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passions populaires que fait allusion Virgile, dans les vers admirables où il nous peint un homme de bien calmant la sédition par sa parole et par l'empire de sa vertu.

La défense de Rabirius, accusé d'avoir tué de sa main un magistrat inviolable, le tribun du peuple Saturninus, est un discours politique, et non un plaidoyer proprement dit. C'est devant le peuple que le consul Cicéron prit la parole pour le vieux chevalier. Le discours n'est pas complet; mais, tout mutilé qu'il est, c'est un de ceux qui font le plus d'honneur au génie oratoire de Cicéron. La péroraison est touchante; et, dans tout le reste, ce sont de nobles sentiments, noblement exprimés, et avec une fermeté de style qui n'est pas seulement dans l'apparence, et qui se passe des grands mots. La nature du sujet était trop conforme avec les qualités habituelles de Cicéron, pour que l'orateur ne le traitât pas, en face du peuple, aussi bien qu'il eût fait devant les duumvirs, ou devant tout autre tribunal.

Le temps de la grande lutte approchait; cependant Cicéron prononça encore, entre la défense de Rabirius et les Catilinaires, deux discours, aujourd'hui perdus, dont nous n'avons guère que les titres. Un de ces discours fut un grand sacrifice à la nécessité politique. On avait proposé l'abrogation de la loi Cornélia, en vertu de laquelle les fils des proscrits de Sylla étaient exclus pour jamais des honneurs publics. Cicéron parla et fit maintenir la loi. Il en donnait pour raison plus tard que c'était par crainte que ces jeunes Romains ne songeassent qu'à se venger, et qu'ils n'abusassent des magistratures contre les ennemis de leurs pères.

Les Catilinaires.

Je n'ai pas besoin de rappeler ici des faits qui sont présents à la mémoire de tout le monde. On sait comment le consul saisit tous les fils de la conspiration de Catilina. Les dangers qu'il courait personnellement, le caractère connu de son collègue, Caïus Antonius, qui ne demandait pas mieux que de pactiser avec Catilina et sa bande, les motifs les plus pressants enfin ne permirent pas à Cicéron d'hésiter sur le parti à prendre. Son amour pour son pays eût suffi,

à lui seul, pour faire disparaître de son âme toutes les incertitudes. Il se trouva, dès le premier jour, digne de représenter les intérêts sacrés de Rome et de la civilisation, dans ces terribles conjonctures. Il attendait l'occasion favorable pour éclater et pour agir l'audace de Catilina la lui offrit bientôt. Ce misérable osa paraître dans le sénat. Cicéron avait mis l'assemblée à l'abri d'un coup de main: tous les chevaliers en armes, Atticus à leur tête, veillaient autour du temple de Jupiter Stator, et protégeaient les délibérations des sénateurs. Catilina, à son entrée, fut accueilli par cette immortelle invective du consul, par ce discours que connaissent ceux même qui n'ont jamais rien lu de Cicéron : « Jusques à quand abuseras-tu, Catilina, de notre patience? Combien de temps encore serons-nous le jouet de ta fureur? Jusqu'où s'emportera ton audace effrénée? » Et le reste. Tout le discours est plein de verve et de passion; c'est un beau morceau d'éloquence: Salluste luimême en convient. Il dit aussi que ce discours fut un acte utile à la république; et ce n'est pas là un insignifiant éloge, surtout venant d'un ennemi. Il y a pourtant, dans la première Catilinaire, des choses qu'on voudrait presque n'y pas voir. L'apostrophe de la patrie à Catilina ne nous fait guère l'effet que d'une déclamation. Il semble que le magistrat suprême oublie son rôle; qu'il s'amuse intempestivement à des figures de rhétorique; qu'au lieu de tant parler, et même de si bien parler, il ferait mieux de frapper et de sévir. Mais reportons-nous aux circonstances; dépouillonsnous de nos idées modernes, et mettons-nous un instant à la place de Cicéron. Cicéron était consul; mais il ne pouvait rien contre Catilina, citoyen et sénateur; contre Catilina soutenu d'un parti puissant et mystérieux, dont on s'exagérait encore la force. Il n'avait pas en main les preuves matérielles de la conspiration. Le sénat d'ailleurs n'était pas sûr même quand Cicéron, grâce aux Allobroges, eut fait l'évidence sur les projets de Catilina, l'assemblée faillit lui échapper. Cicéron, homme nouveau, sans autre autorité que celle qu'il tenait de la loi, sans autre appui que son patriotisme et son génie, pouvait-il prendre sur lui de violer les

lois qui protégeaient la personne de Catilina? Voilà pourquoi il parle au lieu d'agir. Il n'a qu'un dessein, c'est de pousser Catilina hors du sénat, hors de Rome; c'est de le précipiter dans une rébellion ouverte. Cette prudence, même à Rome, ne fut pas du goût de tout le monde. Il paraît du moins que quelques-uns firent à Cicéron des reproches du genre de ceux que nous sommes tentés de lui faire; car il s'efforce dans la deuxième Catilinaire, de justifier une conduite que tous n'approuvaient qu'avec des restrictions.

Ce second discours fut prononcé devant le peuple, le lendemain du premier. Le départ de Catilina, qui venait de quitter Rome pour rejoindre son armée, fournit à l'orateur le sujet de son exorde. La justification dont j'ai parlé, et quelques considérations sur les diverses sortes de personnes qui favorisaient les desseins de Catilina et sur les mesures à prendre dans la circonstance, c'est là à peu près tout le discours, qui n'a, comme on voit, qu'une importance fort secondaire.

La troisième Catilinaire, adressée aussi au peuple romain, est complétement dépourvue de dignité. L'exorde est une explosion de joie et d'amour-propre. Cicéron se compare à Romulus; peu s'en faut qu'il ne demande pour lui-même, après sa mort, les honneurs divins: il fait du moins clairement entendre qu'il les a mérités autant que le fondateur de Rome. Il parle ensuite de la conspiration; il lance, en passant, contre Lentulus et d'autres conjurés, des plaisanteries assez déplacées, et d'un goût fort suspect; il peint à ses auditeurs la perversité profonde de Catilina, mais non sans relever les talents de ce redoutable conspirateur, son courage, sa singulière énergie. Il termine en déclarant que les dieux ont tout conduit; que le danger auquel on vient d'échapper est le plus grand qui ait jamais menacé la république; que, quant à lui, il ne demande d'autre récompense que de vivre dans la mémoire du peuple romain, ayant bien soin toutefois d'ajouter qu'un citoyen comme lui ne saurait être laissé sans défense; et que tous se doivent de le préserver des attentats de ses ennemis.

La quatrième Catilinaire est bien supérieure, sous tous les rapports, et à la troisième et à la seconde. Elle l'emporte, selon

moi, même sur la première. J'y trouve plus de gravité, de résolution, quelque chose de ferme et de vraiment digne d'un homme revêtu de la suprême magistrature. Elle fut prononcée deux jours après la troisième, non plus sur le Forum, mais dans le sénat. César et Caton avaient parlé. Salluste, comme on sait, reproduit ou a la prétention de reproduire leurs discours, et il passe celui de Cicéron sous silence, c'est-à-dire le plus important des trois. Cicéron résume les avis proposés, celui de Silanus et celui de César: il laisse percer sa prédilection pour le premier avis, en répétant qu'on ne peut être accusé de cruauté, quand il s'agit de pareils criminels, et en montrant que l'expédient proposé par César entraîne toute sorte de difficultés. Il répond ensuite aux inquiétudes de ceux qui craignent que le consul n'ait pas assez de forces à sa disposition. Il constate l'unanimité des sentiments de toutes les classes de citoyens, et il proteste de son empressement à suivre, sans crainte et sans réserves, les ordres du sénat.

Cicéron a trop abusé, dans la suite, des souvenirs de cette mémorable année où Rome libre, comme dit Juvénal, lui décerna le nom de père de la patrie. Les jactances, dont sa gloire n'avait pas besoin, ont nui à sa renommée. Des hommes, amis du paradoxe, prétendent que les projets de Catilina n'étaient point tels que Cicéron les présente. Selon eux, Catilina a été ridiculement calomnié. Admettons que Catilina n'ait été, comme on le dit, que le chef du parti populaire. Comment se fait-il que ce parti, une fois vainqueur, n'ait pas songé à réhabiliter sa mémoire? Comment se fait-il que Salluste, l'ennemi de l'aristocratie et l'ennemi personnel de Cicéron, parle de Catilina et des siens dans les mêmes termes que Cicéron ? Les plus acharnés persécuteurs du consul ne lui reprochèrent jamais qu'une chose, la mort de citoyens exécutés sans jugement régulier. Ils n'alléguèrent jamais contre lui qu'un défaut de forme. D'ailleurs on ne se figure pas aisément par quelle métamorphose Catilina, ce sicaire de Sylla et du parti aristocratique, aurait pu devenir le chef du parti populaire, et comment le sénat, qui comptait dans son sein plus d'un adversaire de l'aristocratie, aurait été unanime pour la condamnation des conjurés.

Autres discours politiques de Cicéron.

:

Cicéron ne jouit pas longtemps en paix de son triomphe politique, et des honorables témoignages de la reconnaissance du peuple romain. Tandis qu'il vivait dans ses maisons de campagne, tout entier à ses travaux littéraires, César devenait tout-puissant, et Pompée commençait à céder devant ce redoutable rival. Clodius obtenait le tribunat, et préparait des lois de vengeance. Pompée abandonna lâchement Cicéron à ses fureurs; et Cicéron dut s'exiler de Rome et de l'Italie. Cet exil, qui dura dix-sept mois, lui fut pire que la mort il ne le supporta pas avec la force d'âme et la résignation d'un sage. A son retour, dans le courant de l'année 58, il eut plusieurs fois l'occasion de prendre la parole, soit au sénat, soit devant le peuple; mais aucun de ses discours politiques de cette année ni de l'année suivante ne mérite une mention particulière. En l'an 56, L. Pison et A. Gabinius furent rappelés, l'un de la Macédoine, l'autre de la Syrie, sur une accusation de Cicéron. Pison, rentré au sénat, se plaignit de son accusateur, et Cicéron répondit à ses reproches. Nous avons ce discours à peu près entier. C'est une diatribe des plus violentes et des plus outrageuses. L'orateur s'attaque d'abord à la vie publique de Pison, et il en signale toutes les indignités, dans une longue comparaison entre lui-même et ce personnage. Venant ensuite à sa vie privée, il l'accuse des plus monstrueux excès. En un mot, il représente Pison comme un objet de dégoût pour le sénat, pour les chevaliers, pour tout le peuple romain. Quand on apprend qu'un tel discours fut écouté et applaudi dans le sénat; quand on a lu aussi les fragments du discours prononcé par Cicéron durant sa candidature, on se demande, avec étonnement, en quoi consistait donc ce décorum dont il est si souvent question dans les auteurs latins, et surtout chez Cicéron.

Depuis ce temps, jusqu'à la dictature de César, la vie de Cicéron fut occupée à des plaidoyers, à la composition de plusieurs grands ouvrages, et à ce proconsulat de Cilicie où il déploya une certaine capacité administrative et militaire.

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