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hommes, que la passion de l'argent, et, dans les àmes élevées, que la rivalité des honneurs et de la gloire, rivalité qui bien des fois a fait d'amis intimes des ennemis implacables. Une autre cause de ruptures graves, et ordinairement légitimes, c'est qu'on demande à un ami des choses contraires à l'honnêteté, comme d'être ministre de débauches ou complice d'injustices. S'il s'y refuse, et bien qu'il ait raison d'agir ainsi, en le voyant résister, on l'accuse de manquer aux devoirs de l'amitié; car oser réclamer de pareils services, c'est déclarer par cela même qu'on les rendrait à l'ami à qui on les demande; on se plaint donc du refus qu'on essuie; et non seulement s'éteignent ainsi les plus anciennes amitiés, mais naissent des haines éternelles. Il y a tout autour de l'amitié, concluait-il, tant d'écueils que, pour les éviter tous, il faut tout autant de bonheur que de sagesse.

CXXV

(Tom. III, p. 291.)

Mais le plus souvent on pousse l'injustice, pour ne pas dire l'impudence, au point de vouloir ses amis tels qu'on ne saurait être soi-même et d'exiger d'eux ce que soi-même on ne leur accorde pas. L'équité, au contraire, veut que nous commencions par être hommes de bien et qu'alors nous cherchions quelqu'un qui nous ressemble. C'est entre des hommes vertueux seulement que peut s'établir cette constance en amitié dont nous parlons depuis longtemps: unis par la bienveillance, ils commanderont aux passions dont les autres sont esclaves, aimeront l'équité et la justice, entreprendront tout l'un pour l'autre, ne se demanderont jamais rien de contraire à l'honneur et au devoir, et tout en s'aidant, tout en s'aimant, se témoigneront un respect mutuel. Bannir le respect de l'amitié, c'est la priver de son plus bel ornement. Il y a donc une funeste erreur chez ceux qui pensent que l'amitié autorise le libertinage et tous les excès. La nature nous l'a donnée pour être l'appui de la vertu, et non la complice du vice, afin que la vertu, qui seule ne pourrait s'élever aux suprêmes hauteurs, y par

eorum est habendus ad summum naturæ bonum optimus beatissimusque comitatus.

Cic., De amicit., 22.

CXXVI

La grandeur d'âme.

Omnino fortis animus, et magnus, duabus rebus maxime cernitur: quarum una in rerum externarum despicientia ponitur, quum persuasum sit, nihil hominem, nisi quod honestum decorumque sit, aut admirari, aut optare, aut expetere oportere; nullique neque homini, neque perturbationi animi, nec fortunæ succumbere. Altera est res, ut, quum ita sis affectus animo, ut supra dixi, res geras magnas illas quidem, et maxime utiles, sed et vehementer arduas, plenasque laborum et periculorum, tum vitæ, tum multarum aliarum rerum, quæ ad vitam pertinent. Harum rerum duarum splendor omnis et amplitudo, addo etiam utilitatem, in posteriore est; causa autem, et ratio efficiens magnos viros, est in priore. In eo enim est illud, quod excellentes animos, et humana contemnentes facit.Id autem ipsum cernitur in duobus, si et solum id, quod honestum sit, bonum judices, et omni animi perturbatione liber sis. Nam et ea, quæ eximia plerisque et præclara videntur, parva ducere, eaque ratione stabili firmaque contemnere, fortis animi magnique ducendum est; et ea, quæ videntur acerba, quæ multa et varia in hominum vita fortunaque versantur, ita ferre, ut nihil a statu naturæ discedas, nihil a dignitate sapientis, robusti animi est, magnæque constantiæ.

CXXVII

Cic., De offic., I, 20.

Tenons-nous en à notre naturel, pourvu qu'il ne soit pas vicieux, si nous voulons atteindre à la bienséance.

Admodum autem tenenda sunt sua cuique, non vitiosa, sed tamen propria, quo facilius decorum illud, quod quæri

vint en s'unissant, en s'associant à elle; et ceux pour qui existe, a existé, ou existera cette alliance, doivent la considérer comme la meilleure des associations pour arriver au souverain bien.

CXXVI

(Tom. II, p. 295.)

En général une âme forte et grande se reconnait principalement à deux marques : l'une est le mépris des biens extérieurs avec la conviction qu'en dehors du devoir et de l'honneur l'homme n'a rien à admirer, à désirer ou à rechercher, qu'il ne doit pas dépendre d'autrui, de la passion ou de la fortune; l'autre est cette complexion morale, dont j'ai déjà parlé, qui nous porte à accomplir les actions les plus grandes et les plus utiles malgré les obstacles difficiles, les travaux nombreux et les dangers qui nous menacent dans notre vie et dans tout ce qui nous intéresse le plus vivement. De ces deux qualités, la dernière a pour elle tout l'éclat, tout l'honneur, j'ajouterai même l'utilité; mais le principe même, la raison qui fait les grands hommes est dans la première. Car c'est par elle que l'âme s'élève en dédaignant les choses humaines. Ellemême d'ailleurs se reconnaît à ces deux caractères: ne juger bon que ce qui est honnête et s'affranchir de toute perturbation de l'âme. Compter, en effet, pour peu de chose ce qui aux yeux de la plupart des hommes a du prix et du brillant, avec une raison ferme et constante mépriser ces biens-là, voilà ce qui doit être regardé comme le propre d'une âme forte et grande; et supporter les maux de la vie, tous les coups de la fortune, sans rien perdre de la tranquillité naturelle, de la dignité du sage, telle est la marque d'une âme vigoureuse et inébranlable.

CXXVII

(Tom. III, p. 296.)

Chacun de nous fera bien de suivre ses inclinations naturelles, pourvu qu'elles ne soient pas vicieuses : c'est le

mus, retineatur. Sic enim est faciendum, ut contra universam naturam nihil contendamus; ea tamen conservata, propriam naturam sequamur: ut, etiam si sint alia graviora atque meliora, tamen nos studia nostra nostræ naturæ regula metiamur. Neque enim attinet repugnare naturæ, nec quidquam sequi, quod assequi nequeas. Ex quo magis emergit, quale sit decorum illud, ideo, quia nihil decet invita (ut aiunt) Minerva, id est, adversante et repugnante natura. Omnino si quidquam est decorum, nihil est profecto magis, quam æquabilitas universæ vitæ, tum singularum actionum quam conservare non possis, si aliorum naturam imitans, omittas tuam. Ut enim sermone eo debemus uti, qui notus est nobis, ne, ut quidam, græca verba inculcantes jure optimo irrideamur : sic in actiones, omnemque vitam, nullam discrepantiam conferre debemus... 1

Quæ contemplantes expendere oportebit, quid quisque habeat sui; eaque moderari, nec velle experiri, quam se aliena deceant. Id enim maxime quemque decet, quod est cujusque maxime suum. Suum igitur quisque noscat ingenium, acremque se et bonorum et vitiorum suorum judicem præbeat: ne scenici plus, quam nos, videantur habere prudentiæ. Illi enim non optimas, sed sibi accommodatissimas fabulas eligunt. Qui voce freti sunt, Epigonos, Medumque; qui gestu, Menalippam, Clytemnestram; semper Rupilius, quem ego memini, Antiopam; non sæpe Æsopus Ajacem. Ergo histrio hoc videbit in scena, non videbit vir sapiens in vita? Ad quas igitur res aptissimi erimus, in iis potissimum elaborabimus. Sin aliquando necessitas nos ad ea detruserit, quæ nostri ingenii non erunt omnis adhibenda erit cura, meditatio, diligentia, ut ea, si non decore, at quam minimum indecore facere possimus. Nec tam est

(1) Cicéron donne ici plusieurs exemples d'hommes qui, placés dans une même situation, n'auraient pas eu à agir de la même manière par suite de la différence des caractères.

moyen le plus facile de conserver cette bienséance quenous cherchons. Il ne faut jamais se mettre en opposition avec le caractère général de l'homme; mais, en le respec-tant, suivons notre propre caractère bien qu'il y ait des. occupations plus importantes et plus belles, taillons les. nôtres à la mesure de notre esprit. Rien ne sert d'aller contre la nature et de poursuivre ce que l'on ne saurait atteindre; et ce qui nous montre le mieux ce que c'est que la bienséance, c'est le proverbe qui dit qu'il n'y a rien de bienséant de ce qui se fait malgré Minerve, c'est-à-dire malgré la nature et en dépit d'elle. En effet, s'il est quelquechose de bienséant, rien assurément ne l'est plus qu'unevie toujours conforme à elle-même, sans aucune action qui la démente; mais vous n'arriverez pas à cette conformité si, pour imiter le caractère d'autrui, vous délaissez le vôtre. De même que pour parler nous devons nous servir de la langue qui nous est particulière pour ne pas mériter le ridi cule que s'attirent les gens qui y mêlent sans cesse des mots grecs, dans nos actions, dans notre vie entière, il ne doit y avoir aucune disparate...

En réfléchissant à tout cela, que chacun se rende comptede son propre caractère et qu'il le règle sans vouloir s'essayer en celui des autres; ce qui nous sied le mieux est précisément ce qui est en nous. Connaissons notre naturel, soyons juges clairvoyants de nos défauts et de nos qualités, et ne nous laissons pas surpasser en bon sens par les comé-diens. Ils choisissent non pas les rôles les plus beaux, mais les rôles qui répondent le mieux à leurs aptitudes. Celui qui a beaucoup de voix préfère jouer les Épigones ou Médus; celui qui brille par le geste aime mieux Ménalippe et Clytemnestre; Rupilius, dont je me souviens, avait une prédilection pour Antiope; Esopus ne jouait pas souvent Ajax. Le discernement que l'acteur montre pour la scène, le sage ne l'aura-t-il donc pas pour la vie? C'est à ce pour quoi nous avons le plus d'aptitude que nous devons avant. tout nous appliquer. Mais si parfois la nécessité nous impose une occupation qui n'est pas de notre ressort, em

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