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mais nous avions compté sans la douane. Nos provisions et nos ustensiles, qui à l'arrivée étaient de l'importation, étaient aujourd'hui de l'exportation. Nouvelle intervention de M. Cubisol, nouveau succès; mais il était 3 heures quand nous étions libres: nous n'avions plus qu'à nous embarquer. Vivent la douane et les douaniers!

Avant que les derniers passagers soient arrivés à bord, un grain venant du N-O se lève et fait rage autour du navire. Décidément le temps est détraqué ! Le ciel est bas, la rade soulevée, les mahonnes qui apportent les bagages battent les haubans de leurs antennes démesurées. Pourvu qu'il ne tombe personne à la mer et qu'aucun colis ne manque à l'appel! Enfin le calme revient, la dernière chaloupe à vapeur nous apporte des passagers couverts d'eau, et nous levons l'ancre à 5 heures.

Le dîner est fort gai, personne n'est malade. Sous un ciel rempli d'étoiles, la soirée se prolonge en causeries agréables. Nous sommes en bonne compagnie: M. le général Stéphani, une vieille connaissance, en tournée d'inspection; le colonel de la Roque, commandant supérieur de Gabès, qui nous réserve l'accueil le plus cordial à notre retour de l'intérieur; MM. C... et M..., touristes lyonnais, qui arrivent de Biskra et qui décrivent avec enthousiasme les gorges d'El Kantara, les grands horizons désertiques et les danses des Ouled Naïl. Ces Messieurs vont à Tripoli, et de là en Italie. Nous causons avec plaisir de Lyon et des nombreuses connaissances qui nous sont communes dans cette ville.

4. — La nuit a été bonne, la mer est calme comme un lac. Dès 6 heures, le pont du navire, encombré d'indigènes, commence à s'animer. Les Juifs sont en majorité. Ce sont eux surtout qui profitent des moyens de locomotion créés par les Français. Un Israëlite qui voyage emmène avec lui sa femme, ses nombreux enfants et ses coffres de bois massif qui renferment toute sa fortune. Quels groupes pittoresques! Quels fouillis colorés! Les burnous et les haïks blancs, les chachias rouges, les foutas bario. lés, les vestes de laine ou de soie aux teintes claires, les casques

d'or, forment un ensemble charmant et qui tenterait un peintre. Tout ce monde s'éveille, sort de ses couvertures, s'étire, fait un brin de toilette, mange, fume ou babille bruyamment dans la langue de Mohammed ou dans celle d'Israël. Plusieurs s'apprêtent à descendre à terre, car nous approchons de Sousse. Le paquebot sèmera ainsi son chargement bigarré un peu tout le long de la côte, jusqu'à Tripoli. A chaque escale il prendra l'équivalent, à peu près, de ce qu'il aura laissé, et ce n'est pas un des spectacles les moins curieux du voyage que cet échange de passagers. Accoudés sur le bastingage, nous y assistons toujours avec le plus vif intérêt. Les chaloupes amenant ceux qui partent veulent absolument décharger pour emmener les débarquants; mais celles qui sont venues vides s'y opposent, comme de raison. Ce sont alors des cris gutturaux, des gestes menaçants, des injures sans nom. Des grappes humaines prennent d'assaut l'échelle du navire et se rencontrent là avec ceux qui descendent, portant des valises, des coffres, des matelas, des enfants qui pleurent. Les chachias et les menus objets tombent à la mer, bien heureux quand ce ne sont pas des passagers ou des objets précieux! A Gabès, une femme folle (maboul), nous a-t-on dit, a pris ainsi sous nos yeux un bain forcé; à Djerba, c'est une aiguière d'argent ciselé que nous avons vue tomber à l'eau, se remplir et disparaître. L'ordre ne se rétablit que lorsque les officiers du bord prennent le parti d'employer la force. Il s'agit d'empêcher les débarquants de descendre avant que tous les arrivants soient montés. L'échelle et les chaloupes étant libres, il n'y a plus d'encom. brement; mais cette foule est ingouvernable! Elle ne comprend pas le français et force toutes les consignes.

Cette nuit, nous avons doublé la presqu'île du cap Bon, massif montagneux de 5 à 600 mètres d'altitude, qui s'avance au large entre le golfe de Tunis et celui d'Hammamet. Nous sommes en pleine mer ou à peu près, la côte basse ne montre à l'horizon vaporeux que les collines ondulées du Sahel. Sousse se distingue déjà pourtant. Plus nous approchons, plus la jolie ville arabe se détache comme un carré blanc sur le vert sombre de la forêt

d'oliviers qui l'entoure. Il est 8 heures quand nous jetons l'ancre. Le bateau repart à une heure, nous n'avons pas de temps à perdre; mais, avant de descendre à terre, nous jetons un coup d'œil sur la véritable merveille que nous avons sous les yeux. La ville, placée en amphithéâtre, se voit bien mieux du navire que d'aucun point de la côte.

Sousse est bien certainement le plus bel échantillon qu'on puisse voir d'architecture militaire sarrasine. Les remparts d'Aigues-Mortes, reproduction fidèle de ceux de Damiette, peuvent donner une idée de cette enceinte complète, intacte, entièrement crénelée, qui enserre la ville sous forme d'un grand quadrilatère allongé. Les murs sont, de distance en distance, surmontés de tours faisant saillies. Ces tours sont généralement carrées, plus basses que celles d'Aigues-Mortes ou que la tour sarrasine de Carcassonne. Quelques-unes sont octogones et rompent harmonieusement les lignes. Ces remparts hauts de 12 mètres environ, blanchis à la chaux, comme toutes les constructions arabes, forment avec les minarets élancés, les terrasses, la tour élevée de la Kasbah, le phare, un ensemble vraiment superbe. Pourquoi faut-il que la pioche des démolisseurs soit une menace pour l'avenir? «Il faudra donner de l'air à la ville, nous a dit M. A..., fonctionnaire important de Sousse ; j'insiste beaucoup auprès du gouvernement pour que l'on renverse, du côté de la mer tout au moins, ces vieilles murailles malsaines; nous aurons ainsi, toutes rendues sur place, des pierres pour construire la ville moderne. » Les Vandales, les Arabes et les Espagnols qui ont démoli Carthage ne parlaient pas autrement.

Ce que c'est que d'arriver directement de Paris, avec des idées

préconçues! Comment faire comprendre à ce Monsieur qu'avec l'air, la chaleur entre; que les murs épais et blanchis sont des abris excellents, et que la ligne droite est évitée soigneusement dans les villes d'Orient, dans le but de briser les enfilées de soleil? Nous y renonçons. Nous nous contentons de lui dire qu'il doit avoir entendu parler d'une autre merveille, la cité de Carcassonne, pour la restauration de laquelle la France du

XIX siècle a jeté les millions sans compter. Ce que ce même XIX siècle démolira ici, le xxo le reconstruira; il est plus simple de laisser les choses en l'état. La ville européenne se bâtira sur les vastes terrains qu'il est facile de conquérir au fond d'une baie sans profondeur. Aurons-nous été compris ? Nous en doutons.

Sousse est le centre d'un commerce d'huile important. L'industrie locale fabrique des tapis et des burnous. C'est d'ici que partaient les convois de ravitaillement pour l'expédition militaire de Kerouan. Le petit chemin de fer Decauville, qui a été construit dans ce but, fonctionne encore une fois par semaine. On met six à sept heures pour franchir, traîné par des mules, les 50 kilom. qui nous séparent de la ville Sainte. Que n'avons-nous huit jours pour aller la visiter, ainsi que le bel amphitéâtre d'El-Djem, rival du Colisée de Rome; mais nos jours sont comptés!

Visite au général R..., qui commande la brigade; le lieutenant F..., du bureau arabe, pour lequel nous avions une lettre de recommandation, nous fait les honneurs de la ville. Les souks sont toujours à voir; mais, à côté de ceux de Tunis, ceux d'ici sont peu de chose. Dans la cour de la Kasbah, une gazelle apprivoisée vient au-devant de nous, elle appartient à la grande espèce (Antilope dorcas); nous en verrons partout dans le Sud.

Deux canons sarrasins attirent notre attention; ils ont été pêchés dernièrement au large par des filets traînants. Ce sont des pièces en fer forgé, longues d'un mètre, se chargeant par la culasse et composées de six à sept morceaux cerclés de fer comme les douves d'un tonneau. Un coin engagé dans une gorge où se mouvait la culasse retenait celle-ci après l'introduction de la gargousse. Doûmet possède deux canons semblables pêchés à Cette, il est à même de nous renseigner. A une heure, départ pour Monastir, où nous arrivons avant deux heures; le temps d'embarquer et de débarquer passagers et marchandises, et nous faisons route pour Mahadia. La pointe de Monastir (Monasterium) est pittoresque. Les constructions de la petite ville, bâties sans ordre et entourées de jardins, s'avancent jusqu'au bord de

la mer. Des palmiers isolés ou harmonieusement groupés balancent leurs têtes au-dessus des terrasses. Vers six heures, nous sommes à Mahadia. Deux heures après nous en repartons, pour ne plus nous arrêter jusqu'à Sfax

5 avril. Le beau temps continue et nous n'aurons pas de peine à débarquer sur cette plage sans profondeur. C'est une grosse question que le débarquement à Sfax quand la mer est mauvaise! La marée, qui se fait sentir plus fortement à mesure que nous approchons du golfe de Gabès, oblige les grands navires à mouiller à près de quatre kilomètres au large. A Tunis, le flux n'atteint guère que 70 centim.; à Sfax il dépasse 1 mèt., à Djerba 1, 50, et c'est là qu'il atteint de 2 à 3 mèt. au moment des équinoxes.

Nous laissons à plus fort que nous le soin d'expliquer cette marée, faible sur les côtes de France, très sensible sur celles d'Italie, grande sur celles de la Tunisie et de la Tripolitaine.

Nous stoppons au milieu des nombreuses embarcations venues à notre rencontre.

La plage est basse et le Sahel (collines côtières) encore moins élevé qu'à Sousse ou à Monastir. Les maisons de Sfax semblent au niveau de la mer.

Nous sommes prêts à descendre à terre, mais nous laissons auparavant s'écouler le flot des passagers de pont. Pendant que nous regardons à babord s'effectuer cette laborieuse opération, des embarcations ont accosté l'échelle de tribord. Parmi les visiteurs, un Arabe vêtu d'une gandoura de soie rouge attire notre attention; il baise respectueusement l'épaule du colonel de la Roque. «C'est Kamoun, nous dit-on, le chef de la révolte de Sfax.>>

L'histoire de ce bandit est un vrai roman: c'est lui qui, malgré les ordres reçus du bey, a refusé d'ouvrir les portes de la ville devant les Français. Après le siège meurtrier que l'on connaît, Kamoun, voyant Sfax au pouvoir de nos troupes, réussit à gagner un navire grec qui était en rade et se fit conduire à Malte. C'est de là qu'il écrivit aux autorités françaises pour demander sa

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