Immagini della pagina
PDF
ePub

et du trochée. Du reste, le seul caractère poétique du chant des frères Arvales, c'est la triple répétition de chaque phrase ou de chaque vers, et la répétition quintuple de l'exclamation finale.

Il n'est pas trop téméraire d'affirmer que les Romains du temps d'Horace n'étaient pas en état plus que nous d'interpréter ces litanies, ni de les scander, ni par conséquent d'y apercevoir aucun mérite, poétique ou autre, sinon celui qu'il leur plaisait d'y supposer. Nous savons, par d'assurés témoignages, que nul homme d'alors ne comprenait la moindre phrase des chants saliens, postérieurs par la date au chant des frères Arvales, ou du moins datant du même siècle.

Chants saliens.

Les Saliens étaient des prêtres du dieu Mars, institués, diton, par le roi Numa, et à qui était confiée la garde des anciles ou boucliers sacrés. « Ils doivent leur nom, dit Plutarque dans la Vie de Numa, à ces sauts qu'ils font lorsqu'au mois de mars ils portent en procession les boucliers sacrés dans les rues de Rome, vêtus d'une tunique de pourpre, de larges baudriers d'airain, un casque d'airain sur la tête, et faisant retentir les boucliers en les frappant du plat de leurs courtes épées. » Nous ne possédons que quelques fragments de l'hymne ou des hymnes qu'ils chantaient durant la cérémonie. Non-seulement il est impossible de déterminer quel était l'objet de ces prières, mais il n'y a pas un seul mot, dans tout ce qu'en citent Varron et d'autres auteurs, dont il soit permis d'affirmer qu'il signifie réellement telle ou telle chose. Quant à la manière de couper et de scander les vers, Cicéron, Varron, Horace, n'en savaient pas plus que nous : ils sentaient bien, comme nous, un certain rhythme sous ces paroles; mais en quoi ce rhythme consistait, c'est ce qu'ils ne se sont pas hasardés de dire.

Voilà ce qu'étaient les poésies religieuses des Romains des premiers temps; et il est douteux que celles qui ne nous sont point parvenues fussent beaucoup plus dignes de

compter parmi les œuvres de la Muse. Si les Latins n'avaient jamais connu les Grecs, nous n'aurions pas le Chant séculaire.

Lois royales; lois des Douze Tables.

Il y avait peut-être, dans le Droit papirien, c'est-à-dire dans le recueil des lois royales compilé par un certain Papirius, contemporain de Tarquin le Superbe, des choses qui se recommandaient par le mérite de la pensée ou de l'expression. On a quelque raison de le conjecturer, puisqu'on sait combien de tout temps les Romains excellèrent dans l'art de rédiger les formules de commandement. Mais c'est à peine s'il reste quelques mots du recueil de Papirius. On doit croire d'ailleurs que le texte de ces lois antiques n'était pas beaucoup plus intelligible, pour les Romains du siècle d'Auguste, que le chant des frères Arvales ou les chants saliens. Polybe nous dit que ce n'est pas sans bien chercher qu'il a fini par trouver un Romain capable de lui expliquer le sens des premiers traités de commerce entre Rome et Carthage. Or, ces traités sont postérieurs à l'époque des rois; et le latin qu'on parlait du temps de Polybe différait beaucoup moins de la langue primitive que le latin qu'on parlait au siècle d'Auguste. Là encore les amateurs d'anciennes merveilles n'admiraient guère que pour admirer.

Je n'en dirai pas autant de l'enthousiasme dont était l'objet l'œuvre des décemvirs. Le latin des Douze Tables est du latin intelligible; et l'on trouve déjà, dans ce qui reste de ces lois fameuses, quelques-unes de ces qualités de style qui étaient les qualités mêmes du caractère romain, la gravité, le laconisme, l'énergie. La définition de la loi est toute pratique, et n'a rien d'abstrait : «Ce que le peuple aura ordonné en dernier lieu, que ce soit la loi. » L'égalité de tous les citoyens devant la loi n'est pas moins catégoriquement définie : « Qu'on ne prétende point de priviléges. » Mais c'est surtout dans les dispositions relatives à la propriété, que les expressions sont d'une netteté et d'une vigueur vraiment admirables. Contre le détenteur étranger, le droit restait toujours ouvert; la loi disait : « Contre l'ennemi, éternelle re

vendication. » On ne saurait donc dénier à ces tables qui défendaient de pécher, comme dit Horace, certains mérites littéraires, et d'un ordre assez élevé; quelque grands toutefois qu'on les suppose, les œuvres législatives des siècles suivants en avaient de plus grands encore. Les Douze Tables n'étaient que des essais informes et grossiers, auprès de ces plébiscites et de ces sénatus-consultes qui furent rendus durant les époques florissantes de la langue. C'est au temps des guerres puniques, c'est-à-dire quand les plus rétifs cuxmêmes commençaient à se laisser entraîner par la passion des choses littéraires, que la loi a commencé à parler dans toute sa majesté cette langue impérative, qui est la plus belle gloire de Rome. Il n'y a rien, dans tout le code des décemvirs, qui se puisse comparer aux quatre mots qui suivent les considérants du décret rendu contre les philosophes et les rhéteurs, en l'an 161 avant notre ère : uti Romæ ne essent. Je cite les mots eux-mêmes: la traduction française «< qu'ils ne fussent point à Rome, » ou telle autre qu'on voudra, n'en saurait reproduire ni la plénitude, ni la mâle beauté, ni la foudroyante énergie.

Inscription funéraire de Scipion Barbatus.

Horace ne dit pas que les anciennes inscriptions gravées sur des monuments publics ou sur des tombeaux, fussent au nombre de ces choses qu'admiraient si vivement les amis exclusifs du temps passé. Mais ces panégyriques des héros d'autrefois, ces annales parlantes de tant de grandeurs et de triomphes, flattaient beaucoup trop la vanité nationale, pour qu'on ne cherchât pas à y trouver et les qualités littéraires qui y étaient, et surtout celles qui n'y étaient pas. Nul doute d'ailleurs que les Romains n'aient réussi, presque dès le premier jour, dans ce genre borné et sévère. Mais nous en sommes réduits, pour ce qui concerne les quatre premiers siècles de Rome, à de simples conjectures. La plus ancienne de toutes les inscriptions latines connues est de la première moitié du troisième siècle avant notre ère. C'est celle du tombeau de Scipion Barbatus. Cette inscription est belle, mais non pas de cette beauté qu'y ont voulu voir ceux

qui l'appellent une nénie, un poëme funèbre. Elle est claire, concise, bien tournée, élégante, si ce terme plaît mieux: elle a du trait, du caractère, mais rien, ou à peu près, qui sente ni le poëme ni la poésie. Ceux qui prétendent qu'elle est en vers n'ont pas encore pu dire comment il fallait s'y prendre pour mesurer ces vers. Les seuls mots où l'on pourrait reconnaître quelque intention poétique, sont ceux qui terminent l'énumération des honneurs dont ce Scipion avait été revêtu: apud vos. Cette expression chez vous est certainement remarquable à une telle place; et l'idée de s'adresser ainsi aux Romains pour les intéressser au souvenir de Barbatus, dénote, dans le rédacteur de l'inscription, une tournure d'esprit qui n'avait rien de vulgaire. En somme, cette liste de noms propres, de qualités morales, de titres politiques et de victoires, n'appartient que pour une trèsfaible part au domaine des choses littéraires. Ajoutons que cette prétendue nénie est fort courte, et qu'indépendamment de toute autre considération, il faut plus que de la bonne volonté pour élever à la dignité de poëme funèbre cinq lignes gravées sur un tombeau.

Prédictions de Marcius.

Les deux prédictions attribuées au devin Marcius sont tout ce qui subsiste aujourd'hui de ces volumes surannés, où quelques-uns, suivant Horace, trouvaient toutes les perfections poétiques. Les noms mêmes des antiques devins ont péri la plupart avec leurs œuvres. Il est possible que plusieurs de ces hommes n'aient pas été dénués de tout talent; il est possible que certaines pièces des recueils divinatoires témoignassent d'une véritable inspiration; mais ce qui ne pouvait manquer d'abonder, dans de pareils livres, c'était l'étrange, c'était surtout l'obscur, et même l'inintelligible.

On ne sait pas en quel temps vivait précisément le devin Marcius. On sait seulement qu'il avait vécu avant la deuxième guerre punique. A propos d'une de ses prédictions, retrouvée après la bataille de Cannes, Tite Live se borne à dire : « Ce devin Marcius avait été illustre. » On peut admettre, à la ri

gueur, que Marcius était un poëte distingué; mais, quant à le démontrer, ce serait chose assez difficile. La prédiction qu'a rapportée Macrobe, en vertu de laquelle on institua les jeux Apollinaires, et qu'on autorisait du nom de Marcius, fut rédigée dans le sénat, selon toute apparence, longtemps après la mort du devin, et par la main d'un homme qui s'inquiétait beaucoup plus de l'utilité politique de cet acte, que de beau style et de poésie. Sauf deux ou trois mots un peu au-dessus du ton habituel de la prose, toute la soi-disant prédiction ressemble infiniment à un décret législatif ou à un règlement d'administration publique. On ne sent pas même, dans la phrase, cette cadence, ce nombre caché, qui est à peu près tout ce qu'il nous est donné de saisir aujourd'hui du mètre saturnien des premiers temps. Si ce sont là des vers, Dieu seul le peut savoir: en tous cas, ce n'est pas de la poésie; ou, si l'on veut, c'est de la poésie digne d'une époque où nul encore, pour parler comme Ennius, n'avait franchi les rochers des Muses.

L'autre prédiction est plus belle, mais non pas plus authentique. Si elle était authentique, Marcius serait le plus étonnant prophète qu'il y ait eu au monde. Il annonce d'avance le désastre de Cannes, non pas vaguement, comme un malheur à craindre, comme une chose que ceci ou cela peut conjurer, mais clairement, sans ambages, et avec les indications géographiques les plus précises. On ne retrouva la prédiction qu'après l'événement. C'était un peu tard pour réparer tant de pertes; mais assez tôt pour faire valoir d'autres prédictions du devin Marcius, dont on se proposait de tirer utile parti. L'auteur ou le rédacteur de la pièce avait du moins une sorte de verve, et il savait où puiser pour donner à son style plus de richesse et d'éclat. Tite Live, qui rapporte cette prédiction, l'a donnée, comme il le dit lui-même, à peu près dans ses termes textuels : « Romain, fils de Troie, évite le fleuve Canna; garde que les étrangers ne te forcent à engager la bataille dans le champ de Diomède. Mais tu ne m'en croiras point, jusqu'à ce que tu aies rempli de ton sang les campagnes; jusqu'à ce que des mil

« IndietroContinua »