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CHRONIQUE DE MALACA

TRADUITE DU MALAIS.

Par M. L.-Marcel DEVIC.

(Suite1.)

XIV.

Le fabricant de toddy et le prince naufragé.

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Voyage du roi de Malaka à Medjapahit. - Exploits de Hang Touah..

L'amok.
Touah.

Le Kris volé. - Mariage de Mansour-Chah.

Disgrace de Hang

Nous parlerons maintenant du roi de Medjapahit. Ce prince était mort sans laisser d'enfant mâle, mais seulement une fille nommée Radin-Galah Ouey Kasouma. C'est elle que Patih AriaGadjah-Mada fit monter sur le trône.

A quelque temps de là, un fabricant de toddy', étant allé se divertir à la mer, trouva un enfant qui flottait accroché à une planche. Il le saisit et le monta dans son praho. L'enfant avait perdu connaissance par suite du long temps qu'il était demeuré sur la mer sans boire ni manger; il était entre la vie et la mort. Mais, comme a dit l'émir des croyants Ali que Dieu le comble d'honneurs! « La maout illa bi'l-adjl », c'est-à-dire, on ne meurt qu'au terme fixé par le destin. Le fabricant de toddy introduisit de l'eau de riz bouilli dans la bouche de l'enfant, qui ouvrit les yeux et se vit sur un praho. L'homme l'emmena à sa maison, et le soigna de son mieux, et l'enfant, au bout de quelques jours, se trouva remis.

L'homme lui demanda: «Qui es-tu? quel est ton nom? et comment étais-tu ainsi flottant sur cette planche ? »

1 Voir le quatrième trimestre 1884.

2 Liqueur spiritueuse tirée du palmier.

L'enfant répondit : « Je suis fils du roi de Tandjong-Poura, descendant à la cinquième génération de Sang Maniaka, fils du roi qui le premier descendit de la colline de Sagantang-Mahamirou. Mon nom est Radin Koran-Langou. Nous étions trois frères, deux garçons et une fille. Un jour, mon père avec une nombreuse suite alla se divertir vers les îles. Au milieu de la mer, une tempête nous assaillit avec des vagues énormes. Le praho de mon père ne put être secouru. Il fit naufrage. Ni mon père, le roi de Tandjong-Poura, ni ma mère, ne purent se réfugier dans le canot; ils se mirent à la nage pour gagner un autre praho. Quel fut leur sort? Je l'ignore. Quant à moi, je m'accrochai à une planche que le courant et les vagues emportèrent au milieu de la mer. Je flottai durant sept jours sans nourriture et sans eau douce pour boire. Heureusement j'ai été rencontré par vous, mon père, qui m'avez traité avec bonté. Si vous m'aimez véritablement, faites-moi conduire à mon père à Tandjong-Poura, afin qu'il vous récompense par des richesses inima. ginables. >>

Le fabricant de toddy répondit : « Vous avez raison. Mais comment pourrais-je, moi, vous reconduire à votre père à Tandjong-Poura? Restez ici avec moi pour le moment. En quelque temps que votre vénéré père vous envoie quérir, je vous ramènerai. Et puis, mon cœur s'est attaché à vous, dès que j'ai vu votre charmant visage. Laissez-moi vous adopter pour mon fils, car je n'ai pas d'enfants. Soit! répondit Radin Koran-Langou. Je suis prêt à vous obéir en tout. >>

Le fabricant de toddy lui donna donc le nom de KimasDjioua; sa femme et lui l'aimèrent d'une vive affection. Sans cesse ils le plaisantaient en disant : « C'est vous qui deviendrez un jour Ratou (souverain) de Medjapahit, en épousant la princesse Ouey-Kasouma. Mais alors vous me nommerez Patih AriaGadjah-Mada (premier ministre). » Et Kimas-Djioua répondait : « Assurément, si je deviens Ratou ».

Il y avait quelque temps que la princesse Ouey-Kasouma était

reine et que Patih Aria-Gadjah-Mada la gouvernait; et beaucoup de gens disaient: «Le ministre veut épouser la reine.»> Un jour, celui ci, vêtu de mauvais habits, descendait la rivière, maniant la rame parmi la foule des serviteurs, sans être connu. Et ceux-ci causant entre eux disaient : « Si j'étais à la place de Patih AriaGadjah-Mada, je sauterais sur la princesse pour devenir Ratou de Medjapahit. Ne serait-ce pas bien fait ?- Assurément, disait un autre, c'est lui qui épousera la reine; car n'est-il pas l'homme le plus puissant du pays? Et qui pourrait contredire à sa parole?» Le ministre, entendant ces propos des serviteurs, se dit : «S'il en était ainsi, à quoi me servirait toute ma bonne conduite passée ? »

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Le lendemain il alla faire visite à la princesse et lui dit : « Princesse, vous voilà en âge, il conviendrait que vous prissiez un mari; votre beauté ne peut rester sans époux. Tel est le sentiment de votre vieux serviteur.» La princesse Quey-Kasouma répondit : « Si mon oncle veut me marier, qu'il rassemble les hommes de ce pays, afin que je puisse voir celui qui me conviendra. Celui-là sera mon époux. - Bien, princesse, dit le ministre. Je vais rassembler les gens, hommes ou chiens, tout. Celui qui plaira à ma souveraine, nous en ferons le souverain. >>

Patih Aria-Gadjah-Mada, sortant alors, commanda de frapper le tambour dans toute la ville et aux environs, en proclamant l'ordre de se rassembler à Medjapahit, parce que la princesse voulait se choisir un époux.

A cette nouvelle, les Radjas, les Mantri (ministres), les Houloubalang, les Sida-sida, les Hérauts et tous les sujets, grands et petits, jeunes et vieux, longs et courts, boiteux, tortus, bancals, jambes raides, manchots, aveugles, sourds, muets, tous se rassemblèrent à Medjapahit, non pas tant pour obéir à la convocation que pour suivre leurs propres désirs en apprenant que la princesse Ouey-Kasouma voulait faire choix d'un mari; car chacun se disait « Peut-être est-ce moi qui serai choisi».

Quant tout ce monde fut rassemblé, la princesse monta sur un balcon qui dominait la route. Sur l'ordre du ministre, les hommes commencèrent à défiler un à un. Les Radjas, les Mantri,

les Sida-sida, les Hérauts, les Houloubalang, traversèrent le chemin devant le balcon, tous bien parés, montés chacun à sa façon, dans toute espèce de contenances. Lorsque les Grands eurent défilé, ce fut le tour des sujets, grands et petits.

Aucun n'agréa à la princesse. Après cette multitude parut Kimas Djioua, le fils adoptif du fabricant de toddy, Il était revêtu d'un ségara jaune à dessins comme du miel brillant, avec une ceinture de biaban vert, et un kris à poignée de corne de rhinocéros. C'était là tout son vêtement. Il portait des bracelets ornés de fleurs de semendarsah vert et de tchampaka; oint jusqu'au cou, laissant voir des dents semblables à la fleur (blanche) du sri-gading, et des lèvres pareilles à la feuille (rouge) du katéra, il était gracieux, charmant, doux, agile, élégant, sans pareil.

Quand la princesse aperçut ce jeune homme, il plut à son cœur et elle dit au ministre : « De qui est fils celui-ci? c'est lui qui plaît à mon cœur. Bon! répondit le ministre. Qu'importe de qui il soit fils, dès qu'il plaît à la princesse pour époux. » Alors il ordonna d'appeler Kimas Djioua, de le conduire à son propre logis, de le baigner, oindre et traiter convenablement. Puis il fit commencer les Veilles pour le mariage. Elles durèrent sept jours et sept nuits. Au moment favorable, le jeune homme fut conduit autour de la ville et enfin marié à la princesse Ouey-Kasouma. Les deux époux s'aimèrent tendrement.

Et c'est ainsi que le fils du fabricant de toddy devint Batara de Medjapahit, sous le nom de Sang Adji-Djaya-Ningrat. Quelque temps après, le fabricant de toddy vint le visiter: « Qu'est devenue, dit-il, la promesse du bien-aimé souverain envers moi? Puisque vous êtes devenu Batara de Medjapahit, ne dois-je pas être uommé Patih Aria-Gadjah-Mada? - Patientez, père, quelque temps encore, répondit le roi. Nous aviserons. » Le fabricant de toddy s'en retourna à sa maison.

Cependant Sang Adji-Djaya-Ningrat songeait dans son cœur : « Comment pourrais-je congédier le ministre ? Il n'a point commis de faute à mon égard. D'ailleurs il est comme le soutien de Medjapahit; sans lui le pays tomberait en ruines. Et cependant,

la promesse faite à mon père adoptif, comment la remplirai-je ?» Cette pensée préoccupait fort le prince, qui demeura trois jours sans sortir pour donner audience. Ce que voyant le ministre, il entra au palais, se présenta au roi et lui dit : « Quelle cause, Seigneur, vous a retenu ces trois jours derniers? Je ne suis pas bien portant, dit le Batara. — Mon sentiment, reprit le ministre, est que vous avez quelque peine. Veuillez m'en faire part. Peut-être y trouverai-je un remède. >>

<< Père, dit le Batara, je vais vous dire la vérité. Le fabricant de toddy n'est pas mon père. Je suis fils du roi de Tandjong-Poura, descendant du roi qui vint de la colline de Sagantang. Mon nom est Radin Koran-Langou.» Puis il redit en détail comment son père était allé se divertir à la mer, comment on avait fait naufrage, comment il avait été recueilli par le fabricant de toddy, comment celui-ci le plaisantait; enfin tout. «Et maintenant, ajouta-t-il, mon père adoptif demande l'exécution de ma promesse et veut que je le nomme à votre place. Voilà, mon père, ce qui fait mon souci. »

Patih Aria-Gadjah-Mada fut bien joyeux d'apprendre que le Batara était fils du roi de Tandjong-Poura. Le bruit en effet s'était répandu dans la terre de Java que ce prince avait perdu son fils. «Seigneur, dit-il, il sera bien que votre père adoptif me remplace. Je suis vieux, permettez-moi de me retirer.» Mais le Batara répondit : «Je ne veux point vous congédier. Le fabricant de toddy n'est pas en état de remplir vos fonctions. >> En ce cas, reprit le ministre, s'il revient demander l'exécution de la promesse, que votre Majesté lui parle ainsi : «En vérité, la charge de Patih Aria-Gajah-Mada est une haute dignité, mais pleine de traças. Peut-être y trouveriez-vous quelque difficulté. Il est une autre dignité non moins élevée et qui ne vous donnera pas les mêmes soucis: je mettrai sous vos ordres tous les fabricants de toddy de Medjapahit, et je vous donnerai un rang égal au rang du Patih Aria-Gadjah-Mada.» Votre père assurément sera satisfait, car il n'ignore pas les revenus que cela rapporte. C'est parfait, dit le Batara. Le Ministre prit

congé et se retira.

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