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c'eft une qualité commune à tous les corps de frémir ainfi: montrez-moi donc, reprends-je, ce frémiffement dans les autres corps; ou du moins fa caufe dans cette corde? Je ne puis, réplique le fourd: mais parce que je ne conçois pas comment frémit cette corde, pourquoi faut-il que j'aille expliquer cela par vos fons, dont je n'ai pas la moindre idée ? C'eft expliquer un fait obfcur par une caufe encore plus obfcure. Ou rendez-moi vos fons fenfibles, ou je dis qu'ils n'exiftent pas.

Plus je réfléchis fur la penfée & fur la nature de l'efprit humain, plus je trouve que le raifonnement des Matérialiftes reffemble à celui de ce fourd. Ils font fourds, en effet, à la voix intérieure qui leur crie d'un ton difficile à méconnoître: Une machine ne pense point; il n'y a ni mouvement ni figure qui produife la réflexion. Quelque chofe en toi cherche à brifer les liens qui le compriment l'efpace n'eft pas la mefure; l'Univers entier n'eft pas affer grand pour toi; tes fentimens, tes defirs, ton inquiétude, ton orgueil même ont un autre principe que ce corps étroit dans lequel tu te fens enchaîné.

Si l'ame eft immatérielle, elle peut furvivre au corps; & fi elle lui furvit, la providence eft juftifiée. Quand je n'aurois d'autre preuve de l'immatérialité de l'ame, que le triomphe du méchant, & l'oppreffion du jufte en ce monde, cela feul m'empêcheroit d'en douter. Une fi choquante diffonance dans l'harmonie univerfelle me feroit chercher à la réfoudre. Je me dirois : tout ne finit pas pour nous avec la vie, tout entre dans l'ordre à la mort. J'aurois à la vérité l'embarras de me demander, où eft l'homme, quand tout ce qu'il avoit de fenfible eft détruit. Cette question n'eft plus une difficulté pour moi, fi-tôt que j'ai reconnu deux fubftances. Il est très-fimple que durant ma vie corporelle, n'appercevant rien que par mes fens, ce qui ne leur eft point foumis m'échappe. Quand l'union du corps & de l'ame eft rompue, je conçois que l'un peut fe diffoudre & l'autre fe conferver. Pourquoi la deftruction de l'un entraîneroit-elle la deftruction de l'autre Au contraire, étant de natures & différentes, ils étoient, par leur union, dans un état violent; & quand cette union ceffe, ils rentrent tous deux dans leur état naturel. La fubftance active & vivante regagne toute la force qu'elle employoit à mouvoir la fubftance paffive & morte. Hélas! je le fens trop par mes vices; l'homme ne

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vit qu'à moitié durant fa vie, & la vie de l'ame ne commence qu'à la mort du corps. (Emile. T. III.)

Quant à la façon de penfer des Juifs fur l'ame, cette Nation favoit qu'en créant l'ame, Dieu l'avoit faite à fon image & l'avoit animée de fon foufle. Preuve qu'elle étoit d'un ordre fupérieur à la matiere & qu'elle repréfentoit (au moins dans certaines bornes ) la fpiritualité & l'éternelle durée de fon principe. Les Juifs nignoroient pas qu'il y avoit pour les juftes d'autres récompenfes & une partie meilleure que celle du fiécle préfent; mais ce Peuple étant inappliqué, diftrait & groflier, Moïfe ne leur parloit prefque jamais que des menaces temporelles; de façon que la Philofophie fi noble qui roule fur l'ame, étoit peu approfondie par le vulgaire; mais les Prêtres, les Principaux de la Nation & même ceux du Peuple, qui pouvoient élever tant foit peu leurs idées, méditoient ce Dogme important.

JESUS-CHRIST nous apprend que fi Dieu prenoit pour fon titre dans les Livres Saints, le nom de Dieu d'Abraham, d'Ifaac & de Jacob, c'est à caufe que ces faints hommes font toujours vivans devant lui, & que Dieu n'est pas le Dieu des morts. Salomon avoit écrit, avant que notre Sauveur eut parlé, que comme le corps retourne à la terre dont il est né, l'efprit retourne à Dieu qui l'a fait. Daniel avoit parlé d'un tems, où ceux qui dorment dans la pouffiere des tombeaux fe réveilleront, les uns pour la vie éternelle, & les autres pour une éternelle confufion, afin de voir toujours. (Voyez l'Eccléfiafte cap, XII. v. 7. & Daniel chap. XII. v. 2. & 3.)

Ces paffages prouvent, que le Dogme de l'immortalité de l'ame eft antérieur chez les Juifs à la fondation d'Alexandrie; & puifque Salomon & Daniel en parloient, il falloit que ce fut un point capital de la Doctrine des Juifs. Les difputes fur un Dogme ne font pas une preuve, que ce Dogme n'ait toujours été en vigueur dans une Nation; comme les Sophifmes de Spinofa & des Spinofftes n'empêchent pas, que les Hollandois n'aient toujours cru l'existence de Dieu.

AMITIÉ.

Portraits de cette vertu.

L'ingénieux Auteur de la Gazette Littéraire a donné de

juftes éloges au morceau plein de chaleur & de vie, qui eft à la tête de l'article AMITIÉ; mais il n'eft pas neuf, & on le trouve en partie dans l'éloge de M. d'Agueffeats par M. Thomas. Rapportons les deux paffages.

» L'amitié, dit M. de V., eft un contract tacite entre >> deux perfonnes fenfibles & vertueufes. Je dis fenfibles; >> car un Moine, un Solitaire peut n'être point méchant & >> vivre fans connoître l'amitié. Je dis vertueufes; car les » méchans n'ont que des complices; les voluptueux ont >> des compagnons de débauches, les intéreffés ont des » affociés, les politiques affemblent des factieux, le com>> mun des hommes oififs a des liaisons, les princes ont » des courtifans, les hommes vertueux ont feuls des amis.»

» L'amitié, dit M. Thomas, eft faite pour le fage; les » cœurs vils & corrompus n'y ont aucun droit. L'Homme » puiffant a des efclaves, l'homme riche a des flâteurs, >> l'homme de génie a des admirateurs, le fage seul a » des amis.

Ces deux morceaux prouvent que les Modernes ne font pas auffi fecs fur l'amitié que le prétend M. de V. Eftil poffible qu'il n'ait pas lu le chapitre des effais de Montaigne où il peint dans fon vieux & énergique langage les fentimens vifs & tendres, dont il fut animé jufqu'à la mort pour M. de la Boetie, cette moitié de lui-même, qui lui fit couler des jours fi heureux ? Si je compare le refte de ma vie, dit-il, aux quatre années que j'ai joui de fa douce fociété, ce n'eft que fumée; ce n'eft qu'une nuit obfcure & ennuyeufe. Depuis le jour que je le perdis je ne fais que trainer & languir. Les plaifirs même qui s'offrent à moi, au lieu de me confoler, redoublent le regret de fa perte. Nous étions de moitié de tout, & il me femble que je ne fuis plus qu'à demi.

Les amitiés communes, on peut les partager. On peut aimer dans l'un la beauté de la figure dans l'autre la facilité des mœurs, dans celui-ci la générofité, dans celui-là les liens du fang; mais cette amitié qui poffede l'ame & qui la commande en fouveraine, il eft impoffible qu'elle foit double.

Comparer à l'amitié l'affection envers les femmes, c'est la confondre & la mal définir. Son feu, je l'avoue, eft plus actif, plus ardent, mais c'eft un feu téméraire & volage, feu de fiévre fujet à fes accès & à fes rélaches & qui ne tient qu'à une partie. Dans l'amitié, c'est une chaleur gé

nérale & univerfelle, tempérée pourtant & égale; une chaleur conftante & raffife; toute douce, toute polie, qui n'a rien d'apre & de piquant.

C'est ainsi que Montaigne fentoit l'amitié ; c'est ainfi qu'il la peignoit & je l'ai affoibli, en voulant reduire fon ftile énergique, mais furané, à la diction corre&te, mais foible de nos jours. Nos Poëtes nous fourniroient des traits auffi frappans fur l'amitié. Ouvrons la Fontaine, le Poëte des graces & quelquefois celui du cœur, & nous y trouverons à la fin de la Fable des deux amis:

Qu'un ami véritable eft une douce chofe !
Il cherche vos befoins au fond de votre cœur ;
Il vous épargne la pudeur

De les lui découvrir vous-même ;

Un fonge, un rien, tout lui fait peur
Quand il s'agit de ce qu'il aime.

Nous trouverons encore dans la Henriade une peinture très-forte de l'amitié, telle que Henri IV la fentoit.

Il aimoit non en Roi, non en maître févere,
Qui permet qu'on afpire à l'honneur de lui plaire,
Et de qui le cœur dur & l'inflexible orgueil
Croit le fang d'un fujet trop payé d'un coup d'ail,
Henri, de l'amitié fentit les nobles flammes;
Amitié, don du Ciel, plaifir des grandes ames ;
Amitié que les Rois, ces illuftres ingrats,
Sont affez malheureux pour ne connoître pas !

Voici un autre morceau fur l'amitié non moins admirable :

Pour les cœurs corrompus l'amitié n'est point faite,
O divine amitié! felicité parfaite,

Seul mouvement de l'ame où l'excès foit permis,
Change en bien tous les maux où le Ciel m'a foumis
Compagne de mes pas dans toutes mes demeures,
Dans toutes les faifons & dans toutes les heures
Sans toi tout homme eft feul; il peut par ton apui,
Multiplier fon être & vivre dans autrui.
Idole d'un cœur jufte, & paffion du fage,
Amitié, que ton nom couronne cet ouvrage;
Qu'il préfide à mes vers comme il regne en mon cœur ;
Tu m'appris à connoître, à chanter le bonheur.

Il est bien furprenant que le Poëte qui a enfanté de fi beaux vers fur l'amitié, fe plaigne que nous ne parlons qu'avec fechereffe de cette vertu des grandes ames, de cette confolation de notre vallée de larmes. S'il étoit permis de citer les Auteurs facrés, après des Ecrivains profanes, nous dirions que l'Eccléfiaftique (C. VI. y. 16.) appelle l'amitié un remede de vie & d'immortalité, & ce trait fublime la peint parfaitement. L'amitié opére en effet dans la vie civile, ce que l'arbre de vie du Paradis terreftre promettoit pour la vie naturelle; elle répand fes douceurs fur le peu d'inftans malheureux, que nous paffons dans ce monde; elle nous donne l'immortalité après la mort, en nous gravant dans le fouvenir des amis que nous laiffons fur la terre.

Il y a un emblême fur l'amitié, qui la repréfente d'une maniere très heureuse. C'est une jeune femme fimplement & noblement vêtue d'une robe blanche. Son côté gauche eft découvert, & elle montre de la main droite fon cœur avec ces mots en lettres d'or de loin & de près. Sa tête nue eft entourée d'une couronne de fleurs de grenade, d'où l'on voit fortir quatre de fes fruits avec ces paroles: Hiver & Eté. Le bas de fa robe eft entourée de ces deux mots: la vie & la mort. La déeffe embraffe de la main gauche un ormeau fec entouré d'un fep de vigne.

Cet emblême, fruit du cœur autant que de l'imagination, trace tous les devoirs de l'amitié. C'eft une jeune femme, pour montrer qu'elle ne doit jamais vieillir, la fimplicité & la blancheur de fa robe expriment cette franchife ingénieufe & fincere qui doit l'accompagner. Son côté gauche découvert indique le fiége du cœur toujours ouvert aux amis; elle le montre de la main droite pour inviter à y entrer. La premiere devife, de loin & de près, n'a pas befoin d'explication. Sa tête nue apprend aux amis, qu'ils ne doivent avoir rien de caché l'un pour l'autre, La couronne de fleurs de grenade a toujours été le fimbole de la parfaite amitié. Sa couleur qui ne change point peint l'ardeur & l'immortalité d'une tendreffe légitime. Les quatre fruits de grenade repréfentent les quatre fources de l'amitié, qui naît de la force de l'inclination, des devoirs du fang, des intérêts de la même profeffion & de l'union pour les biens céleftes. Il n'eft pas befoin d'avertir que les deux mots Hiver & Eté marquent fa conftance dans l'adverfité & la profpérité, repréfentées

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