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du temps, et des plus simples rapports qui nous font apercevoir si facilement la vérité des premiers principes, comme : le tout est plus grand que sa partie.

5. Il y a au contraire bien de l'apparence que notre âme se donne à elle-même les idées ou perceptions des choses qu'elle ne peut connaître que par raisonnement, comme sont presque toutes les lignes courbes.

Mais, de quelque manière que nous ayons ces idées, nous en sommes toujours redevables à Dieu : tant parce que c'est lui qui a donné à notre âme la faculté de les produire, que parce qu'en mille manières qui nous sont cachées, selon les desseins qu'il a eus sur nous de toute éternité, il dispose par les ordres secrets de sa Providence toutes les aventures de notre vie, d'où dépend presque toujours que nous connaissons une infinité de choses que nous n'aurions pas connues s'il les avait disposées d'une autre sorte.

CHAPITRE XXVIII.

Diverses réflexions sur ce que dit l'auteur de la Recherche de la Vérité : Qu'on ne peut être entièrement assuré de l'existence des corps que par la foi.

Je pensais en demeurer là; mais, ayant travaillé sur un autre endroit de la Recherche de la Vérité, qui a beaucoup de rapport à sa philosophie des idées, puisque la considération du monde intelligible, du soleil intelligible, des espaces intelligibles, fait une des principales preuves de ce qu'il y veut établir, j'ai cru devoir ajouter ici les raisons qui m'ont toujours empêché de pouvoir être de son sentiment.

Il est question de savoir, dans l'endroit que je prétends examiner, si on peut être assuré par la raison de l'existence des corps; ou si on n'en peut être entièrement assuré que par la foi.

C'est ce qu'il traite dans un de ses Éclaircissements, qui a pour titre : « Qu'il est difficile de prouver qu'il y a des corps, << et ce que l'on doit penser des preuves que l'on apporte de «<leur existence. >>

Il y loue d'abord M. Descartes de ce que, « voulant établir << sa philosophie sur des fondements inébranlables', il n'a <«< pas cru pouvoir supposer qu'il y eût des corps, ni devoir « le prouver par des preuves sensibles, quoiqu'elles parais<< sent très-convaincantes au commun des hommes. Apparem<«<ment il savait, aussi bien que nous, qu'il n'y avait qu'à << ouvrir les yeux pour voir des corps; et que l'on pouvait << s'en approcher et les toucher, pour s'assurer si nos yeux << ne nous trompaient point dans leur rapport. Il connaissait << assez l'esprit de l'homme, pour juger que de semblables << preuves n'eussent pas été rejetées. »

Notre ami aurait pu en demeurer là, et il aurait bien fait; mais il passe bien plus loin; car il prétend que cela ne se peut démontrer par la raison, lors même qu'on a recours à ce que dit M. Descartes, que Dieu n'est point trompeur, et qu'il le serait s'il nous donnait tant de divers sentiments à l'occasion des corps qui nous environnent, et de celui que nous croyons uni à notre âme, sans qu'il y eût dans le monde que Dieu et notre esprit. Il prétend qu'avec tout cela nous pourrions et nous ferions bien de ne point assurer qu'il y a des corps, et que nous ne pouvons en être entièrement assurés que par la foi.

« Quoique M. Descartes 2, dit-il, ait donné les preuves les « plus fortes que la raison toute seule puisse fournir pour << l'existence des corps : quoiqu'il soit évident que Dieu n'est << point trompeur, et qu'on puisse dire qu'il nous tromperait «< effectivement, si nous nous trompions nous-mêmes en fai<< sant l'usage que nous devons faire de notre esprit, et des « autres facultés dont il est l'auteur: cependant on peut dire

'Page 497.

2 Ibid.

« que l'existence de la matière n'est point encore parfaite«ment démontrée. Car enfin, en matière de philosophie, << nous ne devons croire quoi que ce soit, que lorsque l'évi«<dence nous y oblige. Nous devons faire usage de notre << liberté autant que nous le pouvons. Nos jugements ne doi<< vent pas avoir plus d'étendue que nos perceptions. Ainsi, <«< lorsque nous voyons des corps, jugeons seulement que << nous en voyons, et que ces corps visibles ou intelligibles <«<existent actuellement. Mais pourquoi jugerions-nous positi<«<vement qu'il y a au dehors un monde matériel semblable <«< au monde intelligible que nous voyons? » Et un peu plus bas « Pour être pleinement convaincu qu'il y a des corps, <«< il faut qu'on nous démontre non-seulement qu'il y a un <«< Dieu, et que Dieu n'est point trompeur, mais encore que <«< Dieu nous a assuré qu'il en a effectivement créé : ce que « je ne trouve point prouvé dans les ouvrages de M. Des« cartes. Dieu ne parle à l'esprit et ne l'oblige à croire << qu'en deux manières, par l'évidence et par la foi. Je de<< meure d'accord que la foi oblige à croire qu'il y a des <«< corps mais, pour l'évidence, il me semble qu'elle n'est « point entière, et que nous ne sommes point invincible<«<ment portés à croire qu'il y ait quelque autre chose que << Dieu et notre esprit. Il est vrai que nous avons un pen«< chant extrême à croire qu'il y a des corps qui nous envi«<ronnent. Je l'accorde à M. Descartes; mais ce penchant, << tout naturel qu'il est, ne nous y force point par évidence: <«< il nous y incline seulement par impression. Or, nous ne <«< devons suivre dans nos jugements libres que la lumière << et l'évidence, et si nous nous laissons conduire à l'im<<< pression sensible, nous nous tromperons presque toujours. » Et après avoir rapporté un raisonnement pour prouver l'existence des corps, il ajoute : « Ce raisonnement est peut<«< être assez juste1; cependant il faut demeurer d'accord

Page 499 et 500.

<«< qu'il ne doit point passer pour une démonstration évi«dente de l'existence des corps. Car enfin Dieu ne nous << pousse point invinciblement à nous y rendre. Si nous y «< consentons, c'est librement : nous pouvons n'y pas con<«< sentir. Si le raisonnement que je viens de faire est juste, << nous devons croire qu'il est tout à fait vraisemblable <«< qu'il y a des corps mais nous ne devons pas en de<< meurer pleinement convaincus par ce seul raisonnement. «< Autrement, c'est nous qui agissons et non pas Dieu en << nous. C'est par un acte libre, et par conséquent sujet à «<l'erreur, que nous consentons, et non par une impression <<< invincible; car nous croyons, parce que nous le voulons << librement, et non parce que nous le voyons avec évidence. << Certainement il n'y a que la foi qui puisse nous convaincre « qu'il y a effectivement des corps. On ne peut avoir de << démonstration exacte de l'existence d'un autre être que « de celui qui est nécessaire. Et si l'on y prend garde de « près, on verra bien qu'il n'est pas même possible de con<< naître avec une entière évidence si Dieu est ou n'est pas << véritablement créateur d'un monde matériel et sensible; <«< car une telle évidence ne se rencontre que dans les rap<< ports nécessaires : et il n'y a point de rapport nécessaire <«<< entre Dieu et un tel monde. Il a pu ne le pas créer : et << s'il l'a fait, c'est qu'il l'a voulu, et qu'il l'a voulu librement.»> Trouvez bon, Monsieur, que je fasse trois ou quatre réflexions sur ce qu'il prétend prouver qu'il n'y a que la foi qui nous puisse assurer qu'il y a des corps, et sur les preuves qu'il y emploie.

PREMIÈRE RÉFLEXION.

Il est bien étrange qu'il ne se soit pas aperçu, que demeurant dans les principes qu'il a établis en cet endroit, il est impossible qu'il ait rien démontré de tout ce qu'il avance dans son Traité de la Nature el de la Gráce. Car il ne dit point qu'il ait appris par révélation de Dieu ces grandes maximes;

sur lesquelles tout ce Traité roule : « Que si Dieu veut agir << au dehors, c'est qu'il se veut procurer un honneur digne « de lui qu'il agit par les voies les plus simples; qu'il n'agit « point par des volontés particulières, mais par des volontés <«< générales qui sont déterminées par des causes occasion<«< nelles. » Il n'a point entrepris de rien prouver de tout cela par l'Écriture et, s'il avait cru le pouvoir faire, il aurait dû dire qu'il le savait par la foi, et non pas qu'il l'a démontré.

1

Or, il ne peut pas dire qu'il y ait un rapport plus nécessaire entre Dieu et ces manières d'agir, qu'entre Dieu et la création du monde; car, quoiqu'il dise quelquefois que les lois de la nature sont constantes et immuables, il est obligé de reconnaître en d'autres endroits que la loi de la communication des mouvements 2 « n'est point essentielle à Dieu, << mais arbitraire qu'il y a des occasions où ces lois géné<< rales doivent cesser de produire leur effet; et qu'il est à «< propos que les hommes sachent que Dieu est tellement << maître de la nature, que s'il se soumet aux lois qu'il a éta«< blies, c'est plutôt parce qu'il le veut que par une nécessité <<< absolue. >>

Il n'a donc pu rien démontrer de toutes ces maximes, qui sont le fondement de tout ce qu'il a de particulier dans son Traité, s'il est vrai, comme il le prétend dans cet endroit que nous venons de rapporter, qu'il n'est pas possible de connaître avec une entière évidence si Dieu est ou n'est pas véritablement créateur du monde matériel et sensible; parce qu'une telle évidence ne se rencontre que dans les rapports nécessaires, et qu'il n'y a point de rapport nécessaire entre Dieu et un tel monde, qu'il a pu ne pas créer; car il a pu aussi ne pas agir par des volontés générales, déterminées par des causes occasionnelles; et par conséquent il n'y a point de rapport nécessaire entre Dieu et cette manière d'agir. Ier Disc., Ire Part., §. 18.

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