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délais de gares compris. Au point de vue économique, le chameau ne porte que 250 kil., c'est vrai; mais en dehors de l'intérêt de son prix d'achat, qui est minime (un animal adulte vaut 250 fr.), il ne coûte pas un centime, puisqu'il vit entièrement sur les dépaissances de la route. Chacun des nôtres est loué 3 fr. par jour, chameliers compris. Le temps de l'Arabe étant compté pour rien ou à peu près, sa dépense n'étant que de quelques sous par jour, presque tout est bénéfice pour les propriétaires de nos bêtes. On a dit que le chameau était laid! Cela dépend. L'Arabe pauvre l'enlaidit, il est vrai, à plaisir, en lui goudronnant la tête, les entournures et une partie des flancs sous prétexte d'éloigner les mouches; il l'enlaidit encore en le tondant par morceau. A-t-il besoin d'un lien quelconque, il coupe une touffe de sa laine; la tente a-t-elle un trou, on tond un quart de la bête pour filer un peu de cette laine, en faire une pièce et boucher

le trou.

Quel est l'animal qui ne serait laid dans ces conditions-là ! Mais quand le chameau est régulièrement tondu, une fois l'an, comme le mouton, ce qui se rencontre chez les Arabes qui en possèdent un certain nombre, il est loin d'être déplaisant. L'odeur du chameau est insupportable, dit-on. Et le mouton donc, son proche parent; et le bouc! Le voisinage ne devient pénible que lorsque l'animal séjourne sur son fumier; quand on lève le camp tous les jours, l'inconvénient est nul. La docilité, l'instinct de toujours marcher en troupes, l'exactitude à se rapprocher des tentes quand la nuit tombe, en un mot le peu de soins que le chameau réclame, tout cela compense bien au delà cette odeur sui generis. Le cheval, pour l'Arabe comme pour M. de Buffon, est la plus noble conquête; mais, pour tous les peuples du désert, le chameau est, à coup sûr, la plus utile.

Venant de faire l'éloge de l'animal, je devrais bien faire celui de son conducteur; mais j'avoue qu'arrivé au bout de ma course, j'ai été bien aise de quitter les chameliers. Abd-Allah exerce bien souvent, du matin au soir, notre patience, par ses chansons modulées sur trois notes aussi fausses que possible pour notre

oreille et qui se terminent comme si on lui mettait brusquement la main devant la bouche; mais Abd-Allah est un agréable musicien à côté de nos dix chameliers. Chacun, dodelinant de la tête sur son chameau, chante sa mélopée traînante et nasillarde sur trois notes fausses, sans songer à s'accorder avec son voisin, et cela sans relâche, jusqu'au bout de l'étape. Où es-tu, Félicien David, pour que nous te fassions entendre la vraie musique de la caravane?

A El-Hammam, agréable surprise! Au détour d'un massif de palmiers nous apercevons nos amis causant avec plusieurs personnes. Ce sont MM. les officiers du poste de Tozeur, venus aimablement à notre rencontre: M. le capitaine du C..., commandant supérieur, ses deux lieutenants et le D' C... Un peu plus loin autre surprise une table avec sa nappe blanche est dressée à l'ombre des arbres. Serait-ce donc ici comme dans les contes de fées? Décidément l'amabilité française n'est pas morte, l'esprit non plus. Jamais déjeuner plus gai, plus français que celui-ci. Les officiers des postes avancés ont été nommés au choix, nous nous en sommes vite aperçus.

Pendant que nos hôtes retournent à Tozeur, rappelés par leur service, visite de l'oasis avec le lieutenant L... El-Hammam (le bain), l'endroit est bien nommé: partout des sources thermales et minérales où se rendent beaucoup de malades. Les piscines, au nombre de quatre ou cinq, sont de simples bassins carrés avec margelles de pierre recouverts par un toit de palmes. Dans l'une d'elles, nous trouvons Abd-Allah faisant ses ablutions. Dans une autre, notre visite soulève des clameurs poussées par des femmes et des enfants en train d'infuser dans l'eau sulfureuse. Comme végétation, c'est beau, mais inférieur à Gafsa. On cultive peu de légumes et de fruits, beaucoup de luzerne; les dattes sont de première qualité. L'Oued formé par la réunion de toutes les sources thermales va se jeter dans le chott El-Rharsa, qui est tout près d'ici au Nord-Ouest. Du côté du Sud, le site est accidenté, derniers contreforts du Djebel Tarfaoui, rochers de poudingues bizarrement découpés, au pied desquels sort une des sources.

Il est quatre heures quand nous sommes à cheval. Le ciel s'étant couvert d'une façon inquiétante, le convoi est parti en avant. A peine avions-nous fait quelque cent mètres que le tonnerre éclate et que les écluses du ciel s'ouvrent sur nous. Nous piquons des deux, arrondissant le dos sous l'orage. Tout va bien jusqu'à un certain oued qui coule à pleins bords dans le sable. Pourrons-nous le passer? Abd-er-Rhaman, qui en a vu d'autres, y lance sa bête, arrive à bon port sur l'autre rive, et nous traversons l'obstacle à notre tour. L'effet de l'eau qui court sous le cheval, rapide, silencieuse, sans une ride, ne peut se bien décrire. Pour ne point dévier, il nous fallait regarder le but à atteindre. L'impression physique de tous a été quelque chose ressemblant au vertige. Dans la traversée du chott el-Djérid, le même phénomène se reproduit quand l'eau a envahi le passage étroit sur lequel on marche, et il peut devenir un danger par le voisinage immédiat des fondrières insondables du chott. Le lieutenant, qui s'est trouvé dans cette situation critique, nous donne ces détails. Vers 5 heures la pluie cesse, le soleil se montre et fait briller tout près de nous, à notre droite, l'immense miroir du chott el-Rharsa. La ligne de partage des eaux entre les deux grands bassins, le seuil de Kriz, comme l'a appelé M. Roudaire, est bientôt franchie. C'est une série de mamelons sablonneux après lesquels nous arrivons sur le versant du chott el-Djérid. Tout à coup se découvre la ligne sombre de l'oasis de Tozeur, un pays entier couvert d'un million d'arbres fruitiers et de 350 mille palmiers; au delà, le chott immense confondant son horizon avec le ciel. Tout à l'entour, le sol est stérile. C'est du sable mouvant, aujourd'hui figé par la pluie, demain peut-être tourbillonnant au moindre souffle. De loin en loin seulement quelques touffes de Peganum.

Il est plus de six heures quand nous franchissons enfin la porte. de la kasbah, où nous sommes reçus comme l'accueil de ce matin nous le faisait prévoir.

(A suivre.)

PROMENADES AGRICOLES

EN FRANCE, EN BELGIQUE ET EN HOLLANDE

Par F. CONVERT.

L'exploration des territoires inoccupés est un des principaux objets de la science géographique; ce n'est pas le seul. Si, pour contribuer à ses progrès, il était nécessaire d'apporter des documents sur des régions plus ou moins inconnues, elle n'aurait à compter sur le concours que d'un nombre bien limité de personnes. On s'en désintéresserait dans la masse du public. Heureusement il n'en est pas ainsi et, sans entreprendre de longs voyages, on peut, dans presque toutes les conditions, prendre une part active aux travaux dont elle est la base. A côté des espaces immenses qu'il nous reste à décrire sur la surface du globe, il y a des étendues considérables de pays dont nous avons encore à approfondir l'étude. Les expéditions lointaines ne sont pas à la portée de tout le monde. Pour les aborder avec chance de succès, il ne faut pas seulement de l'argent, il faut encore être solidement trempé au physique aussi bien qu'au moral. Sans avoir aucune qualité exceptionnelle, on peut noter ce qui se passe autour de soi; il suffit de de venir observateur pour relever, dans un rayon très limité, des faits curieux qui demeurent cependant inaperçus, et qui restent parfois longtemps oubliés. Dans son simple voyage autour de sa chambre, Xavier de Maistre a trouvé la matière de constatations originales. N'est-on pas revenu fréquemment de courses aux environs de Montpellier avec une ample moisson de renseignements curieux et instructifs dont notre Société a été heureuse de recevoir communication? Sous certains rapports même, on pourrait dire que

ce sont les documents qui nous touchent de plus près qui nous manquent le plus, qu'on a le plus de difficulté à réunir. Quelques notions superficielles satisfont, à la rigueur, notre esprit quand on nous entretient de contrées inhabitées; nous nous contentons volontiers d'indications générales sur leur situation et leurs ressources. Nous n'avons jamais trop de renseignements sur les milieux que nous habitons, nous n'en avons jamais assez

Suivant ses goûts, suivant sa position, chacun voyage d'ailleurs à sa manière, et son attention se porte sur des objets qui peuvent échapper à d'autres. Beaucoup de touristes se laissent conduire par ceux qui les ont devancés et se contentent de suivre leurs traces. On les rencontre dans toutes les villes de l'Europe, leur guide à la main, poursuivant un itinéraire bien déterminé, visitant un monument ou un musée en se conformant strictement aux règles qui leur sont données, se plaçant à un point fixé d'avance pour voir un tableau sous un jour favorable, observant les moindres précautions qui leur sont recommandées. Leur mode de voyage est commode, il évite les ennuis, mais il ne laisse aucune place à l'initiative personnelle. Ce n'est pas celui des naturalistes qui cherchent à pénétrer les secrets de la nature, celui des commerçants qui veulent se rendre compte des éléments de trafic de chaque pays, celui des ingénieurs qui s'arrêtent aux travaux d'art qu'ils rencontrent. Ce n'est pas non plus celui des agronomes qui, après Arthur Young, se plaisent à parcourir les campagnes pour se rendre compte de l'état de la culture et de la situation des populations rurales. Ce dernie: mode a bien son mérite; c'est, de tous, celui qui permet de faire plus complètement connaissance avec les mœurs intimes d'un pays, avec le caractère de ses habitants; c'est celui qui a toutes nos préférences. On n'apprécie bien une région, on ne mesure bien ses ressources que quand on connaît l'état de son agriculture, de son industrie et de son commerce, mais celui de son agriculture d'abord. C'est presque partout aux champs que se manifeste l'activité humaine sous sa forme la plus normale, et c'est d'elle que résulte, en définitive, la prospérité des États. L'exploitation

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