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les climats se modifient et, avec eux, l'habitat des animaux et l'horizon des plantes; que les nations se déplacent, qu'elles disparaissent ou qu'elles colonisent, qu'elles soient pauvres ou riches, vaincues ou conquérantes je ne dis pas que ces changements d'ordre divers n'aient leur contre coup dans l'enseignement de la géographie; mais en ce qu'elle a de propre, et par conséquent d'essentiel, elle sera beaucoup plus affectée par la mesure d'un nouvel arc de méridien, par la jonction géodésique de régions jusqu'alors isolées, par une bonne triangulation, par l'ascension d'une montagne auparavant inabordable, par l'exploration et le levé d'un territoire naguère inconnu, par les opérations de sondage d'un lac, d'une mer, d'un océan.

Voici, Messieurs, comment la première République française entendait l'organisation de son École des géographes: « Cette école est composée habituellement de 20 élèves, qui sont instruits et exercés aux opérations géographiques et topographiques, aux calculs qui y sont relatifs et au dessin de la carte. Pour entrer à cette école, il faut que les élèves aient fait leurs premières études à l'École polytechnique et subi un examen lorsqu'ils en sortent. Cet examen a, en général, pour objet les mathématiques pures et appliquées; mais il porte principalement sur l'astronomie géométrique, les deux trigonométries et le dessin de la carte. L'instruction des élèves est divisée en deux parties. La première consiste dans les opérations sur le terrain et l'autre dans le travail du cabinet. Les opérations sont : le figuré du terrain, les mesures géométriques, soit des angles, soit des bases; les observations astronomiques. Les travaux du cabinet sont les opérations graphiques relatives à la réduction et au dessin trigonométrique et les toisés. » Vous voyez que l'École nationale de Géographie formait des géographes de profession, observateurs, calculateurs et dessinateurs. Elle disparut en 1802. Nos écoles d'application, l'École spéciale militaire, l'École supérieure de guerre, se sont partagé son héritage. Il en est tombé bien peu de chose dans le domaine public, je veux dire dans le domaine de l'enseignement national.

Ce n'est pas, croyez-le bien, une critique que je formule. Le Lycée ou la Faculté ne peuvent ni adopter les programmes ni appliquer toutes les méthodes des Écoles spéciales. De plus, la géographie est telle qu'il est utile, qu'il est nécessaire d'en posséder les résultats, les grandes lignes et même un certain nombre de petits détails, avant que l'âge soit venu et que le développement des connaissances mathématiques aient permis d'en saisir les vrais éléments et les méthodes précises. L'enfant doit connaître les positions des continents et des mers sur le globe terrestre avant qu'il sache comment on calcule la longitude et la latitude; et pourtant il est clair que, sans ce calcul, mers et continents ne peuvent être ni situés ni dessinés. L'enfant récitera par cœur les altitudes des sommets des Alpes sans avoir la moindre idée, ni des opérations par lesquelles on arrive à déterminer les hauteurs, ni de l'approximation que comportent ces mesures dans les différents cas. L'enfant suivra, dessinera même le cours d'un fleuve sans se rendre compte des causes diverses qui ont fait ce cours tel qu'il est dans la nature et tel qu'il est représenté sur une carte. Aussi était-ce un adage scolaire de regarder l'étude de la géographie comme n'intéressant que la mémoire. A ce compte, ne valait-il pas mieux apprendre quelques beaux vers de plus? Toutefois l'intelligence des auteurs, celle de l'histoire, enfin la pratique même de la vie ordinaire, ne permettaient pas de sacrifier entièrement la géographie. On se résignait à l'enseigner quelque peu, et une formule bizarre la mettait, avec la chronologie, dans le cortège de l'histoire.

Le développement des sciences et de l'éducation scientifique a émancipé la géographie. Avant tout, le professeur doit aujourd'hui apprendre aux élèves à lire les cartes. Or, comment s'acquitterait-il de cette tâche s'il ignore comment on les lève et les construit ? Sans doute il n'est pas tenu absolument de savoir en lever et construire de ses propres mains, c'est là le domaine du géographe-dessinateur; mais il doit être au courant des principes de cette reproduction. Les cartes, en effet, ne sont pas des moulages. Elles représentent sur un plan ce qui est, en réalité,

une surface convexe dans son ensemble, accidentée de mille et mille façons dans ses détails. Il faut que le jugement scientifique d'abord, l'imagination ensuite, passent aisément d'une représentation nécessairement inadéquate, à la réalité. Si vous me dites que toutes les cartes sont inexactes, je conclurai que la géographie n'est pas une vraie science. Mais si vous me montrez comment cette inexactitude est réellement scientifique, par quels calculs, par quelles observations elle permet de retrouver facilement la véritable forme ou la véritable étendue des régions représentées, je comprendrai pourquoi telle projection a été choisie plutôt que telle autre, et ce qu'elle veut dire au juste.

Le géographe -dessinateur parti de la réalité, c'est-à-dire de la mesure et de la triangulation du terrain, aboutit à la représentation. Le professeur de géographie doit au moins, connaissant la représentation, remonter scientifiquement à la réalité. Quel n'est pas l'étonnement d'un écolier lorsque, ouvrant son atlas, il voit et compare un planisphère d'après la projection de Mercator, et une mappemonde séparée en deux hémisphères suivant la projection stéréographique? Cette comparaison ne saurait, à elle seule, que lui inspirer un profond scepticisme, ou du moins un grand embarras. Ici, l'Europe est aussi grande que l'Afrique; là, elle est deux fois plus petite. Ici, le Groënland a l'étendue de l'Europe; là, il n'en a plus que le tiers environ. Ici, l'Amazone est plus courte que le Youcon; là, elle est trois fois plus longue. Ici, le littoral asiatique de la mer Polaire est plus étendu que celui de l'océan Indien; là, il l'est moitié moins. Le visage le plus régulier est moins déformé par les miroirs convexes ou concaves que ne l'est le globe terrestre par la projection de Mercator. Reportez-vous maintenant au globe terrestre, c'est-à-dire à la réalité, ou du moins à ce qui s'en rapproche le plus, et vous constatez que ni la mappemonde ni le planisphère n'y sont conformes. Et cependant ces projections ne sont pas seulement très utiles, elles sont indispensables; mais il faut savoir s'en servir. « Ce bâton est courbé, ma raison le redresse dit le Fabuliste. La raison, ici, c'est la science des procédés

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scientifiques qui ont conduit du globe terrestre au planisphère et qui permettent de conclure exactement du planisphère au globe terrestre. Il est aussi nécessaire de bien raisonner sur des figures mal faites, en géographie qu'en géométrie.

La connaissance la plus répandue de la géographie est celle que l'on pourrait appeler la géographie narrative. Analogue aux récits des voyageurs, elle passe en revue les principales circonstances physiques des diverses régions, les limites, superficies, populations des États, leurs gouvernements, leurs divisions administratives, leur commerce extérieur; elle ne néglige par les mœurs de leurs habitants; elle emprunte à leur histoire tout ce qui est ou peut paraître géographique, et avant tout leur formation territoriale, leurs moyens de défense ou d'attaque militaires, leurs voies de communication. Depuis une vingtaine d'années environ, d'excellents livres et un enseignement sans cesse perfectionné ont fait pénétrer partout les notions de cet ordre. Mais si elles sont nécessaires à de futurs professeurs de géographie, elles ne sont pas suffisantes. De telles descriptions ont toujours des formes un peu vagues. Dès ses origines connues, dès le bouclier d'Achille, la géographie a ressenti le besoin de représentations visibles et directes, qui, tout d'abord arbitraires et purement imaginatives, sont devenues, par le progrès des sciences, assez précises pour procurer au navigateur, à l'ingénieur, au chef d'armée et au simple touriste des guides dont ils ne peuvent plus se passer.

Ainsi donc, Messieurs, la nature même de notre objet nous obligera (sans affecter une compétence qui ne nous appartient pas) à oublier pendant quelques leçons que nous sommes à la Faculté des Lettres. J'aurai à vous rappeler ou à vous faire connaître les notions astronomiques et mathématiques sur lesquelles est fondée la géographie savante. La figure de la surface terrestre, l'horizon, le mouvement diurne des astres, les divers mouvements de la terre, vous doivent être familiers pour concevoir nettement la détermination des lieux à la surface terrestre, la définition de la latitude et de la longitude, la posi

tion des tropiques du Cancer et du Capricorne, celle des cercles arctiques et antarctiques. Nous nous occuperons ensuite de la mesure de la Terre par celle du méridien; nous aurons le plaisir de voir à quel point, depuis Picard au xv.r° siècle jusqu'au colonel Perrier, notre contemporain, la géodésie a dû aux efforts des savants français. Nous dirons un mot de la question actuelle du premier méridien, qui préoccupe à si juste titre toute l'Europe. Nous passerons ensuite à la construction et à l'usage des diverses représentations de la Terre et de ses parties. La construction du globe nous permettra de poser divers problèmes pratiques relatifs à la transformation des longitudes, suivant le choix du méridien origine. Vous rapporterez une même position. aux méridiens divers du Pic de Ténériffe, de l'île de Fer, de Greenwich, de Paris.

Vous vous rendrez compte des distances par rapport aux coordonnées terrestres, et dans tous ces exercices pratiques vous trouverez l'occasion de revoir avec plus d'exactitude la nomenclature géographique telle que vous l'avez apprise dans l'enseignement secondaire.

Le calcul direct des surfaces déterminées par les quadrilatères vous permettra de suppléer aisément et intelligemment à la connaissance toute mnémonique des diverses superficies.

Le moment sera venu alors d'ouvrir vos atlas et d'apprendre les principes, les avantages, les inconvénients des diverses projections, qu'elles soient perspectives, ce qui est le cas le plus ordinaire, ou orthographiques, ou par développement.

Je me restreindrai, soyez-en sûrs, à ce qu'il vous est indispensable de connaître ; je crois qu'il y aura pour moi à insister sur le système cartographique de Bonne, suivi pour la carte de l'étatmajor français. Il ne faudrait pas croire que tous les procédés de projection aient été essayés: en effet, le nombre des procédés possibles est indéfini. Nous ne pourrons que signaler aux mathématiciens les beaux travaux d'Euler, de Delambre, de Lagrange, et tout récemment de M. Tissot, examinateur à l'École polytechnique. Tout ce qui nous appartient en pareille matière,

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