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» n'avoue que la République des Lettres lui eft bien rédé»vable. » Etoit-ce donc là l'idée qu'on devoit donner du plus dangereux ennemi de la Religion; d'un homme qui, dans le deffein de l'attaquer avec plus d'avantage, a pris le parti d'attaquer en même tems la certitude de toutes les yérités? Il n'en eft aucune, foit hiftorique, foit dogmatique, qu'il ne veuille rendre douteufe, ou par des objections particulieres, ou par des principes généraux répandus dans tous fes Ouvrages. Il n'y a point d'Ouvrages où le poifon foit plus habilement préparé. Cet amas d'une vaine érudition qui y eft étalé, eft l'appas qui attire & féduit tant de perfonnes. D'ailleurs il faut avouer que Bayle eft très-favant dans l'art de former des objections, & qu'il a dans le plus haut degré le funefte talent de répandre des nuages fur les vérités les plus claires, & d'infinuer des doutes fur les chofes les plus certaines & les plus évidentes.

» Esprit fubtil, adroit, souple & fufceptible de toutes les » formes. Il n'y avoit point de matiere, dit l'Abbé Houte»ville, fi abftraite qu'elle fut, où il ne pénétrât. La nature » l'avoit fait Métaphyficien; il avoit joint à ce talent, qui » n'en fouffre gueres d'autre, un fçavoir étendu, curieux

& choifi. Cependant ces grandes qualités avoient un » défaut. M. Bayle cherchoit plutôt à multiplier qu'à lever »nos doutes. Il ne vouloit que renverser & jamais établir;

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femblable en quelque forte à ces conquérans, qui ne >> laiffent après eux que des ruines. Je n'ignore pas qu'on >iroit à rien de folide, s'il étoit interdit de propofer libre»ment les objections fpécieuses & éblouiffantes qu'on peut » oppofer à la vérité. Elles font au contraire très-utiles » elles fervent à confirmer ce que l'on fçait & à l'éclaircir; » elles fourniffent des occafions de nouvelles. ouvertures » ou des moyens d'ajouter aux anciennes. Mais on diroit » que M. Bayle avoit un autre deffein; qu'il vouloit nous >> faire entrer en défiance de toutes nos lumieres, nous » rendre même la raifon fufpe&te; & à force de nous pro» mener dans les espaces du pour & du contre, nous faire » un Problême de l'un & de l'autre. Les Sophifmes d'un » Philofophe d'éclat font des démonftrations pour certains » efprits, & il eft à propos qu'un autre Philofophe leur » découvre l'erreur. » C'eft ce que firent plufieurs Écrivains Catholiques & même proteftans; car l'impiété de M. Bayle étoit aufli odieufe aux uns qu'aux autres.

On connoit le portrait qu'en a tracé M. Saurin dans le troifieme Vol. de fes Sermons, mais celui qu'en a fait M. le Clerc dans fa Bibliothèque ancienne & moderne, tom. 8, eft moins connu & ne lui eft pas plus favorable. Voici comme il s'exprime sur son sçavoir & fur fes connoiffances. Nous rapportons ce paffage avec d'autant plus de plaisir, qu'il eft d'un homme qui avoit beaucoup vécu avec Bayle, & qu'on ne foupçonnera pas d'avoir écrit par fanatifme. >> M. Bayle ne fçavoit qu'un peu de Cartéfianifme & point » du tout de Géométrie, puifqu'il avouoit n'avoir jamais »pu comprendre la démonftration du premier Problême » d'Euclide, & qu'il a même voulu ergoter fur fes vieux » jours contre l'évidence des démonftrations mathémati>>ques. En fait de raifonnement, il ne fuivoit que la pro» babilité, & raisonnoit à tout moment ad hominem, fans >> aucun autre principe, & fans d'autre deffein que d'em>> barraffer les Lecteurs peu éclairés. Il y a infiniment » plus de verbiage en fon fait que de raifonnement folide. >> Il n'avoit lu aucun livre de Philofophie expérimentale des » Anglois, dont plufieurs avoient paru long-tems avant fa » mort, ni aucun des Livres de raisonnement de la même >> Nation, excepté quelques-uns de ceux qui avoient été >> traduits. Il ne fçavoit pas plus de Théologie que ce qu'il >> pouvoit en avoir appris dans fon catéchifme & dans les » prédications ou dans quelque livre des François. Il n'avoit » jamais étudié l'antiquité Eccléfiaftique, & très-médiocre»ment la Grecque & la Romaine. Le Droit & la Médecine » étoient des lettres clofes pour lui. Il avoit quelque con »noiffance de l'Hiftoire des derniers fiécles, fur-tout par » rapport à la France & à la vie de quelques gens de >> Lettres, fouvent affez obfcurs. Il avoit pris beaucoup de >> peine à rechercher mille vetilles littéraires & mille cir>> conftances de néant. Il faut avouer qu'il écrivoit avec »beaucoup d'agrément, mais c'étoit feulement quand it » n'étoit pas en colere. »

Qu'on examine ces différens portraits, & qu'on voye fi M. de Voltaire a eu raifon d'appeller Bayle l'éternel honneur de la raifon humaine. Il est bien étrange que les Proteftans ayant défavoué Bayle & l'ayant même condamné, un homme qui fe dit Catholique tâche non-feulement de le justifier, mais qu'il lui prodigue encore à tout propos les éloges les plus outrés. M. de Voltaire et fort en colere contre le Confiftoire qui condamna le Dictionnaire de

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Bayle (Voyez fon article PHILOSOPHE); mais fçait-il toutes les raifons qui le porterent à faire cette démarche. On peut les voir dans les Mémoires fournis par cette Compagnie. 1. Les principales étoient les obfcénités qui font répandues à pleines mains dans ce Dictionnaire. 2. La fatire injufte qu'il fait de toutes les actions du Roi David. 3. Les raifons qu'il fournit au Manichéisme & au Pyrrhonifme, deux héréfies monftrueufes dont l'une eft la deftructon de la Providence & l'autre l'extinction de toute Religion. 4. Les louanges outrées qu'il donne aux Athées & aux Epicuriens, affoibliffant par-tout la néceffité de croire un Dieu, une Providence, & même une vie à venir, par rapport à l'avantage de la fociété civile & à la réformation des mœurs. 5. Les allufions indignes qu'il fait à plufieurs expreffions de l'Ecriture Sainte, en parlant de chofes obfcénes. 6. L'affectation marquée de donner un air de fupériorité à toutes les objections des Impies & des Hérétiques fur les raifons de ceux qui les ont réfutés.

Voila les motifs qui firent anathématifer Bayle. Quel homme oferoit les condamner? Il fe peut que quelques Miniftres agirent contre lui par animofité, mais dans ce cas-là la vengeance produifit une très-bonne chofe, & fit les fonctions de la Justice.

BÊTES.

Danger de la Doctrine qui égale l'Homme à la Bête.

Le Démon dit à nos premiers Peres par l'organe du ferpent: vous ferez comme des Dieux. Il a dit depuis à leurs enfans par l'organe des impies: vous ferez comme des bêtes, & c'eft ce que fait l'Auteur du Dictionnaire Philofophique. Il égale les bêtes à l'homme, pour que l'homme puiffe vivre comme elles, puifqu'il meurt, felon lui, de la même maniere. Si un tel fyftême ne flatte pas l'amour propre; il eft du moins très-favorable à la fenfualité. Promettre aux hommes la mort des bêtes, c'eft leur en permettre la vie. Plus l'incrédule aura d'efprit, plus il fentira que cette conféquence est jufte & folide & s'il ne l'avoue pas, c'eft qu'elle marqueroit une ame groffiere & brutale.

La maxime qu'il faut vivre comme les bêtes eft, dans le fyftéme des Athées, une de ces vérités qui n'ont que le premier afpect de révoltant. Si la Philofophie orgueilleufe les rejette; la Philofophie voluptueufe y ramene.

Le Philofophe aura beau dire, qu'il préfére les plaifirs de l'efprit à ceux des fens; on n'en croira rien; il fe peut faire qu'il veuille unir ces deux plaifirs, mais extrême en tout, il s'ufera & s'épuifera par cette union. Les Epicuriens modérés & délicats font très-rares, même parmi les Philofophes.

Le fyftême, que l'homme n'a rien au-deffus de la bête, engage non-feulement dans le vice; il peut encore entraîner au crime. La pensée du néant effraye très-peu les fcélérats. Il est donc très-important pour la fociété, que les méchans ne regardent pas leur ame comme celle des animaux, & la mort comme un anéantiffement. Il faut qu'ils joignent la crainte d'une autre vie aux craintes temporelles, qui les agitent & fouvent les retiennent. Affoiblir cette crainte, c'est détruire les fortifications d'une place qu'on habite; c'est appeller par cette destruction les brigands qui voudront s'en emparer.

Que pourroit répondre un Matérialiste millionaire à un homme qui le rencontreroit dans un bois & qui lui demanderoit la bourfe, fi cet homme lui difoit: Monfieur, je n'ai rien à attendre dans l'autre monde & je fuis affez miférable dans celui-ci, tandis que vous regorge de bien: il faut de Pégalité parmi les hommes, puifque vous l'avez prêché fi fou vent; elle ne fera point dans l'autre vie, à laquelle vous me dites de ne pas croire ; qu'elle foit donc dans celle-ci entre vous, & moi. Promettez-moi la moitié de votre coffre-fort, ou je vous coupe la gorge. Apparemment que l'Auteur du Dic tionnaire Philofophique n'a pas été dans le cas; mais s'il y eft jamais, nous penfons qu'il aime affez fes intérêts pour changer de Logique.

Ce dogme du Matérialisme est en effet le plus pernicieux & le plus inconféquent, quand on aime fa tranquillité & fa fûreté. On ne peut regarder les Matérialistes, que comme des aveugles qui méconnoiffent leur propre intérêt, ou comme des furieux, qui fe laiffent emporter par leur haine contre la Religion.

TOUT

EST BIEN.

Refutation de ce Systême.

M. de V. a réfuté le fyftême de Pope, par des raifons philofophiques; mais il a mêlé à fon ordinaire à quelques bonnes réflexions, des impiétés révoltantes, au fujet de l'ori

gine du mal. Nous n'examinerons point ces difficultés mille fois répétées & dont on trouve les réponses les plus fatiffaifantes dans l'article Manichéisme du Dictionnaire des Héréfies. Nous renvoyons le Lecteur à cet Ouvrage, contens de difcuter ici en peu de mots les erreurs de Pope.

Ce Poëte prétend que Dieu dans la création a choifi le plan le plus parfait. Il fuivroit de-là que Dieu ne pourroit rien créer; parce qu'il n'eft aucun plan poffible qui n'en fuppose de plus parfaits encore. Dieu agit toujours d'une maniere infiniment parfaite; fon motif eft digne de fa fageffe fuprême; mais fes œuvres extérieures pourroient acquérir de nouveaux degrés de perfection. Pope le nie; le monde, l'homme, tout eft parfait.

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Ne foutenez donc plus que l'homme eft imparfait ;
Le Ciel l'a formé tel qu'il doit être en effet.
Tout annonce en lui la sagesse profonde
Du Dieu qui l'a créé pour habiter ce monde.
Un état plus parfait ne lui conviendroit point...
Tout défordre apparent eft un ordre réel;
Tout mal particulier, un bien univerfel.
Et bravant de tes fens l'orgueilleufe impofture,
Conclus que tout eft bien dans toute la nature.
Que fi vous condamnez dans vos injuftes vœux
L'arrangement du monde, où le crime eft heureux
Suivons pour un moment votre aveugle manie
Des Juftes feulement compofons un Empire.

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Pope y trouve encore plus d'inconvénient & il conclut, tout est bien comme il eft. Il traite de téméraires ceux qui ofent defirer plus d'ordre & de vertu. Examinons ce refpect fingulier pour les ouvrages du Seigneur.

Oui, tout est bien dans le genre physique, du côté de Dieu. Chaque Étre corporel a fon caractere d'utilité & de beauté. Une harmonie intime les unit; depuis les aftres jusques à l'infecte, regne un rapport admirable. Quand même nous ne le connoîtrions pas clairement, nous devons le croire, l'adorer. Ce rapport entre effentiellement dans le plan d'un Dieu juste. Ce qui dans la nature paroît fléau, défordre, eft un ordre réel. Le Créateur eft auffi admirable dans les tempêtes , que dans le calme dans les ouragans qui ravagent nos campagnes, que dans les rofées qui les abreuvent dans les bêtes nuifibles ou féroces, dans les plantes vénimeufes, que dans les animaux domestiques,

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