LES EUCALYPTUS

AIRE GÉOGRAPHIQUE DE LEUR INDIGÉNAT ET DE LEUR CULTURE

Par M. Félix SAHUT.

(Suite 1.)

3° QUEENSLAND.

Si, après avoir parcouru la Nouvelle-Galles du Sud et suivi à l'est de la Nouvelle-Hollande les côtes de l'océan Pacifique, l'on remonte vers le Nord, c'est-à-dire vers l'Équateur, en franchisant la ramification qui part du mont Lindsay et descend à l'Est jusqu'à Port-Danger; ou bien que, prenant à l'ouest de la grande chaîne, on traverse la rivière Barwan, on pénétrera chaque fois sur le territoire de la colonie australienne du Queensland. Cette province, dont nous venons d'indiquer la limite Sud, est la plus grande de toutes après l'Australie occidentale; elle s'étend à l'Ouest jusqu'au terrritoire de la North-Australia, en face et parallèlement, quoique à une grande distance, des monts Ashburton. Dans sa partie sud-ouest, c'est-à-dire dans la région centrale australienne, la chaîne des monts de Stokes sépare le Queensland de l'Australie méridionale; elle forme le prolongement vers le Nord de celle des monts Stanley et des monts de Grey, qui séparent de leur côté l'Australie méridionale de la NouvelleGalles du Sud. Enfin le territoire du Queensland se prolonge au Nord sous la forme d'une longue presqu'île s'avançant en pointe jusqu'au cap York, en face de la Nouvelle-Guinée.

Il n'y a guère que 140 kilom. depuis le cap York, extrémité nord-est de l'Australie, jusqu'aux terres papouasiennes de la Nouvelle-Guinée qui lui font face de l'autre côté du détroit de

Voir Bulletin 1885, 3c trimestre, pag. 340.

Torrès. La configuration générale de ce détroit permet de supposer que cette île, la plus grande du monde, d'une superficie de 785,362 kilom. carrés, a été autrefois réunie au continent australien. Les îles Talbot, Saibai, Jervis, Mulgrave, Banks, Thursday et Prince of Wales, qui s'échelonnent dans la largeur du détroit de Torrès, paraissent en effet émerger de la crête sous-marine qui relie la Papouasie à la Nouvelle-Hollande. Les explorations du célèbre botaniste-voyageur italien Odoardo Beccari, qui a parcouru en 1875 la chaîne des monts Arfak, ainsi que plusieurs autres parties de la Nouvelle-Guinée, ont démontré l'existence, dans cette île immense, de nombreuses espèces végétales qui ont leur équivalent dans la flore australienne. On a cru reconnaître également une certaine similitude de race entre la population autochtone des deux contrées.

Toutefois la flore papouasienne actuelle offre aussi une grande analogie avec la végétation des îles malaises, alors que la faune de la Nouvelle-Guinée est essentiellement australienne. C'est là peut-être une question de latitude et peut-être aussi d'époque de formation géologique. Il y a tout lieu de supposer que la séparation a dû se faire ici pendant la période miocène.

Nous pourrions ajouter que la réunion pourrait bien s'effectuer réellement à nouveau si, comme on l'a observé, les bancs et récifs de corail qui se forment avec une rapidité relativement considérable continuent à se développer comme ils l'ont fait jusqu'à présent. Ces masses corallines enserrent aujourd'hui toute la côte nord-est de l'Australie d'une barrière infranchissable. Elles rendent à peu près impraticable la moitié septentrionale du détroit de Torrès et ne laissent guère pour la navigation que quelques étroits passages; le canal de Prince-de-Galles, quoique obstrué par des récifs de coraux, est pourtant le meilleur de ces passages pour les navires qui se rendent de la mer des Moluques et de celle d'Arafoura dans la mer de Corail et le Grand-Océan.

La partie du Queensland située entre le Grand-Océan et la mer de Corail à l'Est, la chaîne de montagnes de la Nouvelle

VIII.

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Angleterre à l'Ouest, est arrosée par de nombreux cours d'eau qui prennent leurs sources dans les hautes vallées de cette chaîne. Ce sont surtout les rivières Richmond et Brisbane. Il en est de même de la région des plateaux élevés, situés à l'est de la chaîne des monts Denham; elle est limitée du côté de l'Océan par une chaîne d'altitude moindre, qui se détache de cette dernière en face de Brisbane et remonte ensuite vers le Nord en longeant le littoral de l'Océan et de la mer de Corail. Ces plateaux sont surtout parcourus, d'abord par le petit fleuve Burnett, puis par les deux rivières Dawson et Mackensie, qui, se réunissant, se frayent alors un passage à travers la chaîne côtière pour se jeter à la mer, près de Rockampton, dans la baie de Keppel; ensuite un peu plus au Nord, par les rivières Belyando et Burdekin, qui se réunissent aussi avant leur embouchure commune dans la mer de Corail, près de Townsville et non loin de la baie d'Halifax, sous le 20me degré de latitude.

De nombreux cours d'eau prennent leur source sur le versant occidental de ces chaînes. Ce sont d'abord au Nord les rivières Mitchell, Gilbert, Flinders et Gregory, qui se jettert dans le golfe de Carpentarie. Ce sont ensuite, descendant vers le Sud, la grande rivière Barwan, qui sert de limite entre le Queensland et la Nouvelle-Galles du Sud; elle se jette, ainsi que les rivières Bogan, Macquarie, Castelreagh, Nammoy et Gwydir, descendant toutes des montagnes de la Nouvelle-Galles du Sud dans le fleuve Darling, qui, après un parcours de 1,200 kilom., mêle lui-même ses eaux à celles du grand fleuve Murray. Ensuite de nombreuses rivières qui prennent leur source dans les montagnes du Queensland descendent aussi vers le Sud et deviennent encore d'autres affluents du Darling. Ce sont surtout les rivières Balonne et Maranoa, qui, se rejoignant, prennent alors le nom de rivière Culgoa; celle-ci se divise bientôt en plusieurs branches, dont l'une se perd dans un lac, tandis que les autres se rejoignent bientôt pour aller porter leurs eaux dans la rivière Barwan, non loin du fort de Bourke. C'est enfin la grande rivière Warrego, autre affluent du Darling.

Ces nombreux cours d'eau, dont quelques-uns ont un parcours plus long que celui de nos grands fleuves de France, descendent d'abord assez rapidement des montagnes où ils ont pris leur source. Ils parcourent ensuite lentement, et le plus souvent avec une pente insignifiante, l'immense plaine qui occupe toute la partie centrale de l'Australie. Quelques-uns se perdent même dans les lacs formés par des dépressions de terrain et ne se prolongent pas au delà, Ces lacs, dont l'altitude est généralement peu élevée et dont les eaux sont saumâtres, se trouvent presque tous dans la région centrale, qui forme d'une manière générale une immense vallée, depuis le golfe de Carpentarie au Nord-Est et le golfe de Cambridge au Nord-Ouest, jusqu'au golfe Spencer au Sud. On suppose que cette vallée, traversant tout le continent australien dans la direction du Nord au Sud, a été occupée par la mer durant la période tertiaire. De l'autre côté du détroit de Torrès, en face le golfe de Carpentarie, la partie de la Nouvelle-Guinée comprise entre l'île de FrederickHenry et le Delta du Fly-Rivers formait peut-être le prolongement de cette même vallée à travers les terres papouasiennes ; l'orientation générale, vers le Nord, de la partie supérieure du Fly-Rivers semble l'indiquer. Les bords de ce grand fleuve ont 'été, comme on le sait, visités en détail et on pourrait dire même découverts par le célèbre voyageur italien Charles d'Albertis, qui à bord du petit vapeur la Neva remonta en 1877 le cours du Fly-Rivers dans une exploration pleine d'intérêt et qui ne dura pas moins de huit mois. Ces mêmes bords viennent d'être récemment les témoins de l'insuccès d'une expédition anglaise venue du Queensland, et dont la plupart des membres qui la composaient ont été massacrés par les indigènes.

Quoique occupant une superficie de 1,305,520 kilom. carrés, soit un peu plus du double de la Nouvelle-Galles du Sud et près de huit fois plus grande que la colonie de Victoria, la province de Queensland est par contre beaucoup moins peuplée que ces dernières et n'avait en 1883 que 287,475 habitants. Sa population comparée à celle des deux précédentes provinces n'est donc,

à surface égale, guère plus du sixième de celle de la NouvelleGalles du Sud, et trente-deux fois moins dense que celle de Victoria. Nous verrons que la disproportion sera encore plus forte pour l'Australie occidentale et surtout pour l'Australie septentrionale. De toutes les provinces australiennes, c'est dans le Queensland que l'accroissement de la population est le plus rapide : il a été le 61 % pendant les dix dernières années (18731883). Le Queensland a été constitué en État indépendanten 1859.

Brisbane, capitale de la province, est heureusement située, près de l'embouchure de la rivière de ce nom, dans la baie Moreton. Elle avait près de 36,000 habitants en 1883, et son accroissement, de même que celui d'Ipswich et de Port-Denison, les deux autres principales villes de la province, est relativement considérable, quoique étant loin d'égaler celui de Melbourne, de Sidney et des autres villes du Sud.

Cette région, moins parcourue et par conséquent moins connue que les précédentes, ne paraît pas non plus être aussi riche en Eucalyptus; les très vastes forêts qui en recouvrent la plus grande partie contiennent beaucoup plus d'autres essences forestières que celles des autres provinces. On connaît déjà un certain nombre d'espèces d'Eucalyptus, qui boisent la partie montagneuse, où la chaleur est moins grande que dans les plaines. Néanmoins, le climat du Queensland est nécessairement, à conditions égales, plus chaud que celui de la Nouvelle-Galles du Sud, beaucoup plus que celui de Victoria, et la différence serait encore plus grande si on le comparait avec celui de la Tasmanie. D'une part, en effet, grâce à sa latitude, toute cette vaste région est beaucoup plus rapprochée de l'Équateur, et, d'autre part, les montagnes qui en recouvrent une bonne partie paraissent être d'une altitude généralement moins élevée. Il faut donc que les Eucalyptus, vivant au Queensland, soient assez résistants à la chaleur. Voici les principales espèces connues jusqu'à présent.

1° L'E. hemiphloa Müll., est ainsi nommé par le savant directeur du jardin botanique de Melbourne, dans sa classification basée sur les caractères de l'écorce. Désigné vulgairement sous