée des indigènes et un établissement de bains de mer qui fait concurrence, en été, à ceux de la Goulette et de la Marsa. Pour le moment, la plage est déserte, et, à part le chef de gare et un cabaretier français, il n'y a pas un Européen à qui parler. Nous sommes en selle avant 6 heures et il en est bien près de 9 quand nous franchissons de nouveau les portes de Tunis.

31 mars. Ce matin, dès 6 heures, nous roulons à toute vapeur

« IndietroContinua »