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le tourmenter quand il en achetait. Voyant que son influence n'avait pas d'action sur les volontés de son frère, elle cherchait tous les moyens de s'en venger sur les libraires qu'elle ne manquait pas de guetter lorsqu'ils venaient au presbytère. Nous faillîmes devenir une de ses victimes. Voici comment. Nous ayant une fois entendu sortir du cabinet de son frère, elle s'arma de la broche de la cuisine et nous attendit au passage, en nous menaçant d'en faire usage; comme elle semblait vouloir mettre son projet homicide à exécution, nous nous esquivâmes promptement, tout en nous félicitant d'être débarrassé de cette âme si peu charitable. Nous racontâmes l'aventure à son frère, qui en parut peu surpris, et qui ensuite ne nous introduisit dans sa bibliothèque que par une porte dérobée.

Une autre classe de collecteurs s'est produite de nos jours, qui a beaucoup contribué à la hausse des beaux livres; c'est celle qu'on désigne sous le nom d'amateurs, la plus dangereuse pour les bibliophiles, car on sait qu'elle lit très-peu, et qu'une bibliothèque n'est ordinairement pour elle qu'un complément indispensable d'ameublement. Favorisé des dons que procure la fortune, l'amateur peut se passer toutes les fantaisies; aussi le voit-on rarement se fixer, et n'aimer pas plus les livres que la faïence ou les cristaux. Ce qu'il lui faut, ce sont des distractions; c'est l'occasion de briller, d'être un homme à la mode dont les journaux puissent s'entretenir. L'hôtel des Ventes n'a pas d'habitué plus fidèle; il achète indistinctement des tableaux, des porcelaines, des antiquités, des médailles, des meubles précieux, quitte à les revendre plus tard à moitié perte. D'autres préfèrent jouer à la Bourse, ou achètent des hôtels, des chevaux, des voitures, voire même

une maîtresse. Ce sont ceux qui le plus souvent ont l caprice des livres, sans doute parce qu'ils espèrent y trouver des consolations à des déceptions amères. Ces amateurs redoutables sont la terreur des bibliophiles, dans les rangs desquels ils jettent la douleur et le découragement. C'est surtout lorsque l'un d'eux se trouve en concurrence avec un adepte, un pur ami des livres : il faut que celui-ci succombe, ou que, par un effort suprême, il fasse comme l'honorable M. Brunet qui, à l'âge de 75 ans, dans une lutte acharnée, a montré assez de courage pour payer 1,785 fr. le Télémaque de 1717 à la vente de son ami Parison, qui, lui, l'avait eu pour 30 fr. Il ne faut pas oublier que c'est l'exemplaire de Longepierre. Malgré cet énorme sacrifice et beaucoup d'autres supportés aussi vaillamment, ce grand bibliophile n'a pas toujours triomphé des obstacles qu'on lui a opposés, et il a essuyé plus d'une fois des défaites bien cruelles; la plus sensible de toutes peut-être et celle, à notre avis, qu'il doit le plus regretter, c'est celle du Montaigne de 1580 qu'il a poussé jusqu'à 526 fr., et qu'il a eu le chagrin de voir adjuger à 527 fr. Cependant ce beau volume, relié en vélin blanc aux armes de de Thou, et que nous avons eu le bonheur de palper, n'avait coûté que 11 fr. 55 c. à la vente de Firmin Didot, en 1811.

On voit que ce n'est pas sans combats que ces nobles martyrs de l'amour des livres cèdent le terrain, et certes nous pourrions signaler beaucoup d'autres actes d'héroïsme du même genre; mais à quoi bon! Il suffit que leurs défaites soient encore des triomphes, et qu'ils puissent s'écrier comme François Ier, après la bataille de Pavie: Tout est perdu, fors l'honneur!

Mais, à côté de ce tableau, il y a les tourments qu'en

durent les bibliophiles peu favorisés de la fortune et qui néanmoins ont les mêmes goûts et éprouvent les mêmes désirs que les riches bibliophiles et amateurs. Combien de fois en avons-nous vu souffrir et rentrer chez eux le cœur navré et le corps brisé! Il n'en est pas ainsi de l'amateur: aucune sensation ne trouble son âme; il ignore les palpitations que cause l'espoir de toucher un livre qu'on a longtemps rêvé et que l'on croit enfin posséder. Il ignore, le fortuné mortel,

...

Ces jours sans repos, et ces nuits sans sommeil,

qui agitent le bibliophile lorsqu'il apprend qu'un volume à la reliure de Chamillard ou de la Vieuville lui a échappé; et les coups de poignard qu'il reçoit lorsqu'on lui dit qu'un chasseur plus habile ou plus heureux que lui vient de trouver pour deux sous dans la boîte d'un bouquiniste une édition originale d'une comédie de Molière après laquelle il soupire depuis vingt ans. Pour comprendre de semblables émotions, il faut les avoir ressenties soi-même :

... On sait compatir aux maux qu'on a soufferts.

Il faut être initié à la bibliographie, cette fée bienfaisante qui a le secret d'émouvoir toutes nos facultés et qui console encore dans l'adversité.

On doit distinguer parmi les amateurs ceux qui ont du goût; ceux-là ne négligent rien pour donner à leurs collections le plus d'éclat possible; et l'on en voit souvent même de très-remarquables, et quelquefois d'un très-grand prix. Malheureusement, ce sont les moins nombreux; il s'en trouve d'autres qui, dominés par

une économie mal entendue, n'ont aucun respect pour leurs livres, et semblent au contraire les sacrifier à plaisir. Nous citerons pour exemple, parmi beaucoup d'autres, un acte de vandalisme dont le souvenir, quoique fort éloigné, est encore présent à notre mémoire. Un haut fonctionnaire de la finance avait une bibliothèque belle et nombreuse, décorée avec un certain luxe; mais les rayons offraient des inégalités qu'il ne pouvait pas toujours vaincre lorsqu'il voulait placer ses livres. Afin de remédier à cet obstacle, il eut la cruauté d'ordonner à son relieur de rogner 300 volumes in-8° jusqu'à ce qu'ils pussent entrer debout sur des tablettes disposées pour des in-12; le relieur suivit exactement ce qu'on lui avait prescrit. Nous eûmes la douleur de voir cette horrible profanation et de remarquer parmi les victimes la Biographie Michaud en 52 volumes, dont plusieurs lignes de texte avaient été enlevées par le ciseau du relieur. Le propriétaire était satisfait; tous ses livres étaient dans les tablettes.

FRANÇOIS.

MÉLANGES BIBLIOGRAPHIQUES ET ANECDC TIQUES.

Un des bibliophiles les plus ingénieux qu'il y ait eu dans notre siècle, Charles Nodier, se plaisait à écrire des notes en tête de ses livres. Une partie de ces notes se retrouve dans la Description raisonnée d'une jolie collection de livres, 1844 (in-8°); mais un très-grand nombre sont restées inédites. Un exemplaire, aux armes de de Thou, du Lucain, imprimé en Hollande en 1626, figure au catalogue Nodier, 1829 (et plus tard dans celui d'Aimé-Martin, 1847), avec l'indication qu'il porte une note autographe de son premier possesseur. Ayant obtenu une copie de cette note, nous croyons qu'on ne nous saura pas mauvais gré de la placer ici.

« Cette bonne édition, dit Nodier, est celle de 1626; un spéculateur en livres curieux fit du chiffre 2 un zéro, afin que l'édition eût l'air d'avoir paru en 1606, ce qui permettait d'attribuer les nombreuses notes marginales à Jacques-Auguste de Thou, mort en 1626; le volume a fait partie de la bibliothèque posthume de de Thou, que ses héritiers continuèrent d'enrichir avec zèle. Quant aux notes manuscrites, elles sont plus précieuses que si elles étaient de la main de de Thou, car elles émanent d'un philologue encore plus instruit. Il ne m'a pas été difficile de reconnaître l'écriture du savant Guiet, dont je possède l'Oppien, avec sa signature et des notes. Cet érudit laborieux et modeste, qui a tant écrit et qui a si peu publié, est peut-être l'unique commentateur qui ait osé signaler, comme devant être retranchés, des passages entiers dont il regardait le style comme défectueux, et qu'il considérait ainsi comme des interpolations. L'existence de cet exemplaire inappréciable est attestée par le témoignage de Bayle, qui dit que Guiet laisse un Lucain qu'il avait annoté. Le presque infaillible M. Weiss fut trompé en écrivant avec un y le nom de ce savant dans la Biographie universelle. Bayle a écrit Guyet, mais peut-être y a-t-il là une erreur typographique, car, dans l'édition de 1697, l'article se trouve placé entre Guichenon et Guillemette. Cette erreur d'orthographe ou de placement a

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