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Conclusion.

Nous avons examiné avec détail, et, autant que je pense, sans rien omettre, tout ce qu'on pourrait nommer les produits spontanés de l'esprit romain. Il serait difficile d'imaginer rien qui diffère plus de ce que nous avons trouvé sur le sol fécond de la Grèce. Avant que les royautés antiques eussent disparu, la Grèce d'Asie et celle d'Europe avaient une littérature depuis longtemps florissante; d'innombrables aèdes avaient déjà chanté toutes leurs gloires; Homère et Hésiode les avaient dotées d'impérissables chefs-d'œuvre. Rome, à la chute des Tarquins, n'avait pas même encore une langue; je veux dire que la langue qu'elle parlait alors n'était encore qu'un jargon informe, un pêle-mêle d'éléments sans affinité, une chose sans nom, sans caractère, et où apparaissent à peine les premiers germes de ce qui fut le latin. Les trois siècles qui suivirent façonnèrent la langue, ou plutôt la créèrent; mais ce fut là le suprême effort des énergies littéraires du peuple romain laissé à luimême. Quand les premiers rayons du génie grec commencèrent à percer les ténèbres de la barbarie latine, Rome en était littéralement au même point que trois cents ans plus tôt, et elle n'avait pas fait un seul pas depuis le temps des Douze Tables, ou même depuis le temps des rois. Nulle poésie, ni épique, ni lyrique, ni dramatique; rien même qui mérite le nom de poésie, si ce n'est peut-être quelques chants grossiers de paysans ou de soldats, non pas même des chants guerriers ou des hymnes pieux, mais des satires, c'est-à-dire, de toutes les choses poétiques celle qui est le moins poésie. Ce peuple belliqueux n'avait pas même ce qui ne manque point aux nations les plus barbares, ces péans, ces bardits, que le soldat germain comme le soldat grec chantait en marchant au combat. L'éloquence politique en était à ses premiers vagissements. L'éloquence judiciaire n'était pas. L'éloquence militaire seule n'attendait rien de l'avenir. La matière historique abondait en vain ; nul historien n'avait paru encore. La langue du moins existait; une langue rude, énergique, pleine d'audace et de

franchise; une langue de conquérants, de politiques, de législateurs; une langue qui n'avait encore excellé qu'à exprimer les besoins de la vie pratique, les commandements de la loi, ou les fantaisies despotiques d'un peuple qui voulait être obéi. Mais cette langue était assez bien née pour reconnaître ce qui lui manquait, et pour devenir, par l'éducation, ce qu'elle n'aurait jamais été sans doute la langue d'une littérature.

On est tenté quelquefois de citer le nom de Sparte, quand on parle des institutions, des mœurs et du caractère des Romains. Mais ce serait faire grand tort aux enfants de Lycurgue, que de leur attribuer les goûts grossiers et l'inaptitude littéraire des enfants de Romulus. Les Spartiates aimaient passionnément la musique et la poésie. Ils ne souffraient, j'en conviens, que des chants d'une certaine valeur morale, et où la poésie et la musique fussent autre chose qu'un jeu de l'esprit et des sons agréables. La patrie adoptive de Tyrtée eut des poëtes n'eût-elle fait qu'inspirer Alcman, on ne serait pas en droit de dire qu'elle fut dénuée du génie littéraire. La religion ellemême, chez les Romains, ne devint poétique qu'après le long travail de transformation qui la réduisit presque à n'être plus que la religion des Grecs, sauf quelques mythes purement latins, et sauf les noms latins des divinités proprement helléniques. La religion grecque avait produit spontanément trois sortes d'épopée; elle produisit aussi le dithyrambe, et, par le dithyrambe, la poésie dramatique : c'est par elle que furent et Orphée, et Homère, et Hésiode, et Arion, et Eschyle, et tant d'autres. La religion romaine, au bout de cinq siècles, avait produit le chant des frères Arvales et les chants saliens!

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CHAPITRE III.

COMMENCEMENTS DE LA POESIE LATINE.

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ODYSSÉE LATINE.

TRAVAUX DE LIVIUS ANDRONICUS. OEUVRES DRAMATIQUES DE LIVIUS AN-
DESCRIPTION DU THÉATRE DE ROME.
OEUVRES DRAMATIQUES DE NÉ-
POEME SUR LA PREMIÈRE GUERRE PUNIQUE, JUGEMENT SUR

DRONICUS.
NÉVIUS. VERSIFICATION DE NÉVIUS.
VIUS.
NÉVIUS.

Travaux de Livius Andronicus.

C'est par la poésie dramatique que commença la littérature latine, et c'est un Grec de Tarente qui mérita le premier, à Rome, le nom de poëte. Ce Grec avait été réduit, par la guerre, à l'état d'esclave. Livius Salinator, son maitre, l'affranchit à cause de ses talents, et il en fit un Livius, selon l'usage romain. On ne sait ni l'année de la naissance de Livius Andronicus, ni celle de sa mort; mais on sait à quelle époque il commença à écrire. Cicéron dit que ce fut un an avant qu'Ennius naquît; et Aulu-Gelle fait un calcul qui donne à peu près la même date: il met les débuts dramatiques de Livius Andronicus à plus de cent soixante ans de la mort de Sophocle, et à cinquante-deux ans environ de celle de Ménandre. La date est donc antérieure, mais de fort peu, à l'an 240 avant notre ère.

Thespis, pour transformer le dithyrambe et créer la tragédie, avait eu besoin d'une force inventrice dont put aisément se passer Livius Andronicus, quand il dota Rome d'un théâtre. Il ne fallait au Tarentin qu'une instruction suffisante et une certaine facilité poétique. Les pièces qu'il joua devant les Romains, tragédies ou comédies, n'étaient point écloses de son cerveau: c'étaient des ouvrages empruntés aux poëtes de la Grèce, non pas même arrangés ou transformés, mais simplement traduits. Le plus difficile de l'entreprise de Livius Andronicus, ce fut, sans nul doute, la création d'une troupe; et Dieu sait ce qu'il dépensa de soins, d'activité et de talent, pour former à son gré ses histrions, et pour en faire les émules des artistes qui interprétaient

aux Grecs de l'Italie méridionale les chefs-d'œuvre du génie d'Athènes. Il paraît que le poëte appela d'abord à son aide les jeunes gens de famille qui se divertissaient à jouer la sature. Mais ceux-ci ne purent ou ne voulurent pas se plier aux exigences d'une scène régulière, et ils retournèrent bien vite à leurs improvisations et à leurs danses. Livius dut chercher alors ses collaborateurs parmi les affranchis et les esclaves; parmi ceux, bien entendu, qui n'étaient pas dénués de culture littéraire, et surtout parmi les Grecs d'Italie ou de Grèce, qui abondaient à Rome. On s'explique donc comment le métier d'histrion fut entaché, aux yeux des Romains, du caractère d'œuvre servile, et comment il encourut l'indignité de ceux qui l'exerçaient tout histrion fut mis, par la loi, au ban de la cité et de l'armée. Il n'y eut d'exception que pour les acteurs d'atellanes et d'exodes: ces comédies étaient nées de la sature; et les citoyens, qui avaient longtemps joué des scènes improvisées, ne dédaignaient pas de figurer dans ces drames comiques, qui n'étaient que la sature réduite à un cadre plus régulier.

Quoi qu'il en soit, Livius Andronicus parvint à avoir des histrions assez dignes de lui, et il fit avec eux, durant de longues années, les délices du peuple de Rome. Il n'y avait guère de grandes fêtes sans qu'il fût invité par les édiles à jouer quelqu'un de ses ouvrages. Tite Live, à qui nous devons presque tout ce qu'on sait de Livius Andronicus, nous apprend que le poëte histrion, à force de chanter sur le théâtre, s'était fatigué la voix, et qu'il demanda et obtint la permission de placer, devant le joueur de flûte, un jeune esclave qui chantât pour lui. Libre de tout souci du côté du chant, il joua désormais, selon Tite Live, avec plus de vigueur et d'expression, le cantique; c'est-à-dire probablement qu'il accompagnait de ses gestes et de sa danse les chants du jeune esclave et les accords du musicien. Mais le cantique, ou la partie lyrique de chaque pièce, n'en était et n'en pouvait être que la moindre portion. Dans la comédie latine il n'y avait pas de chœur, et le cantique se bornait à quelques tirades çà et là; et la tragédie latine n'avait guère conservé, de toutes les richesses lyriques de la poésie

d'Athènes, que le moins lyrique des éléments, le mètre anapeste les choeurs proprement dits y étaient nuls, ou réduits tout au moins à des proportions singulièrement exiguës. L'innovation de Livius fit fortune; et le cantique fut partagé dorénavant entre l'histrion et le chanteur. Quant au dialogue, il demeura, de toute nécessité, le domaine propre des histrions.

Œuvres dramatiques de Livius Andronicus.

On connaît les titres de plusieurs des pièces de Livius Andronicus; mais ce qui reste de ces pièces, tragédies ou comédies, est infiniment peu de chose. Les titres ne nous apprennent pas même à quelles sources Livius Andronicus avait puisé, ni s'il avait copié de bons modèles. Il y a bien un Ajax et une Hélène ; mais qui pourrait dire si Livius avait réellement traduit la tragédie de Sophocle et celle d'Euripide? Rien n'empêche de le croire; mais le vers unique que nous avons de l'Ajax latin, et le vers unique que nous avons de l'Hélène latine, ne sont pas suffisants pour nous permettre de l'affirmer. Il est probable seulement que Livius Andronicus dut choisir de préférence des sujets intéressants et dramatiques; et les titres d'Égisthe, d'Hermione, de Térée, prouvent qu'il avait mis en scène quelques-unes des plus saisissantes catastrophes illustrées jadis par la tragédie. Il n'y a guère que deux ou trois des pièces du catalogue qui aient pu être des comédies. C'était certainement une comédie, celle qui était intitulée le Poignard, dont Festus nous a conservé ce vers: «< Sont-ce des puces, ou des punaises, ou des poux? réponds-moi. »

Parmi les vers attribués à Livius Andronicus, il y en a quatre qui méritent une mention particulière. Le métricien Térentianus Maurus, parlant du vers miure, c'est-à-dire du vers héroïque terminé par un ïambe, cite quatre vers qu'il donne comme extraits de l'Ino de Livius Andronicus, dont deux, le premier et le troisième, sont des hexamètres complets, et dont les deux autres sont miures. Ces vers sont fort beaux, et si beaux même que Virgile en a transcrit un en entier. La langue n'a rien d'archaïque; et, sauf peut-être

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