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Sulpicius (Servius Sulp. Lemonia Rufus).

La neuvième Philippique de Cicéron est un bel éloge de Servius Sulpicius, considéré comme homme d'État et comme citoyen. J'ai dit que Sulpicius avait été chargé par le sénat d'aller porter à Antoine des propositions d'accommodement, et qu'il était mort en chemin, avant d'avoir pu remplir sa mission. Quelques années auparavant, Cicéron, dans le Brutus, avait déjà dignement loué Sulpicius, jurisconsulte, orateur et écrivain. « Quant à Servius, tu le juges très-bien, et je vais dire tout ce que je pense de lui. Jamais personne, selon moi, n'étudia avec plus d'ardeur et l'art oratoire et toutes les sciences qui méritent l'estime des hommes. Notre jeunesse fut consacrée aux mêmes exercices. Plus tard, il partit avec moi pour Rhodes, afin de perfectionner son talent et son instruction. A son retour, il a mieux aimé, je crois, être le premier dans le second des arts, que le second dans le premier. Peut-être eût-il marché de pair avec les princes de l'éloquence; mais il a préféré, et son ambition a été couronnée de succès, être le prince des jurisconsultes : il a laissé bien loin derrière lui ses contemporains et ses devanciers.... Sulpicius a joint à une science profonde la connaissance de la littérature et une élégance de style qui brille partout dans ses écrits, qui sont des œuvres sans égales1. » Sulpicius avait laissé, dit-on, cent quatre-vingts livres sur des questions de droit. On en trouve encore des passages dans Aulu-Gelle et dans d'autres auteurs anciens. Il n'avait écrit que trois de ses discours; mais ces trois discours, selon Quintilien, suffisaient pour lui assurer une belle réputation d'orateur. Il en reste à peine quelques ́mots; mais nous pouvons juger du style de Sulpicius par ses lettres à Cicéron. Il y en a une qui est fameuse, c'est celle qu'il écrivit de Grèce à son ami, en apprenant la mort de Tullie. Ce n'est pas précisément une vive sensibilité qu'il y faut chercher; et les consolations qu'il adresse au père infortuné n'ont pas dû être un baume bien efficace pour calmer une douleur si poignante. Mais la rudesse même des raison1. Cicéron, Brutus, chap. XLI et XLII.

nements du vieux jurisconsulte; ses réflexions stoïciennes, ou plutôt romaines, sur la vanité des choses; le tour singulier de la pensée, les images frappantes dont elle est revêtue; l'énergie de l'expression, l'allure vive et pittoresque de la phrase, tout enfin semble imprimer à ce morceau je ne sais quel caractère grandiose. Ce sont de très-belles pages, d'une éloquence originale, et qui sent merveilleusement son antique. Je préfère, il est vrai, la réponse de Cicéron, qui n'est que touchante; mais Sulpicius écrit trop bien pour qu'on n'ait pas un plaisir infini à l'entendre, même quand il écrit ce que nous n'aurions pas pensé à sa place. Après avoir gourmandé Cicéron de son abattement, il lui rappelle que la république n'est plus, et qu'il n'est guère désirable de laisser après soi des enfants destinés à végéter, inutiles à leur patrie et à eux-mêmes. Puis il continue en ces termes : « Je veux te faire part d'une chose qui m'a grandement consolé, et qui servira peut-être aussi à diminuer ta douleur. En revenant d'Asie, comme je naviguais d'Égine à Mégare, je me mis à contempler de tous côtés les contrées qui m'environnaient. Derrière moi était Égine; devant moi, Mégare; à ma droite, le Pirée; à ma gauche Corinthe. Ces villes, durant un certain temps, ont été très-florissantes: aujourd'hui elles gisent sous nos yeux, renversées et détruites. A ce spectacle, je fis un retour sur moi-même. Eh quoi! me dis-je, nous nous indignons, nous, êtres chétifs, si quelqu'un de nous vient à mourir ou à être tué, nous dont la vie doit être si courte; et voilà, sur un seul point, tant de cadavres de villes gisant renversés! Ne veux-tu pas, Servius, contenir tes plaintes, et te souvenir que tu es né homme? - Crois-moi, cette réflexion n'a pas médiocrement servi à me rendre mon courage. Mets-toi, je te prie, le même spectacle devant les yeux. Une foule d'hommes ont péri naguère en quelques instants; l'empire du peuple romain a perdu presque toute sa grandeur et sa force; toutes les provinces ont été ébranlées; et tu te laisses émouvoir à ce point parce que le faible souffle qui animait une faible femme est venu à s'éteindre! Suppose qu'elle n'ait point passé en ce temps son dernier jour; encore lui eût-il fallu mourir dans peu d'années, puis

qu'aussi bien elle était née mortelle... Enfin, n'oublie pas que tu es Cicéron; que tu es un homme accoutumé à donner aux autres le conseil et l'exemple : n'imite pas les mauvais médecins, qui prétendent savoir l'art de guérir les maladies d'autrui, et qui ne peuvent se guérir eux-mêmes, etc. » Ce qui suit n'est ni moins vigoureux, ni moins heureusement exprimé; et Sulpicius, d'un bout à l'autre de la lettre, nous donne un véritable modèle de ce qu'on pourrait nommer le style romain.

Appendice.

Il y a deux noms que nous avons omis à dessein dans cette revue, ceux de Varron et de César. Il nous reste, grâce à Dieu, de quoi parler de ces deux écrivains, autrement qu'à titre de correspondants de Cicéron. Nous leur réservons à l'un et à l'autre leur large place dans les chapitres qui vont suivre. La liste des correspondants se compose, comme on vient de le voir, de presque tous les écrivains célèbres du temps, à l'exception de Salluste, de Cornélius Népos, de Lucrèce et de Catulle. Il y a pourtant quelques hommes qui n'ont pas manqué de renommée, qui n'y figurent pas, et que nous ne retrouverons point ailleurs. Il convient, je crois, de leur consacrer ici quelques lignes à chacun, du moins à ceux que Cicéron a trouvés le plus dignes de ses éloges.

Caïus Licinius Macer était, d'après Cicéron, un historien plus que médiocre; mais son éloquence, dans les causes judiciaires, se recommandait par des qualités estimables: << Son imagination, sans être abondante, n'était pas stérile; son style n'était ni brillant ni entièrement négligé; sa voix, son geste, toute son action, manquaient de grâces; mais il apportait, à l'invention des preuves et à leur distribution, un soin si admirable, que je citerais difficilement un orateur qui sût mieux approfondir et orner un sujet1. »

Marcus Calidius est encore mieux traité par Cicéron : « Ce n'était pas un orateur de la classe ordinaire. Que

1. Cicéron, Brutus, chapitre LXVII.

dis-je? il faisait presque à lui seul une classe à part. Ses preuves profondes et originales étaient revêtues de formes légères et transparentes. Rien de si aisé, rien de si flexible que le tour de ses périodes. Il faisait des mots tout ce qu'il voulait ; et nul orateur ne savait aussi bien que lui se rendre maître de sa phrase. Sa diction était claire comme le ruisseau le plus limpide. Elle coulait avec une aisance dont jamais rien n'interrompait le cours. Pas un mot qui ne fût mis à sa place, et comme enchâssé, selon l'expression de Lucilius, dans un ouvrage de marqueterie. Pas un terme dur, inusité, bas ou recherché. Au lieu du mot propre, il employait l'expression figurée, mais avec tant de bonheur, que jamais elle ne paraissait usurper une place étrangère : elle venait tout naturellement se mettre à la sienne.... Si la perfection consiste à parler avec grâce, il ne faut chercher rien de plus accompli que Calidius'.

Caïus Licinius Calvus conserva pendant longtemps une grande réputation. Quintilien dit même que quelques-uns le préféraient à tous les autres orateurs. Calvus était le fils de Macer; mais ce n'est pas précisément son père qu'il avait pris pour modèle oratoire. Il voulait passer pour un orateur attique. Cicéron conteste qu'il ait été un attique dans le sens vrai et complet du terme, un attique à la façon d'Hypéride, d'Eschine ou de Démosthène. Ce que Cicéron dit du style de Calvus explique très-bien pourquoi cet orateur fut si goûté dans les écoles: c'était un écrivain trèscorrect, très-châtié, un modèle parfait dans le genre simple, un de ces classiques qu'on ne saurait trop recommander à la jeunesse. Mais, si nous possédions ses œuvres, nous y chercherions peut-être en vain quelque chose qui ressemble à l'éloquence; et peut-être n'y trouverions-nous guère plus à admirer que dans celles d'Isocrate ou de Lysias. « Calvus, plus savant en littérature que Curion, avait aussi une diction plus travaillée et plus finie. Il maniait son genre, certes, avec beaucoup de talent et de goût: cependant, à force de s'observer et d'exercer sur lui-même une critique minutieuse,

1. Cicéron, Brutus, chapitres LXXIX, LXXX.

en évitant l'enflure, il perdait jusqu'au véritable embonpoint. Aussi le style de cet orateur, affaibli par des scrupules excessifs, ne portait sa lumière que dans l'esprit des auditeurs instruits et attentifs, et ne faisait, au contraire, qu'une impression fugitive sur le peuple et sur le barreau, qui sont les arbitres de l'éloquence1. »

Caïus Scribonius Curion, ou Curion le fils, est celui que Cicéron compare à Calvus. Il avait été très-dévoué à César, etil était mort en Afrique, dans la guerre contre Juba. « Il dut peu, dit Cicéron, aux leçons des maîtres; mais la nature l'avait doué d'un talent admirable pour la parole.... S'il avait continué d'écouter mes avis, il eût recherché les honneurs plutôt que les grandeurs2. » Curion n'avait pas des prétentions à l'atticisme, comme Calvus: son style était orné, en même temps que rapide; et ses pensées, quelquefois un peu trop fines, coulaient avec une aisance extrême et une intarissable abondance.

Il ne nous était guère possible de passer sous silence des orateurs dont Cicéron a pu parler en termes si favorables.

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Aulu-Gelle cite quelque part une phrase de Varron, qui ne laisse aucun doute sur la fécondité extraordinaire de l'écrivain que Cicéron avait nommé le plus grand des polygraphes. Varron dit, dans cette phrase, qu'il est âgé de quatre-vingtquatre ans, et qu'il a déjà composé quatre cent quatre-vingtdix livres, c'est-à-dire quatre cent quatre-vingt-six volumes,

1. Cicéron, Brutus, chapitre LXXXII, 2. Cicéron, Brutus, chapitre LXXXI.

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