Immagini della pagina
PDF
ePub

rature; les auteurs enchérissent l'un sur l'autre à qui les exprimera d'une manière plus forte; et chaque effort les éloigne davantage de la simplicité. La société sourit à cette espèce de fantasmagorie morale qui l'amuse; mais malheur à qui, prenant au sérieux ces sentiments de convention, s'avise de les pratiquer! La société rit tout bas des dupes qui ont voulu mettre en action dans la vie ordinaire cette morale ardente et passionnée qui n'est bonne que dans les cabinets de lecture. Elle fait avec la morale ce que faisaient avec la religion les abbés, esprits forts du dixhuitième siècle, qui raillaient l'Eglise et qui en vivaient; elle fait ce que fait le public, qui, au théâtre rit du mariage, et qui se marie. Si même quel qu'un manque trop visiblement à la morale dans ses actions, la société lui applique sans hésiter les pénitences du Code pénal; elle le punit d'avoir cru aux pa radoxes qu'elle encourage, et, chose remarquable, elle le punit souvent plus qu'elle ne le désapprouve, surtout si le coupable a l'esprit de ne pas se repentir et de payer d'effronterie. L'effronterie, à nos yeux. touche à la grandeur; tant en perdant le goût du vrai, on perd en même temps le sentiment du grand! Un criminel qui sait faire effet n'est presque plus coupable; le crime disparait dans la curiosité que l'homme inspire; et si nous le condamnons en cour d'assises, nous en causons dans les salons avec tant d'intérêt, que la célébrité lui tient presque lieu d'innocence.

» Comment expliquer ce singulier état d'une société qui n'est pas vicieuse, et dans laquelle pourtant on réussit parfois mieux en affectant le vice qu'en le cachant; d'une société où le goût et la recherche du mal sont plutôt encore une manie littéraire qu'une maladie morale ? Vous vous souvenez du temps où, dans le Festin de Pierre, le jeune et hardi Don Juan, las de voir son siècle lui faire un crime de ses passions, se décide à prendre le masque de l'hypocrisie comme étant la plus sûre et la plus commode manière d'être impunément libertin. Don Juan se fait l'élève de Tartufe, ce saint homme aux pieuses paroles et aux modestes regards. Cette hypocrisie de Don Juan est, comme celle de Tartufe, un hommage involontaire rendu je ne dis pas aux mœurs,

mais du moins aux opinions morales de leur siècle. Tartufe, en effet, est naturellement libertin, impie, effronté; mais le temps et le goût de son siècle ont fait qu'il a compris que, pour réussir, il fallait paraître honnête homme.

[ocr errors]

De nos jours tout est changé : ce n'est pas Don Juan qui prend le rôle de Tartufe, c'est Tartufe, au contraire, qui prend celui de Don Juan. Tartufe a des passions ardentes et vives; il s'en fait gloire, loin de les cacher. Il y joint un peu de paradoxe et de galimatias. Mais qu'il prenne garde de vouloir pratiquer ses maximes; qu'il ne s'avise pas de vouloir agir comme il parle; la morale bourgeoise, ou, si vous voulez, le vieil Orgon, veille cachée sous la table et se lève pour l'arrêter dans ses emportements. Elle ne veut de Don Juan qu'au théâtre; elle le redoute et le réprime dans le monde; singulière contradiction que Don Juan ne com. prend pas - Eh quoi! dit-il, ce que j'ai voulu faire une fois, je l'ai dit cent fois, et vous m'avez applaudi! C'est vrai. J'ai ri cent fois de la fidélité des femmes et de l'honneur des maris, et vous avez ri avec moi ! C'est vrai.

Je me suis fait le défenseur des jeunes filles qui se croient sacrifiées et des jeunes gens de génie qui se trouvent méconnus, et vous m'avez encouragé ! - C'est vrai.

Pourquoi donc aujourd'hui, gens bizarres que vous êtes, pourquoi cette secrète répugnance que je sens contre moi? pourquoi ce délaissement que je ne comprends pas?

Je vais vous le dire, Don Juan, mais je ne sais pas si vous me comprendrez : Le monde vit et se soutient à l'aide de la dernière vertu qui reste aux peuples raisonneurs, l'inconséquence. Les hommes choisissent leurs femmes autrement que leurs heroines, et leurs gendres autrement que leurs prophètes; ils sont plus sages dans leurs affaires que dans leurs idées. Voulez-vous réussir Don Juan? soyez toujours un drame ou un poème, ne soyez jamais un homme à établir; sinon, M. Dimanche lui-même, que vous railliez si bien autrefois, M. Dimanche se moquera de vous, aujourd'hui surtout que M. Dimanche est électeur, député ou ministre, et que vous, de votre côté, vous n'êtes plus gentilhomme, puisqu'il n'y en a plus,

et que vous êtes seulement homme de génie, puisqu'il y en a tant.

. Au raffinement de pensées et de sentiments, qui est la suite inévitable de la marche de la littérature, vient ordinairement s'ajouter, à certaines époques, une autre cause d'altération : je veux parler de l'imitation des littératures étrangères.

» Lorsque les littératures se font vieilles, elles se mettent à imiter, croyant par là se rajeunir. Mais l'imitation est une pauvre ressource. Elle a de plus l'inconvenient d'augmenter cette séparation de la société et de la littérature, qui est la plaie des littératures. Que voulez-vous. en effet, que devienne l'esprit français, habitué depuis le seizième siècle à la netteté d'idées et de sentiments qui fait son caractère national, quand il se trouve tout-à-coup jeté dans la misanthropie chagrine du génie anglais ou dans le mysticisme rêveur du génie allemand ? Il peut bien un instant, par mode ou par manie, se faire mélancolique et rêveur; mais il ne le sera jamais, quoi qu'il fasse, que du bout des lèvres. Il aura beau mettre des larmes dans ses yeux et des sanglots dans sa voix, écheveler son front, pâlir son visage, tout cela ne sera que pour le théâtre. pour le roman, et peut être aussi pour quelques boudoirs. Mais l'esprit français perce à travers ces grimaces de tristesse; je sens que ces pleureurs répètent une leçon qu'ils ont apprise; il y a dans leurs gémissements je ne sais quelle 'ironie qui n'est pas même amère. La misanthropie anglaise médite dans Sterne sur la mort et sur les misères de la vie; le misanthrope français gourmande les vices de l'humanité; Alceste s'irrite plus qu'il ne s'attendrit; il est satirique et point mélancolique; il a surtout horreur des fausses douleurs et des faux désespoirs, et il oppose gaie ment à ces langueurs amoureuses la vieille chanson de Ma mie, ôgué! Voila l'esprit français. toujours simple, ferme et vrai, même dans sa misanthropie. Sa mauvaise humeur tourne à la colère plutôt qu'à la tristesse. Aussi les sentiments qu'il emprunte à l'Angleterre ou à l'Allemagne ne sont pour lui qu'un exercice littéraire; il n'en fait usage que pour écrire et point pour vivre ;

son imagination s'en occupe et s'en amuse, son caractère les repousse ; il les revêt comme un costume de théâtre, et les dépose de même.

Le professeur passe à l'analyse des causes morales qui ont amené le désordre qu'il a indiqué entre les pensées et les actions entre les idées et les mœurs. Il signale la faiblesse actuelle des caractères, faiblesse qui tient surtout à l'idée que nous avons de la force des passions à laquelle nous croyons aussi dévotement et aussi commodément qu'à la force des choses, ce grand mot de notre temps et notre dernière superstition.

Avec de pareils caractères, dit-il, les passions devraient avoir beau jeu; mais j'ai déjà dit comment elles se sont elles mêmes affaiblies. La civilisation les a amollies et tempérées; elle a énervé à la fois le bien et 'le mal. Cependant il y a là un effet à étudier; effet d'autant plus curieux, que c'est dans la littérature surtout qu'il s'est fait sentir.

[ocr errors]

La faiblesse n'exclut pas la violence et l'ardeur. C'est ce qui arrive aux passions de notre temps. Comme elles sont encore plus dans le cerveau que dans le cœur, elles s'agitent plas qu'elles n'agissent; elles se remuent même d'autant plus qu'elles ne trouvent, pour les contenir, ni règle, ni contre-poids. La littérature s'y est trompée, elle a pris leurs soubresauts pour un signe d'énergie. D'ailleurs la littérature de nos jours ne se donne guere le temps d'observer, parce qu'elle est pressée d'écrire; et, de plus, elle est presque tout entière entre les mains des jeunes gens; car il n'y a plus, diton, que les jeunes gens qui fassent des livres; l'âge mûr fait ses affaires. Or les jeunes gens aiment les passions, ils les aiment d'autant plus qu'ils croient que leur passion d'aujourd'hui sera leur passion de demain. La littérature, sous leurs auspices, a donc choisi, parmi les moments du cœur humain les plus passionnés, ceux où l'homme tout entier penche d'un seul côté ; et elle a cru que ces courts et passionnés instants étaient l'état ordinaire de l'âme humaine. A ces passions faibles et fugitives, mais ardentes et effrénées, elle a prêté de la force et de la durée; elle les a repré sentées comme étant toujours ce qu'elles

sont quelquefois. Comment la littérature d'ailleurs ne s'y serait elle pas trompée La société elle-même s'y trompe souvent; elle se croit plus énergique qu'elle ne l'est, parce qu'elle se sent, à certains instants, une force capable de tout, force trompeuse, dont l'expérience lui révèle la vanité aussitôt qu'elle veut agir, mais dont l'illusion est toute-puissante quand l'événement n'oblige pas à mettre cette force à l'épreuve; et cela arrive bien des fois dans la vie des peuples et des hommes. »

45. Paris. Sorbonne. Ouverture du cours de littérature allemande, par M. Philarete Chasles. M. Philaréte Chasles traite cette année des antécédents de la Réforme et de la Renaissance. L'invention de l'imprimerie lui sert de point de départ, et il descendra jusqu'au triomphe populaire des réformateurs. Cette époque est courte, mais féconde c'est l'origine des sociétés nouvelles, c'est le berceau de l'esprit moderne. Après avoir énoncé les vues générales qui dominent son cours, après avoir évoqué quelques-uns des grands noms qui feront le sujet de son enseigne ment, M. Philarėte Chasles a continué à peu près ainsi :

Nous nous occuperons d'un temps barbare et d'un peuple que les Méridionaux voyaient avec autant de terreur que de mépris. Mais quelle barbarie, Messieurs, que celle qui invente l'imprimerie et la poudre à canon! De quelques grains de poudre noire on fait sortir la foudre; elle détruit la guerre, sous nos yeux, par la facilité même de tuer. Quelques morceaux de bois, noircis dans un caveau d'Allemagne, assurent l'éternité de l'idée ..

A peine l'imprimerie est elle inventée que toute l'antiquité, endormie dans les monastères, s'éveille et reparaît éclatante. L'Italie avait fait l'éducation de l'Europe; l'Allemagne paie sa dette. Les forces contraires des races se balancent ainsi, et leur guerre incessante tourne au profit de l'humanité.....

Mais l'humanité était-elle heureuse alors? Non, Messieurs; elle grandit dans la souffrance. Les fers de Christophe Colomb, le bûcher de Svoanarole, la pauvreté de Guttemberg, de nobles cœurs brisés,

d'amères injustices se présenteront à nous. C'est une des plus consolantes missions d'une époque impartiale, et qui achète un peu cher, au prix de l'indifférence, cette impartialité tardive de rendre leur couronne à toutes les victimes, leurs justes honneurs à toutes les

vertus.

» Nous nous arrêterons assez peu sur les querelles théologiques; en revanche, nous étudierons beaucoup la querelle éternelle des races, les progrès de la science, et le nouveau combat livré à l'antiquité ressuscitée par l'ignorance tapie dans ses asiles antiques. A la vue de tant de mouvements, nous dirons, avec Philippe Sidney, qui revenait de la Flandre, alors insurgée contre le duc d'Albe : C'est l'esprit de Dieu ! Il est invincible. Oui! il est invincible, ce souffle redoutable, qui emporte les peuples et les races, les heurtant les unes contre les autres, abîmant ceux-ci, faisant disparaître ceux-là, et s'embarrassant peu des morts partielles, pourvu que la vie générale suive son cours immense et triomphal. A certaines heures, le souffle est plus impétueux et le flot plus pressé, la houle plus dure et le ciel plus sombre. Mais le courage et la confiance en Dieu ne doivent pas fléchir. (Applaudissements.)

nous

» Dans cette crise du quinzième siècle expirant, au milieu de cette douleur et de cette fécondité universelle, devons chercher quelle fut la spéciale fécondité des peuples germaniques... Nous l'observerons de près, et sans perdre de vue leur constante lutte avec le monde romain. N'entendez-vous pas, dès l'origine de nos annales modernes, ce frémissement féroce des populations teutonnes, l'anathème d'Arminius et de Caradoc, du Germain et du Breton contre Rome?.... Et comment les Italiens, de leur côté, auraient-ils supporté ces races farouches, au pied de fer, au jargon sauvage, âmes insatiables, esprits durs, inhabiles à prononcer la dolce favella de l'Ausonie, et qui, comme Dante le leur reproche, ne savaient dire que cric et croc: ces hommes qui venaient monter la garde, l'arbalète à la main, au pied de l'Apollon Masagėte? Comment les Germains n'auraient-ils pas méprisė races souples et vieillissantes, qu'elles accusaient de perfidie parce

ces

'qu'elles étaient ingénieuses de mollesse, parce qu'elles aimaient le plaisir, et de lâcheté parce qu'elles adoraient les arts. Cette horreur mutuelle n'a jamais disparu. Un Allemand se charge d'écouter aux portes du Sacré Palais, et d'écrire, jour par jour, les infamies de son maître.... Il accomplit cette œuvre avec délices. Deux siècles et demi plus tard, un autre Allemand déterre le vieux manuscrit, en déchiffre les pages souillées, se délecte en étudiant les crimes du Midi et prend la peine de les publier. Ce sont Burckhardt et le grand Leibnitz. Le peintre allemand Lucas Kranach ne trouve sur sa palette que des couleurs sinistres et des traits difformes pour peindre les hommes de l'italie. Il leur prête le front bas, le poil hérissé, l'œil fauve, tous les caractères de la laideur, et ce qui est pis, la laideur de la bassesse. Quant à ces chers Allemands, ce sont tous de nobles et candides visages, aux cheveux flottants et blonds, robustes comme Hercule et beaux comme le dieu du jour.

» Il y avait là quelque ingratitude, car l'éducation allemande se faisait par l'italie; nous verrons les élèves transformer les leçons des maîtres jusqu'à les rendre méconnaissables et chaque génie conserver son' empreinte originelle. Le troubadour Peyrols a-t-il imaginé un doux refrain:

La musique et l'amour sont les fleurs

de la vie !

› Le Minnesinger allemand qui traduit cette chanson lui donne pour ritournelle d'autres paroles bien diffé

rentes:

O ma vie ! ô ma vie ! hélas ! sitôt passée ! T'ai-je vécue... ou bien t'ai-je rêvée ?

..... Les amers sourires de la vieillesse voltairienne percent déjà sous le ciel d'Italie, quand le moine Théophile Folengo compose, avec des débris de latin de cuisine, le macaroni de ses poésies burlesques. En effet, héritière intellectuelle des Martial et des Pétrone, héritière de leur espirt comme de leurs vices, la brillante Italie, dans celte seconde jeunesse de sa décrépitude renouvelée, ne pouvait partager ni la rêverie naïve, ni la foi admirative et enfantine des races du Nord. A la

[ocr errors]

même époque, les princes d'Italie et d'Allemagne traitaient bien diverse. ment les professions libérales; parexem ples, l'édit d'un empereur allemand confère aux avocats le titre de prêtres de la loi, aux médecins le titre non moins glorieux de confesseurs du corps humain. Vers le même temps, le duc de Milan, Sforza, forcé d'accommoder un différend soulevé entre ces deux professions, leur adressa le compliment que voici (les avocats disputaient aux médecins les honneurs du pas dans une procession solennelle) : — J'ordonne, dit le prince, que les bourreaux (les médecins) restent derrière; les voleurs (les avocats) ouvriront la marche. C'est plus que de la satire; vous croyez retrouver un fragment perdu, et l'un des plus cruels fragments de Candide. Les vieilles civilisations en sont là; elles aiment singulièrement les arts, à condition d'en rire, et elles cultivent les sciences sans respecter beaucoup les savants. (Rires et applaudissements.)

L'invention de Guttemberg ouvre toute une époque, nous en commençons une autre. Nous marchons aujourd'hui armés des conquêtes dues aux temps qui nous précédent; dans le monde, rien ne se perd. En étudiant les débris, les traces, les monumen's d'une crise violente qui n'est pas en analogie avec la nôtre, nous reconnaîtrons quelques Chez Sadolet et Bembo, un peu de unes de nos douleurs personnelles. l'affaiblissement élégiaque des modernes, ailleurs quelque chose de la colère ardente de Jean-Jacques et de la fureur lyrique de lord Byron..... Les contemporains de Luther, de Maximilien et de Guttemberg ne pensaient

ils pas que leur grande œuvre, leur œuvre caractéristique et souveraine, était l'œuvre théologique ? Ils se trompaient. Leur création féconde, leur gloire, leur marque distinctive entre tous les siècles, c'est l'imprimerie.

Ainsi chaque âge est avengle sur lui-même. En ouvrant ces tombeaux, pour y chercher les grands ossements blanchis» des révolutions passées, nous leur demanderons ce qu'il faut croire des commotions modernes. Pense-t-on beaucoup aujourd'hui, dites-moi, à cet événement imprévu, le vieux centre caché de l'immobile Asie, qui s'ouvre

[ocr errors]

à nos yeux, et l'isolement séculaire de la Chine, brisé par l'Angleterre? Voici le monde slave qui apparaît à l'horizon, l'Orient qui se dévoile, le globe entier qui s'aplanit: et la race saxonne qui peuple l'Amérique, dans la proportion gigantesque de 1 à 30, en moins de quinze ans. Ne sont-ce pas là les formidables semences qui préparent le monde futur?

Étudions donc le passé, Messieurs, sans en faire une lettre morte. Nous allons voir cette année la fureur théologique du quinzième siècle, La haine des races, la volupté au midi, la brutalité au nord jouer une terrible et dramatique comédie . . . . .

Gardons-nous, auraient dit les sages » de ce temps, de la sanglante férocité des croyances! » - Gardons-nous, » diraient aujourd'hui les sages, du mépris de l'intelligence, du brutal de ⚫ l'étude sérieuse, du découragement de l'indifférence et des lâches mol» lesses du scepticisme. Conquérants

de la matiere par la pensée, gardons> nous de follement soumettre la pen» sée à la matière conquise! Que l'expérience et l'érudition ne soient » pas un fanal inutile, allumé sur la » poupe du navire, n'éclairant que les flots qui sont derrière nous, sans > instruction et sans lueur pour l'ave »nir!»

» Ce sera profiter de l'expérience, Messieurs, de ne pas devenir trop com. plètement Teutons en étudiant les œuvres teutoniques, et de ne pas imiter de trop près ces respectables érudits qui se crurent forcés de quitter leurs noms de famille et d'en demander de nouveaux à Rome et à la Grèce......... Pour nous, observateurs attentifs, impartiaux, studieux, des variations que la pensée étrangère a subies dans les temps anciens, échappons au puéril pédantisme qui se laisserait absorber par elles..... Qu'on ne me demande jamais si je serai Italien ou Teuton, si j'aurai une bannière, et si je la planterai sous le soleil ou sur les glaces; camp sur le Rhin ou sur l'Adige! A défaut de mon propre bon sens, le bon sens de la France me le défendrait.

un

D Et si un attrait de curiosité ardente m'entraîne et vous entraîne avec moi, Messieurs, dans les régions les plus reculées et les plus obscures du monde

germanique; si nous consacrons ensemble, à ces investigations charmantes et neuves, l'étude la plus attentive, ne croyez pas que ma pensée prétende sacritier jamais la grande discipline et le goût raffiné des races latines auxquelles nous appartenons, à ce charme que je comprends, que j'aime, que j'apprécie, au charme sérieux et passionné des races teutoniques. Je suis de mon pays, je suis, comme vous, Messieurs, comme furent nos pères, comme seront nos fils, tant qu'il y aura une France, curieux et avide de m'assimiler ces deux génies, de les comprendre, peut-être de les dominer, sans les détruire, en les appréciant sainement. Le propre, la force, la beauté de l'esprit français, c'est de corriger ces deux génies l'un par l'autre. Il s'assouplit à tout et ne s'asservit à rien. (Applaudissements.) Il conserve sa charte primitive et inaliénable, raillant avec finesse ce qui dépasse les proportions du goût dont il a le dépôt et le secret, et disciplinant avec une sévère élégance les conquêtes qu'il épure et qu'il consacre. 11 adopte l'Espagne dans Corneille, la Grèce avec Racine, l'hébraïsme chez Bossuet, l'Angleterre avec Montesquieu. touche aux deux zones. Mme de Staël, elle-même, cette demi - Allemande, que, par un étrange pronostic, le baptême chrétien avait nommée Germaine, a trouvé naguère parmi nous son char de triomphe tout prêt et ses justes admirateurs. Capable de tous les enthousiasmes, mais accessible à toutes les ironies, l'esprit français n'en reste pas moins entouré de ses légitimes enfants, et appuyé sur eux, les caustiques et impitoyables jugeurs, qui se nomment Montaigne, Molière et Labruyère; ce sont là ses vrais ministres, et les représentants intimes de sa pen. sée.... Pour moi, je conserverai cette place médiatrice de la France, respectuense et hospitalière pour tous, arbitre intelligente et libre, propagatrice admirable des impressions et des idées, merveilleux et souple instrument de la civilisation européenne !

[ocr errors][merged small]
« IndietroContinua »