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idée de cette urbanité dont il est si souvent question dans les auteurs, et qui était comme l'atticisme romain; c'est là enfin, et là seulement, que nous pouvons estimer jusqu'à quel point les Romains étaient propres à exceller dans le genre épistolaire. Il y a, sans doute, d'autres livres latins qui portent le titre de Lettres; mais il n'y en a pas qui soient, comme celui-ci, une production spontanée du temps et des circonstances. Les lettres de Sénèque et d'autres ont été presque toujours écrites pour le public: ce sont des dissertations, des récits, des morceaux de critique, que sais-je encore ? des compositions plus ou moins spirituelles sur toute sorte de sujets, adressées à tels ou tels personnages; ce sont des exercices épistolaires, ce ne sont pas des lettres. Les lettres de Cicéron et de ses amis n'ont jamais ce caractère nulle préméditation, nul arrangement, nul artifice. Aussi l'éloquence y coule-t-elle de source. Il y a là des choses admirables, et de tous les genres de beauté, non pas seulement dans les lettres écrites par Cicéron lui-même, mais dans celles de presque tous ses correspondants. Nous parlerons plus loin des correspondants avec quelque détail. Quant à Cicéron, un seul mot suffit: on reconnaît partout l'aimable et charmant esprit de l'auteur des dialogues, souvent le grand écrivain et le grand homme; trop souvent aussi l'homme timide, incertain et faible; une belle âme et de nobles sentiments, mais avec des éclipses et des défaillances. Cicéron est encore Cicéron dans un billet de quelques lignes c'est dire assez que ses plus belles lettres, ce sont les plus longues.

Que si nous considérons les quatre recueils dans leur forme respective, il y a lieu de marquer entre eux certaines différences. Les Lettres à Divers sont le plus précieux et le plus important à tous égards: c'est le plus varié, c'est celui qui contient les lettres les plus caractéristiques. C'est là que Cicéron et ses amis nous mettent dans le secret de leurs pensées et de leurs espérances, de leurs craintes et de leurs vœux. Ces épanchements de l'amitié, l'émotion de toutes ces âmes, l'élégance et la politesse du style, le charme et la grâce de la diction, tout enfin concourt à faire du premier

recueil un monument incomparable, et le modèle du genre épistolaire ; je dis le modèle d'une correspondance sérieuse, et non point de ce bavardage épistolaire tant admiré en France, et dont les chefs-d'œuvre feraient une assez triste figure auprès de ces pages ingénues, d'une si mâle et si saine beauté. Les Lettres à Atticus ne sont guère moins importantes pour l'histoire elles nous font même pénétrer plus profondément dans l'âme de Cicéron. Il y a des choses que Cicéron ne pouvait dire qu'à un vieil ami, à un confident éprouvé. Ajoutez que ce recueil n'embrasse pas moins de vingt-six années, tandis que les autres ne commencent que beaucoup plus tard, et ne nous font connaître que les dernières années de la vie de Cicéron. Mais Cicéron, s'adressant à un ami intime, n'a pas besoin de mettre sa pensée en relief; et il se contente bien souvent de sous-entendus, ou de ces mots de rappel qui ne sont guère pour nous que des énigmes. Ses lettres n'ont donc pas ici tout l'agrément littéraire de celles qu'il adressait à des hommes moins initiés à ses affaires, et qui ne pouvaient comprendre qu'un langage clair, catégorique et sans réticences. Les Lettres à Quintus sont d'un caractère tout particulier. Quintus Cicéron devait beaucoup à Marcus: sa fortune politique avait été en grande partie l'ouvrage de son aîné. Celui-ci le traite donc un peu comme un disciple ou un pupille. Il lui fait des leçons excellentes sur ses devoirs d'administrateur. Les plus importantes sont du temps où Quintus était propréteur en Asie. On trouve aussi, dans ces lettres, des détails intéressants sur l'intérieur de la famille des Tullius. Quelques-uns contestent l'authenticité du livre des Lettres à Brutus. Il est difficile à un homme de goût de se rendre à leurs raisons, et d'attribuer à un artifice de rhéteur tant de pages souvent admirables. Celui qui eût été capable de faire parler ainsi Brutus et Cicéron ne se fût pas amusé, ce me semble, à cet étrange supercherie. Ce rhéteur serait un des meilleurs écrivains de Rome: nous posséderions quelque chef-d'œuvre signé de son nom, et non pas seulement des lettres apocryphes, noyées dans l'océan du génie d'un grand homme,

Dernier triomphe de Cicéron.

On sait comment périt Cicéron, et avec quel courage, avec quelle noble résignation il se soumit à sa fortune. « Hérennius, dit Plutarque, d'après l'ordre qu'avait donné Antoine, lui coupa la tête, et la main avec laquelle il avait écrit les Philippiques.... Lorsque cette tête et cette main furent apportées à Rome, Antoine tenait les comices pour l'élection des magistrats. Voilà les proscriptions finies, dit-il au récit du meurtre, et à l'aspect de ces sanglantes dépouilles. Il les fit attacher au-dessus des rostres: spectacle affreux pour les Romains, qui croyaient avoir devant les yeux, non le visage de Cicéron, mais l'âme d'Antoine!» C'est ainsi que, même après sa mort, l'auteur des Philippiques triomphait encore de son ennemi. Un poëte de talent, Cornélius Sévérus, exprime en vers énergiques les sentiments dont tous s'étaient émus en présence du trophée que le triumvir croyait avoir élevé à ses vengeances: « Les faces encore pantelantes d'hommes magnanimes furent exposées sur les rostres où ils avaient parlé; mais l'image de Cicéron, perdu pour toujours, fait disparaître toutes les autres: on dirait qu'elle est seule. Alors on se rappelle les grandes actions du consul, cette conspiration, ces criminels complots dont il saisit la trame, ces patriciens dont il dénonça les attentats; alors aussi on se rappelle le châtiment de Céthégus, Catilina confondu dans ses espérances impies. A quoi lui ont servi et la faveur du peuple, et les applaudissements des hommes assemblés, et tant d'années comblées d'honneurs, et une vie passée au sein des nobles études? Un seul jour a fait disparaître cette glorieuse existence; et l'éloquence latine s'est tue, frappée avec lui, triste et abîmée dans le deuil. Celui qui était jadis l'unique appui, le salut des accusés, celui qui fut toujours la tête de la patrie, ce défenseur du sénat, cette voix publique du Forum, des lois, des mœurs, de la paix, est devenue muette à jamais par un meurtre affreux. Ce visage aux traits décomposés, ces cheveux blancs souillés du sang de la victime, ces mains sacrées qui avaient servi à accomplir de si grandes œuvres, un citoyen, transporté d'une

joie féroce, les a foulées sous ses pieds; et il n'a pas vu derrière lui les destins avec leurs retours, et des dieux vengeurs. Tous les siècles passeront, et Antoine n'aura pas expié son forfait ! » Oui, c'était le forfait d'Antoine; mais c'était bien plus encore le forfait d'Octave. Antoine était le tigre obéissant à son instinct, et à qui il faut du sang pour assouvir sa rage. Octave, en lui livrant son premier protecteur, son bienfaiteur, son ami plus que dévoué, avait commis un parricide. Il en porta le remords toute sa vie. On le sentait si bien, que presque personne, sous son règne, n'osait prononcer le nom de Cicéron. Tite Live eut le courage d'apporter à ce nom sacré l'hommage de son admiration; mais il ne se trouva pas un poëte pour renouveler le noble exemple de Cornélius Sévérus. Ce silence prouve qu’Auguste n'avait pas dépouillé tout sentiment humain; et ce remords, cette furie vengeresse attachée à son flanc, fut du moins une expiation : par là Auguste se montrait supérieur à Antoine. Ce n'est pas seulement par conjecture que nous savons qu'Auguste se souvint toujours de Cicéron. « J'ai entendu conter, dit Plutarque, que César, de longues années après, étant un jour entré chez un de ses petits-fils, celui-ci, qui tenait dans ses mains un ouvrage de Cicéron, surpris à l'improviste, cacha le livre sous sa robe. César, qui s'en aperçut, prit le livre, en lut debout une grande partie, et, le rendant au jeune garçon : « C'était un savant homme, mon enfant, dit-il; oui, un savant homme, et qui aimait bien sa patrie. »> Il est triste de penser qu'un homme comme Cicéron ne fut pas heureux. Il fut obligé de se séparer de sa femme Térentia; il vit mourir sa fille Tullie; il eut un fils indigne de lui, et qui n'eut jamais d'autre mérite que celui de buveur intrépide. Enfin Octave ne fut pas le seul ingrat qu'il rencontra sur son chemin : Philologus, qui le livra aux meurtriers, était un affranchi de son frère, qu'il avait lui-même instruit dans les lettres et dans les sciences; Popilius, un de ses assassins, était un homme dont il avait défendu la vie, dans une accusation capitale.

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Les correspondants de Cicéron n'ont pas tous droit de figurer dans cette histoire : nous ne voulons relever ici que les noms de ceux dont les lettres offrent quelque intérêt littéraire, ou qui se recommandent à nous par les talents dont ils furent doués comme écrivains ou comme orateurs. Nous suivrons l'ordre alphabétique, n'y ayant guère de moyen d'établir une classification qui nous permette mieux de nous reconnaître au milieu de ces personnages plus ou moins fameux'.

Atticus (Titus Pomponius ).

J'ai parlé plus haut du recueil intitulé Lettres à Atticus. Je dois dire un mot de l'homme à qui elles sont adressées. Il était de trois ans plus âgé que Cicéron. Il fut le compagnon de ses études et son ami dévoué. Il mourut en l'an 33 avant J.C., à soixante-dix-sept ans. C'était un homme de beaucoup d'esprit et de goût. Il était fort riche, et il jouissait de l'estime universelle; mais il ne voulut jamais entrer dans la vie publique, et il ne brigua point les charges. Il fit un noble usage de ses richesses et de son crédit. Ce philosophe pratique passe pour avoir composé quelques ouvrages, entre autres des Annales, c'est-à-dire un abrégé de l'histoire romaine. Cicéron dit quelque part qu'Atticus, dans ce travail, s'était rigoureusement conformé à l'ordre chronologique, et qu'il avait su renfermer en un seul volume, sans rien omettre d'essentiel, l'histoire de sept cents ans. Titus Pomponius devait son surnom, ou plutôt son nom d'Atticus, au

1. J'ai souvent profité, pour la rédaction de ce chapitre, des notices qui sont à la suite de la traduction des Lettres de Cicéron, par MM. Defresne et Savalète. Je l'ai fait avec d'autant moins de scrupule, que c'est moi-même qui ai écrit ces notices, et que je dois savoir si elles sont exactes,

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