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lui-même ne fut jamais qu'un clerc que l'étude amena à la contemplation et non à l'apostolat . Quelques docteurs, quelques curieux, beaucoup de religieux vinrent auprès de lui; la foule ne semble pas l'avoir connu. Longtemps sa pensée de progrès et de perfection mystique restera enfermée dans l'ombre des cloîtres 2. Ceux qui, enfin, l'ap

dia « Ordo Eremitarum (l'ordre définitif, plus haut encore dans la hiérarchie que celui des moines), erit ferocior et ardentior quam ordo monachorum (Rousselot, Études, p. 114). » Les « hommes spirituels », les << parvuli » dont il parle souvent, peuvent être les moines de Flore, dissidents de Citeaux, et qu'il voulait ramener à la règle primitive abandonnée par les « Grands Cisterciens ». Il ne faut donc pas voir, dans les mots de grands » et de « petits » une signification sociale comme l'a fait Rousselot.

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1. Après une jeunesse agitée, il eut une crise morale à la suite de laquelle il fit un pèlerinage; à son retour, il se trouva dans la situation de tous les réformateurs laïques ; il voulait faire connaître sa pensée et n'avait pas de mission régulière. Il n'eut pas le courage irréfléchi d'un Waldez ou d'un François d'Assise : « Rendensi populo devotione plurima Dei verbum audienti disseminavit, et pullulantes in eo simultantes ferventi concione sedavit. Ast in agro dominico uberiores fructus indices se producere comperiens, scrupulositate quadam turbatus fuit: metuit siquidem absque praevia episcopi ordinatione praedicationis exercere, expavescens ne in illum apostolica comminatio caderet, cum ait: Quomodo praedicabunt nisi mittantur. » Biogr. par Greco, AA. SS. Boll., Maii VII, p. 99. Dans toute cette biographie nous ne voyons pas qu'il ait jamais prêché à la foule. Il ne dut guère avoir pour auditoire que les moines de Flore et des monastères voisins. Il tenait même à ne se confier, tout au moins quand il prophétisait, qu'à un nombre très restreint de disciples: « Ut in ore duorum vel trium veritas ipsa pateret. » Greco, op. cit., 106. p. - Sur sa conception de la prédication, V. textes réunis par Tocco (op. cit., p. 282, n. 1); Joachim place la prédication au-dessous de la contemplation.

2. Un texte montre clairement que pendant longtemps les moines seuls lurent les œuvres de Joachim : « Et licet nuper, praesentibus nobis et procurantibus, a sancta Dei sede apostolica damnata fuerit nova quaedam, quae ex his pullulaverat, doctrina venenata Evangelii Spiritus Sancti pervulgata nomine, ac si Christi Evangelium non æternum nec a Spiritu Sancto nominari debuisset; tanquam pestis hujusmodi fundamenta non discussa fuerint nec damnata, liber videlicet Concordantiarum et alii libri Joachitici. qui a majoribus nostri usque ad haec tempora remanserunt intacti, utpote latitantes apud quosdam religiosos in angulis et antris, doctoribus indiscussi; a quibus si ruminati fuissent, nullatenus inter sacros alios et sanctorum codices mixti remansissent, quum alia modica Joachitica opuscula, quae ad eorum pervenere notitiam, tam solemniter sint damnata » Labbe, Coll. Concil, XI, 2o part., 2361-2362, cité par Renan, op. cit., pp. 263-64 en note

porteront au peuple, en y mêlant toutefois leurs étranges conceptions théocratiques, ce sont les illuminés de la fin du XIII° siècle, les fraticelles, les béghards, les Pseudoapostoli de Segarelli ou de Dolcino.

Quelles seront les grandes lignes qu'il nous faudra dégager de ce tableau? De quels éléments principaux se compose, dans son ensemble, l'œuvre moralisatrice des sectes que nous venons d'étudier?

C'est, d'abord, une réaction contre le relâchement des mœurs ecclésiastiques, contre l'autoritarisme du clergé féodal et de la politique religieuse de Rome, contre les excès de leur ambition temporelle. Cette réaction est rarement agressive : à ce moment, les anciens partis, constitués uniquement pour la lutte, ont disparu ou ne sont plus représentés que par des fractions insignifiantes. La polémique ne semble avoir occupé qu'une place restreinte dans l'activité des sectaires. Mais du fait même qu'elles voulaient revenir à la vie évangélique, la plupart des sectes et surtout celles de la famille vaudoise se trouvaient en opposition avec l'Église et faisaient implicitement la plus âpre des critiques des mœurs cléricales. Le pessimisme des Cathares, leur haine pour le monde, œuvre du démon, formait un impressionnant contraste avec l'existence agitée et futile du clergé séculier, existence qui différait si peu de celle des curiales décrite par Walter Map et Jean de Salisbury. La pauvreté, l'humilité vaudoises sont sans cesse représentées comme une fausse piété, une hypocrisie ou une gloriole par des controversistes qui redoutaient la comparaison avec les hérétiques. D'autre part, le millénarisme, que nous avons montré à l'état latent dans les groupes hétérodoxes, aboutissait à la condamnation de l'Église romaine en laquelle les plus timides voyaient la

grande Babylone et que beaucoup chargèrent de leurs malédictions prophétiques.

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A partir de cette époque, la morale cesse d'être une froide série de décrets conciliaires. Revenue aux pures sources de l'Evangile, elle se rapproche de la vie, la transforme, l'utilise toute. Pour les Cathares, elle fait de la vie un moyen de purification; pour les Vaudois, elle en fait un labeur paisible qui a un sens et un objet déterminés. Tout formalisme étroit tombe de lui-même, et ce n'est pas une des moindres singularités des énigmatiques Passagiens que leur retour au ritualisme juif, à une observance pharisaïque, justement en un temps où la plupart des sectaires réclamaient une libre morale, plus encore qu'une foi libre. L'Église cesse alors d'avoir le monopole de la vertu; la morale de chaque jour, familière et facile, reprend sa noblesse. Le caractère anti-social de l'ascétisme s'atténue même dans une certaine mesure. Les parfaits qui ont renoncé à jouir de leur propre existence, se vouent tout entiers au salut moral et matériel de leurs frères, évangélisent les croyants, les aident à vivre, surtout à mourir, ne s'enferment jamais dans les joies d'un quiétisme égoïste. Mais ce sont les Vaudois qui ont réalisé la forme la plus parfaite d'une morale de laïques, sans faiblesses comme sans rigueurs surhumaines. Peut-être quelques sectaires, plus hardis, révêrent-ils d'appliquer à toute la société les principes de morale fraternelle qui faisaient l'originalité de leurs petits groupes; mais nous avons vu combien il était difficile d'affirmer l'existence de partisans d'un communisme évangélique, dans la période qui nous a occupé.

Enfin, le mysticisme pénétra la foule, l'émut d'une façon durable, changea la nature et la forme de la piété collective. Désormais, dans tous les mouvements du peuple, dans ses enthousiasmes et dans ses colères, on pourra trouver une part de piété, singulièrement altérée parfois ou mêlée à de brutales passions, mais cependant reconnaissable. Le soulèvement des Pastoureaux, l'épidémie de flagellation au

début du xiv siècle en sont des exemples suffisants. D'autre part, le mysticisme, dégagé des raffinements dont l'avaient embarrassé à plaisir les pieux rhéteurs du XII° siècle, initie les simples à la vie religieuse individuelle. Ses exagérations, qui ne sont peut-être qu'un artifice de vulgarisateurs, qu'un moyen de propagande, lui donnent l'apparence d'un panthéisme rudimentaire et le font bientôt condamner par l'Eglise; mais il n'en apprend pas moins à d'innombrables âmes cette recherche intérieure » que les Victorins avaient représentée comme hérissée de difficultés et seulement permise à la foi d'une élite. Dès ce moment, tout homme, quel qu'il soit, pourra se sentir l'auteur de sa propre rédemption; en lui naîtra, vivra et souffrira Jésus, et, en ce sens, le mysticisme laïque du début du XIIIe siècle marque un grand progrès dans le développement de la personnalité humaine. Il ne resta d'ailleurs pas figé dans une forme invariable : le système amauricien, mêlé d'idées apocalyptiques et peut-être sociales, a une physionomie toute différente de celle du système ortliebien où l'importance donnée à l'« illumination» intime fait prévoir l'avenir du mysticisme allemand. Tels sont, nous semble-t-il, les caractères essentiels de cette réforme morale. Peut-être les sectes, avec de pareils éléments de succès, n'eussent-elles pas laissé aux ordres mendiants la gloire et le profit des efforts incessants qu'elles avaient faits durant cette période, si ces efforts avaient été centralisés par une puissante individualité. Mais le peuple, au moyen âge, était fanatisé par les hommes plus que par les idées, et c'est Saint François qui attacha son nom à une œuvre laborieusement préparée par l'activité anonyme des hétérodoxes.

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