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l'accomplissement de l'œuvre commencée jadis par son frère. Un autre passage, ou plutôt deux autres passages, ceux qu'Aulu-Gelle a mis en regard du récit de la mort de Gavius et de celui du supplice des décemvirs ligures, n'ont rien de bien vif ni de bien dramatique, au prix des exclamations indignées de Caton, ou des images saisissantes de l'accusateur de Verrès. Ils prouvent pourtant que Caïus s'entendait aussi à raconter et à peindre. Aulu-Gelle n'en disconvient pas; seulement il donne l'avantage à Cicéron et à Caton. J'ajouterai que Caïus ne touchait qu'en passant certains faits odieux; qu'il n'accusait pas tel ou tel magistrat, mais presque tous les magistrats; qu'il ne s'agissait, pour lui, que de citer des exemples, et qu'il n'avait pas besoin de se mettre en frais d'indignation, comme s'il avait eu en face quelque Verrès ou quelque Thermus. Il suffisait que les exemples fussent bien choisis: Caïus laissait les faits parler eux-mêmes; et l'ironique simplicité avec laquelle il les présente n'en diminue pas beaucoup, ce me semble, la significative énergie. Vingt exclamations ajouteraient-elles beaucoup à l'exposé même? On en jugera par les lignes que je vais transcrire « Il y a quelques années, un jeune homme, qui n'avait pas encore exercé de magistrature, fut député d'Asie à Rome, avec une mission publique. Il se faisait porter en litière. Un bouvier de la campagne de Vénuse le rencontre; et, ne sachant pas qui était dans la litière, il demanda en riant si c'était un mort qu'on portait. Le jeune homme, à ces mots, fit arrêter la litière : il ordonna qu'on détachât les cordes qui la liaient, et il en fit battre le malheureux, jusqu'à ce qu'il eût rendu l'âme. »

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On ne peut rien transcrire d'aucun des autres discours dont nous avons les titres, ni du discours sur la loi Minucia, ni des discours contre L. Métellus, contre L. Pison, contre Furius, ni du discours sur la rogation de Cn. Marcius Censorinus, ni du discours contre Plautius. Mais nous avons d'autres débris qui méritent d'être recueillis. Ainsi cet exemple de gradation ou d'échelle : « Ton enfance a été un déshonneur pour ta jeunesse; ta jeunesse une flétrissure pour ta vieillesse; ta vieillesse un opprobre pour la répu

blique. » Ainsi surtout l'expression poignante des angoisses de Caïus, durant la lutte suprême : « Malheureux que je suis! où aller, où chercher asile ? Dans le Capitole? mais il est inondé du sang de mon frère. Dans ma maison? j'y verrais une mère infortunée, fondre en larmes et mourir de douleur.» Cicéron, qui rapporte ces paroles, dans un de ses dialogues, fait dire à l'interlocuteur qui les cite : « Une chose certaine, c'est qu'en ce moment, le regard de Caïus, sa voix, son geste, étaient si touchants, que ses ennemis eux-mêmes en versèrent des pleurs1. »

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La perte, peu s'en faut, complète des discours de Caïus et de ceux de son frère est un accident bien regrettable. Mais les témoignages des anciens, et les lambeaux mêmes de ces discours qui ont échappé à la destruction, ne permettent guère de douter du talent oratoire des Gracques. Ces deux hommes, si grands par le cœur, n'ont pas été moins grands par l'esprit. Ils ont eu le don d'éloquence, et ils en ont bien usé : est-il au monde une plus noble gloire?

CHAPITRE XV.

L'ÉLOQUENCE DEPUIS LES GRACQUES
JUSQU'A CICERON.

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CRASSUS ORATEUR JUDICIAIRE.

ÉLOQUENCE D'ANTOINE.

SCAURUS; RUTILIUS, ETC. — CRASSUS ET ANTOINE.

ÉLOQUENCE DE CRASSUS.

POLITIQUES DE CRASSUS.

VIE D'ANTOINE.

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Entre les Gracques et Cicéron, trois orateurs ont conquis, à Rome, une réputation de génie: Crassus, Antoine et Hortensius. C'est à ces noms illustres que sera principalement

1. Cicéron, sur l'Orateur, livre III, paragraphe 56.

consacré ce chapitre; mais il y a quelques hommes de talent qu'il serait injuste de passer sous silence.

M. Emilius Scaurus, dont il a été question dans le chapitre sur les historiens, était, suivant Cicéron, un orateur distingué. Il imitait, dans ses discours, la simplicité des anciens orateurs; sa parole avait de la gravité et de l'autorité; son éloquence était toute sénatoriale. Rutilius, dont le nom est presque toujours joint à celui de Scaurus, était un orateur aussi; mais Cicéron ne fait qu'un médiocre éloge de ses discours. L'auteur du Brutus traite plus favorablement Catulus orateur; je dis le collègue de Marius, celui-là même qui avait écrit l'histoire de la guerre des Cimbres. « Q. Catulus était savant, non à la manière des anciens, mais à la nôtre, ou, s'il en est une meilleure, à la sienne. Il avait beaucoup de littérature, une grande douceur de langage, aussi bien que de mœurs et de caractère, enfin une diction pure et que ne déparait aucune tache. » Il reste quelques fragments des discours de Q. Métellus Numidicus; mais ces fragments n'ont rien de bien remarquable. Je n'en excepte pas même celui qu'on a si souvent cité, cette singulière exhortation au mariage, qui commence ainsi : « Romains, si nous pouvions nous passer d'épouses, assurément aucun de nous ne voudrait se charger d'un tel ennui; mais, puisque la nature a arrangé les choses de telle sorte, qu'on ne peut ni vivre heureusement avec une femme, ni vivre sans femme, assurons la perpétuité de notre nation plutôt que le bonheur de notre courte vie. » Métellus ne manquait pas d'esprit; il parlait assez bien, comme dit Cicéron, pour soutenir un grand nom et la dignité consulaire; il avait écrit quelquesuns de ses discours; mais c'était à peine un orateur. Si nous nous en rapportions au jugement de Cicéron sur C. Memmius, il nous faudrait laisser ce nom dans l'ombre, avec ceux de Cépion, de Curion, de Fimbria, de tant d'autres. Mais Salluste fait un beau portrait de Memmius, comme homme d'État et comme orateur. Il dit que son éloquence était célèbre, et qu'elle lui donnait un grand empire sur les esprits. Il lui prête un très-beau discours, qui n'a sans doute que peu de chose d'authentique; mais il fait mieux

que lui attribuer sa propre éloquence: il retrace, dans un autre passage, les effets de celle de Memmius. Voyez la belle scène où Memmius, au nom de la foi publique, garantit la vie et la liberté de Jugurtha, calme l'effervescence populaire, et obtient que tout se passe, même avec un ennemi odieux, dans les formes légales, à tout hasard de voir le criminel échapper à une trop juste vengeance.

Crassus et Antoine.

Cicéron, après avoir nommé Memmius et quelques autres moins connus, s'écrie: « Que d'orateurs j'ai déjà cités! que de temps passé à cette énumération! et cependant, c'est en nous sauvant à peine à travers la foule, que nous sommes arrivés, chez les Grecs à Démosthène et à Hypéride, et chez nous à Crassus et à Antoine; car ce sont, à mon avis, nos deux plus grands orateurs, et les premiers Romains qui aient élevé l'éloquence à cette hauteur où l'avait portée le génie de la Grèce1. » C'étaient deux hommes nourris, comme presque tous les contemporains, dans toute sorte d'études libérales. Mais ils ne voulaient pas qu'on en crût rien. Ils feignaient, en public, de ne devoir rien qu'à eux-mêmes et aux vieilles traditions latines. Cette tactique, renouvelée de Caton, était aussi en ce temps-là un infaillible moyen de plaire à la multitude, qui n'aimait pas les Grecs, qui les estimait encore moins, et qui était enchantée d'apprendre que ses orateurs partageaient ses mépris et ses répugnances. Ignorer les lettres grecques, ou affecter de les ignorer, c'était faire acte de patriotisme romain; c'était protester contre l'insolence de ces vaincus, qui avaient la prétention de régenter éternellement leurs vainqueurs; c'était revendiquer pour Rome ses titres à cette royauté du génie que lui déniaient les enfants dégénérés de la Grèce. Cicéron lui-même, bien des années après Crassus et Antoine, ne dédaignait pas de condescendre comme eux à ces faiblesses de la vanité nationale. Quand il plaide contre Verrès, il se donne l'air d'un homme qui sait à peine ce que c'est que peintures ou objets d'art, et qui a besoin de demander à son secrétaire

1. Cicéron, Brutus, chapitre xxXVI.

les noms des plus illustres artistes : à l'entendre, il ignorerait presque Polyclète. Quand il plaide pour Archias, il se garde bien de se jeter de prime abord dans son magnifique dithyrambe en l'honneur de la poésie et des poëtes: il ne se brouille point avec les catoniens du temps, et il tient à leur prouver que son intention n'est nullement de médire de l'ignorance. Je me suis servi du mot tactique, à propos de la feinte ignorance d'Antoine et de Crassus. Cicéron, qui nous fait si bien connaître ces deux hommes, va justifier complétement cette expression. Je transcris le début du second livre des dialogues sur l'Orateur, dont Crassus et Antoine sont précisément les héros. Cicéron s'adresse à son frère « Dans notre jeunesse, mon cher Quintus, c'était, si tu t'en souviens, une opinion généralement répandue que L. Crassus n'avait reçu d'autre instruction que celle que peut donner l'éducation du premier âge, et que M. Antoine n'en avait reçu absolument aucune. Beaucoup de personnes même, qui ne partageaient pas cette idée, se plaisaient à nous tenir le même langage, espérant par là modérer l'ardeur de notre zèle pour l'étude on voulait nous faire entendre que, si ces deux grands orateurs étaient parvenus, presque sans avoir rien appris, au plus haut degré de l'habileté et de l'éloquence, nous nous donnions une peine fort inutile, et que notre père, cet homme si sage et si bon, prenait, pour nous faire instruire, des soins bien superflus. Nous réfutions cette assertion, comme pouvaient le faire des enfants, par des témoignages domestiques: nous citions notre père, C. Aculéon, notre allié, et L. Cicéron, notre oncle. Notre père, en effet, et Aculéon, qui avait épousé notre tante maternelle, et pour qui Crassus eut toujours une affection particulière, nous parlaient de Crassus; et L. Cicéron, qui était allé en Cilicie avec Antoine, et qui était revenu de cette province en même temps que lui, nous faisait mille récits des études et des connaissances d'Antoine. Et, comme on nous enseignait, à nous et à nos cousins, les fils d'Aculéon, des choses qui étaient du goût de Crassus, et qu'il était lié avec nos maîtres, nous avons bien souvent reconnu, et notre grande jeunesse ne nous empê

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